
Dans un championnat de Ligue 1 plié assez tôt par le PSG, l’enjeu est ailleurs. La course à l’Europe tient en haleine supporters comme passionnés. Si le Stade Rennais, au fond de jeu souvent pétillant, apparaît bien placé, ses adversaires appuient encore trop facilement sur ses points faibles.
A l’aube de son sprint final pour un accessit européen, une petite musique stressante crisse dans les oreilles de certains supporters rennais. L’habitude de rendez-vous loupés. Pourtant, le club breton s’est installé comme une place forte du football hexagonal. Vainqueur de la Coupe de France en 2019 – son premier trophée depuis 48 ans – le Stade Rennais n’a plus loupé une qualification européenne depuis 2018. Au début de cette saison, la famille Pinault – propriétaire du club depuis 1998 – avait fixé un objectif mesuré: être européen pour une cinquième fois d’affilée. Peu importe la Coupe tant qu’il y a l’ivresse des soirées européenne qui permettent au club Rouge et Noir de continuer à grandir.
Avec le RC Lens de Franck Haise et le RC Strasbourg de Julien Stephan, le Stade Rennais de Genesio est probablement l’équipe la plus séduisante de Ligue 1. Un brin revanchard, probablement sous-coté, Bruno Genesio a trouvé à Rennes un contexte favorable pour exprimer sa vision du football. Il est aussi arrivé sur les bords de la Vilaine renforcé par son expérience en Chine qui lui a permis de tirer un trait sur ses éprouvantes années lyonnaises. Certes la présence de Florian Maurice au poste de directeur technique n’est pas pour rien dans le fait que la mayonnaise ait si bien pris, mais le coach dispose avant tout d’un effectif qui, à défaut d’être parfaitement équilibré, adhère pleinement aux principes de jeu mis en place.
Jeu de position “à la rennaise”
Alors qu’à Lyon son coaching laissait parfois perplexe, sous sa direction le Stade Rennais affirme une identité de jeu claire. Celui qui a souvent été dépeint en Guardiola “low-cost”, d’où le surnom moqueur de “Pep” Genesio collé par certains chroniqueurs, admire le jeu pratiqué par le technicien catalan. Il ne s’en est jamais caché. Sans faire de comparaisons qui n’ont pas lieu d’être, ce que propose le Rennes de Genesio est une interprétation de ce jeu de position dont Guardiola est le maestro. Un jeu qui exige une lecture presque symphonique des espaces.

Dans un entretien pour The Tactical Room, Carles Martinez, ancien formateur de la Masia pour qui le jeu de position n’a pas de secret, pousse l’explication un peu plus loin: « Ces espaces, on doit les utiliser, les occuper, les libérer ou les créer pour son propre bénéfice. Si l’adversaire ne te concède que très peu d’espaces où lui faire mal entre les lignes, à un moment, tu devras attaquer dans le dos de la dernière ligne ou bien par les côtés ou encore positionner des joueurs clés dans des espaces où ils retiendront l’attention de ton adversaire. Tout ça afin que les espaces que tu souhaites réellement attaquer et qui étaient inexistants auparavant, s’agrandissent.»
L’influence du jeu de position sur le Rennes de Genesio est souvent illustrée par le recours aux fameux cinq couloirs offensifs et l’accent mis sur l’importance des courses sans ballon qui permettent de créer des supériorités numériques et de libérer les espaces. Mais, tout en reconnaissant une réelle inspiration, en avril dernier dans Ouest-France, Genesio se démarquait de tout dogmatisme et de toute prétention tactiques. « Quand on est entraîneur, on doit sans arrêt être en éveil, curieux de ce qu’on peut améliorer. Aujourd’hui, le jeu de position, c’est un bien grand mot parce qu’il y a plein de choses qui peuvent aller dedans. Mais en tout cas, c’est une volonté que l’on a, et surtout une volonté d’avoir beaucoup de libertés avec le ballon, tout en gardant une organisation rationnelle.»
Éloge du collectif
A ce jeu-là, en plus de beaucoup de polyvalence, le onze rennais affiche quelques certitudes, notamment un côté droit dévastateur où la relation entre Hamari Traoré et Benjamin Bourigeaud donne des sueurs froides à nombre de défenses, et qui gêne aussi considérablement les démarrages des latéraux et pistons adverses. La science du déplacement entre les lignes de Martin Terrier, le volume de jeu de Flavien Tait, la disponibilité et la qualité de passe de Lovro Majer, les courses incessantes d’Adrien Truffert côté gauche, sans parler du sens du pressing et de l’impact dans les duels aériens de Gaëtan Laborde. En pointe, l’ancien Montpelliérain se charge d’un travail de sape, parfois ingrat, avec un état d’esprit que les supporters rennais ne cessent de louer. A ce stade, on ne peut qu’imaginer la diversité qu’aurait apportée la percussion d’un Jérémy Doku en pleine possession de ses moyens, si sa saison n’avait pas été tronquée par les blessures.
Capable de démonstrations offensives (6-0 contre Clermont, 6-0 contre Bordeaux, 6-1 contre Metz), le Stade Rennais régale le public du Roazhon Park. C’est une équipe qui frappe également par la capacité des joueurs à fournir les efforts les uns pour les autres. Ce qui devrait être une banalité du football, le Rennes de Genesio en a fait un mantra. Cette équipe qui est celle qui court le plus de kilomètres en match. Les individualités performent, c’est une évidence, mais le sentiment d’unité et l’altruisme qui se dégagent de l’effectif, impressionnent. Privilégier la passe au partenaire en meilleure position, quelque soit l’impact que ça aura sur les statistiques individuelles, le collectif rennais en a fait un rouage de son identité cette saison qui lui a déjà permis de battre le record de points et de victoires du club sur une saison entière. Et avec 77 buts, Terrier, Laborde et consorts ne sont qu’à trois unités du record de 80 buts qui remonte à 1966!
Des joueurs offensifs qui sont les premiers défenseurs et un milieu de terrain souvent dominateur à la récupération ont fait du Stade Rennais une des équipes les plus imperméables de Ligue 1 avec 36 buts encaissés en 35 matchs. Le secteur défensif des Rouge et Noir affiche pourtant quelques carences, essentiellement en charnière centrale où, profitant de la méforme puis de la blessure de Loïc Badé (acheté 20 millions d’euros au RC Lens), le jeune Warmed Omari a été propulsé titulaire aux côtés de l’international marocain Nayef Aguerd. Parfois mis en difficulté, il réalise une saison pleine pour sa première au haut niveau. Avec la longue blessure de Jérémy Gélin, le nombre de centraux aptes au combat est trop faible, si bien que Baptiste Santamaria a même été appelé à suppléer Nayef Aguerd, suspendu.
Fort avec les faibles, faible avec les forts
Tout aussi fringant soit-il cette saison, le Stade Rennais accuse déjà onze défaites, à trois journées de la fin de la saison. C’est le plus haut total de tous les candidats encore en lice pour une qualification européenne. Une réalité qui ne peut pas reposer intégralement sur le manque d’expérience et de solutions de rechange en défense centrale. Et puis, même s’il n’a pas été compris par grand monde, ne pas recruter à ce poste a été un choix assumé par Bruno Genesio et Florian Maurice. Un pari risqué et discutable, d’autant plus lors d’une saison avec des matchs de Conference League au calendrier, mais qui peut s’avérer payant en fin de saison.

Rennes a aussi rencontré quelques difficultés dans les buts, et ce malgré 13 clean sheets. Souvent pointé du doigt, Alfred Gomis peine, depuis son arrivée pour remplacer au pied levé Édouard Mendy parti à Chelsea, à rassurer et à se montrer décisif et à rapporter des points à son équipe. Le jeune gardien turc, Dogan Alemdar (19 ans), qui l’a remplacé durant sa blessure, n’a pas non plus réussi à crever l’écran malgré plusieurs prestations très encourageantes. Le Stade Rennais apparaît donc moins armé dans ce secteur que ses concurrents directs. Que ce soit Steve Mandada et Pau Lopez (OM), Walter Benitez (Nice) ou encore Mats Sels (Strasbourg), on voit combien la solidité au poste de gardien est essentielle au moment d’engager une dernière ligne droite. Mais au delà des cas individuels, l’équipe a surtout montré ses limites face à ses concurrents du haut de classement. Hormis deux masterclass face à l’Olympique Lyonnais, Rennes n’a quasiment pas réussi à prendre de points face à ses adversaires directs. Selon le site Rouge Mémoire, les partenaires de Benjamin Bourigeaud n’ont pris que 6 petits points (sur 21 possibles) face aux cinq premiers du classement. Et l’OM – qui fait à peine mieux avec 11 points sur 21 – doit encore se présenter au Roazhon Park le 14 mai.
Intraitable face aux dix derniers (avec 45 points pris sur 60 possibles), le rouleau compresseur rennais s’embourbe sur le blocs compacts et les transitions rapides des meilleures équipes. Les Rouge et Noir ont même affiché une fâcheuse tendance à les relancer quand certains avaient la tête sur le rebord du seau. Le 15 avril, Rennes reçoit Monaco pour une affiche de la 32e journée qui donne tout son sens à l’expression un peu essorée de “match à 6 points”. L’ASM pointe alors à 6 points du SRFC qui à l’occasion “d’enterrer” son adversaire le reléguant à 9 points. Mais la soirée tourne en défaveur des bretons et les Monégasque repartent du Roazhon Park en étant revenu à 3 points de leur adversaire. Ce type d’occasions manquées face à ses concurrents directs dans la course à l’Europe, le Stade Rennais les collectionne.
Rennes, friable dans ses temps faibles
Parfois sans conséquence, comme lors de la victoire face à Troyes (4-1) où Rennes a encaissé un but sur le seul tir cadré de son adversaire. “Nos temps faibles, qu’ils durent 5 minutes, 10 minutes, ou 15 minutes, très souvent, on les traverse avec un but encaissé ou un penalty concédé” reconnaissait le coach rennais avant un déplacement en terre lensoise en janvier dernier. Des signes de fragilité qui sont presque devenus, eux aussi, une marque de fabrique. Une faculté à payer cash ses erreurs d’inattention, de placement ou de relance.

Au final, les hommes de Genesio, qui a plusieurs fois relevé la naïveté de son groupe, y ont laissé des plumes dans des matchs où ils n’ont pas forcément été dominés. A Monaco (2-1), à Paris (1-0) ou à Lens (1-0), mais aussi à domicile face à Nice (1-2), Lille (1-2) ou encore Monaco (2-3). Des matchs auxquels on ne peut s’empêcher d’ajouter la déception de l’élimination en Conference League face à Leicester, dont la défaite du match aller a mis à jour le même syndrome. Pas de quoi rassurer les supporters avant les trois derniers matchs: le derby face à Nantes, la réception de l’OM et un déplacement à Lille. Les vieux démons du club, ceux qui l’ont vu louper la qualification en Ligue des Champions en 2007, semblent planer au dessus de la fin de saison rennaise comme des vautours.
Mais la force du Stade Rennais c’est sa ligne directrice. “Même en décembre et janvier, quand on était moins bien, on ne s’est pas reniés” a récemment rappelé Bruno Genesio lors d’une rencontre avec des lecteurs du quotidien Ouest-France. Le site Five Thirty Eight estime aujourd’hui à 34% les chances du Stade Rennais de finir sur le podium. Même si ce n’est pas le moment d’en faire, les calculs sont assez simples. La 2e place – synonyme de qualification directe pour les groupes de Ligue des Champions – est encore accessible. Pour en être assuré, il faut chercher le sans-faute sur les trois derniers matchs (9 points), et donc battre Marseille. Pour sécuriser une qualification européenne “quelle qu’elle soit”, objectif initial, les hommes de Genesio ont besoin de quatre points. Avec cette équipe là, belle aussi dans sa fragilité, tout est possible. Ça commence par un résultat à la Beaujoire où Rennes ne s’est plus imposé depuis 2016.
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