En 2012, le journaliste Mário Magalhães publiait une monumentale biographie de Carlos Marighella, sous-titrée « Le guérillero qui incendia le monde ». L’occasion pour certains de découvrir la passion qu’entretenait le communiste révolutionnaire brésilien, théoricien de la guérilla urbaine, pour le football. Une passion qui, jusqu’à son assassinat par la police en 1969, ne l’a jamais quitté malgré les passages en prison et les années de clandestinité.
Depuis 2012, à Salvador de Bahia, dans les tribunes du Barrãdao, stade de l’Esporte Club Vitória, un petit groupe de supporters a créé la Brigada Marighella. Un nom qui interpelle. On ne nomme pas sa torcida Marighella par hasard. La lecture de la biographie signée Magalhães y est pour beaucoup. Comme le confiaient des membres du groupe au site La Grinta en 2018, ils apprirent que le club de cœur de Marighella, natif de Salvador de Bahia, était l’EC Vitória. Alors, ils lui ont rendu cet hommage. Même s’il existe diverses sensibilités de gauche en son sein, la Brigada Marighella est une torcida ouvertement antifasciste et la figure du célèbre militant communiste est celle qui unit tout le groupe.
En France, Marighella est surtout connu comme l’auteur du Manuel du guérillero urbain, traduit et diffusé à partir de 1970 dans les milieux révolutionnaires d’extrême-gauche, et réédité en 2009 par les éditions Libertalia. Sa vie de militant communiste et de révolutionnaire clandestin, opposant à la dictature militaire, est moins connue. Sa passion pour le football, encore moins. Sa femme Clara Charf expliquait qu‘il a toujours considéré le sport comme un outil rassembleur. Une passion que la clandestinité n’a pas entamé ni refroidi. Lors du Mondial 1966, trois ans avant sa mort, alors qu’ils étaient en cavale, Marighella et sa femme suivaient les matchs à la radio et se tenaient informés pour ne rien manquer du déroulé de la compétition.
« Bicão Siderúrigico »
Marighella est le fils d’un immigré italien originaire d’Emilie-Romagne et d’une descendante des Malês, ces esclaves africains de Bahia qui se sont révoltés au 19e siècle contre l’ordre esclavagiste. Petit, Carlos prend l’habitude d’esquiver la surveillance maternelle pour aller jouer au football avec d’autres gamins de son quartier. Grandissant dans une famille ouvrière de sept enfants, le manque d’argent l’empêchait de s’acheter des chaussures dignes de ce nom pour jouer. Il trouva une parade en clouant des crampons de fortune sur des souliers usés à l’atelier où travaillait son père.
Membre du Parti Communiste Brésilien (PCB), il participe au soulèvement réprimé de 1935. Après une première incarcération, il entre une première fois dans la clandestinité. En 1937, Gétulio Vargas, prétextant la menace communiste, instaure par coup d’état l’Estado Novo, un régime dictatorial populiste et anti-communiste. A nouveau arrêté en 1939, Marighella est cette fois-ci emprisonné à Fernando de Noronha, une île administrée par l’armée, au large du Brésil. A la chute de l’Estado Novo en 1945, il sera libéré bénéficiant de l’amnistie des prisonniers. Là-bas, environ 180 militants de gauche sont enfermés. En prison, pour garder la forme physique, il mirent sur pied un club qu’ils appelèrent Grêmio Atlético Brasil. Lors des matchs organisés, Carlos se distingue comme un défenseur solide. Il est surnommé « Bicão Siderúrigico ». Surnom autant du aux conférences passionnantes qu’il avait animé pour ses co-détenus sur le fer et l’acier qu’à la puissance de ses tirs alors qu’il jouait pieds-nus, comme le raconte Mário Magalhães dans son livre.
De retour à Bahia, Marighella est, au bout de quelques mois, de nouveau contraint à la clandestinité. Le PCB est déclaré illégal sous la présidence du général Dutra, et un mandat d’arrêt est délivré contre lui. Cette clandestinité durera jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Juscelino Kubitschek en 1956. Durant cette période, Carlos Marighella voyage notamment en Chine maoïste. Il se lie aussi d’amitié avec João Saldanha, le futur sélectionneur de l’équipe nationale pour le Mondial 70, également membre du PCB. Lors de la grande grève de 1953 à Sao Paulo, Marighella joue un rôle important dans la coordination des actions émeutières, et c’est Saldanha qui assurait la transmission des messages entre lui et les ouvriers grévistes. Ancien joueur de Botafogo, Saldanha est alors un journaliste sportif brillant. Mais en 1957, Botafogo est en crise et fait appel à lui comme coach. Saldanha y retrouve Garrincha qui remportera quelques mois plus tard le Mondial 58 en Suède avec la Seleçao. Un succès qui a inspiré à Marighella un poème en hommage à Garrincha, intitulé « La Joie du Peuple ». Ce surnom qui sera gravé sur la tombe du joueur mort en 1983, est aussi le titre du documentaire que Joaquim Pedro de Andrade lui a consacré en 1962. Une période où Marighella et Saldanha participent au nouveau journal paulista du PCB, avec Didi, autre star de la sélection de 58 et joueur de Botafogo. Celui qui est considéré comme l’inventeur de la frappe en « feuille morte » tient une chronique sportive dans les pages du journal.
Ennemi public n°1 de la dictature militaire
Marighella aimait le football au-delà des querelles de clocher. Si son coeur penchait vers l’EC Vitória, il appréciait tout autant le Flamengo de Rio et les Corinthians de Sao Paulo dont il suivait les prestations au gré de ses déplacements clandestins. Car la pression policière sur les militants communistes reprit de plus belle avec le coup d’état militaire de 1964. Quelques douze ans après l’exécution de Marighella, les Corinthians contribueront d’ailleurs à la chute de la dictature avec l’expérience autogestionnaire appelée « Démocratie Corinthiane ».
Marighella estime que seule une lutte armée viendra à bout du régime. Exclu du PCB, il créé en 1967 l’Ação Libertadora Nacional (ALN), organisation révolutionnaire clandestine de guérilla urbaine. Pour financer la lutte, l’ALN fait notamment des braquages. Inspiré par le film de Kubrick L’Ultime razzia, Marighella voulait braquer la billetterie du Maracanã. Le plan fut abandonné, selon Magalhães, car cela nécessitait trop de sacs pour transporter la recette, les caisses du stade étant principalement remplies de petite coupure. Comme l’écrit Fábio Felice pour la revue brésilienne Corner, en 1969 le film Máscara da traição de Roberto Pires, exauça ce souhait de Marighella en mettant en scène le braquage réussi de la recette du classico Flamengo-Botafogo au Maracanã.
L’étau se resserre sur Marighella jusqu’à cette soirée du 4 novembre 1969 où il tombe dans une embuscade tendue par les escadrons de la mort du commissaire Fleury, à quelques encablures du Stade Municipal Paolo Machado de Carvalho où se déroule le Clássico Alvinegro entre Santos et Corinthians. Pelé et Rivelino sont sur le terrain quand le speaker du stade annonce en direct : « Le leader terroriste Carlos Marighella a été tué par la police ». Ce qui aurait, selon les médias de l’époque, provoqué des réactions de joie de la part des supporters des deux équipes. Le peuple brésilien vit alors en pleine terreur dictatoriale. Ce sont les années qui suivent la promulgation du décret AI-5 par le régime. Celles où se sont multipliés les emprisonnements, la torture, les disparitions et les assassinats politiques. Voir des bannières honorant Marighella aujourd’hui dans les stades brésiliens est une belle revanche mais aussi un signal de résistance, à l’heure de l’arrivée au pouvoir du fascisant Bolsonaro qui est un nostalgique assumé de la dictature militaire.
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