Un membre d’Asteras Montpellier nous livre ses impressions sur la 2e édition du Trophée Rino Della Negra – nommé ainsi en hommage au footballeur résistant du Red Star membre du réseau Manouchian – co-organisé par le Spartak Fontgrande et le Spartak Arlésien. Récit d’une amitié naissante autour des valeurs du football populaire.
Rino Della Negra, jusqu’à cette rencontre son nom résonnait dans nos têtes comme l’air d’une chanson italienne inconnue pour certains d’entre-nous. L’A.C Asteras Montpellier fort de ses trois années d’activités a depuis sa création dans son A.D.N cette volonté de faire converger les dynamiques sportives militantes. Comment pouvions-nous refuser une telle invitation? Participer à un trophée qui réunie 3 équipes du sud de la France: le Spartak Fontgrande de Saint Benoît de Carmaux, le Spartak Arlésien d’Arles et notre équipe de foot à 7. Bien que non adeptes du foot en salle, préférant prendre des roustes dans le championnat de foot à 7 montpelliérain, nous avons accepté cette opportunité avec grand plaisir et sans grande surprise nous avons été conquis par le lieu, l’accueil de nos hôtes et le sentiment de baigner dans un bassin aux traditions ouvrières bien ancrées.
Après une première matinée désorganisée à récupérer toute l’équipe, préparer les sandwichs et filer vers le Tarn, 2h30 plus tard nous voilà arrivés à Saint Benoît de Carmaux. Le club du Spartak Fontgrande est présent devant le gymnase où se déroulera les rencontres 6×6, 5×5. C’est la première fois que nous rencontrons cette équipe et à peine arrivés certains camarades sont invités à poser devant un grand drapeau cubain pour honorer les organisatrices de la soirée cubaine qui nous attend le soir même. Les présentations faites, les maillots échangés, nous sommes agréablement surpris de recevoir un cadeau venant de l’équipe hôte du Spartak Fontgrande. Cela fait d’autant plus chaud au cœur que ce tableau peint par un descendant de mineur de Carmaux représente une lampe utilisée par les ouvriers pour descendre dans les mines de la cité minière de Fontgrande. Cette attention plus qu’honorable annonce la couleur du week-end et nous n’avons pas été déçu du reste.
14h30, nous avons l’honneur de débuter le tournoi contre l’équipe du Spartak Arlésien. Matchs de 2x20mn qui consistent à rencontrer toutes les équipes deux fois sur le week-end. A l’issue de ces rencontres, un premier classement provisoire est établi jusqu’aux matchs retours en Juin qui viendront clôturer ce tournoi et donner le nom de l’équipe gagnante lors du weekend à Arles. Au-delà de la compétition qui vient mettre du piment dans les enjeux sur le terrain et travailler l’esprit du fair-play en auto-arbitrage, c’est avant toute chose un moment commun qui se joue. Et cette chronique se doit de raconter ce qui a fait sens durant ce séjour sans fioritures, avec le cœur et l’esprit d’un militantisme connecté au réel. Cette vision commune d’un sport populaire sûrement pétrie de paradoxes personnels et parsemé de contradictions politiques mais tentant, tant bien que mal, d’être ancré dans la réalité sociale.
Cette première journée est pratiquement finie, nous avons joué tous nos matchs laissant à notre équipe un sentiment de satisfaction avec une victoire contre Arles et une défaite contre nos hôtes de Saint Benoît de Carmaux. Certaines mauvaises langues de la rédaction de cette chronique diront que c’est la faute du décalage horaire et de la météo, notre équipe étant plus habituée à un climat méditerranéen. D’autres camarades d’Arles diront que leur défaite face à nous serait due à une visite inopinée des bars, la veille sur Toulouse. Mais ne perdons pas plus de temps sur le sujet et arrêtons nous sur le fait qu’à la suite de ces trois matchs, chaque équipe a gagné un match. Avant de clôturer ce premier jour de rencontre, le Spartak Fontgrande a tenu à immortaliser cet instant en demandant à chaque équipe de poser pour la gloire et le souvenir, instant photographique important malgré la transpiration et les blessures.
Après l’effort, le réconfort
Dans n’importe quelle rencontre sportive digne de ce nom, la convivialité semble être un vecteur émancipateur! Et le Spartak Fontgrande mérite qu’on souligne son amour pour la bonne bouffe, les cocktails et les chocolatines du matin (Pains au chocolat pour 98% de la France). Nous sommes invités à rejoindre le restaurant où une grande tablée nous attend avec comme fond d’écran le match de la France contre Gibraltar qui se terminera par un 14-0 digne des scores d’un championnat de l’A.C Asteras en poule 4. Le repas est excellent, les équipes se mélangent timidement et chacun converse avec l’autre. L’autre qui est inconnu, l’autre qui partage des valeurs communes et qui a joué contre nous quelques heures auparavant. Et bien cet “autre” se dévoile tout au long du repas, les discussions sont multiples entre politique, retours sur les matchs, comparaison de nos lieux de vie et curiosité de ce que fait l’autre. Chacun y va de son histoire. Des liens se tissent au fur et à mesure que la soirée avance, les membres de chaque équipe deviennent des prénoms, des identités propres, des vécus singuliers qui traversent ce moment dans une dynamique collective et c’est beau tout simplement. Avant de partir vers les effluves alcoolisés de la Havane nous nous échangeons à nouveau des cadeaux. Nous avons la chance de recevoir un bouquin – Rino Della Negra, footballeur et partisan. Vie, mort et mémoire d’un jeune footballeur du groupe Manouchian de Dimitri Manessis – tandis que les deux équipes reçoivent de notre part Ce que le football est devenu – trois décennies de révolution libérale de Jérôme Latta. Un peu de lectures émancipatrices dans un monde rongé par l’individualisme, le racisme et l’attrait de l’argent roi.
A peine arrivés à la soirée cubaine, le dance floor s’ambiance pendant que l’association cubaine du collectif latino albigeois sert des “Cuba libre” généreux à la hauteur de l’accueil de ces fils et petits fils de mineurs. Cette soirée sous le signe de la détente n’est pas de tout repos mais nous savions que ce week-end allait être intense sur tous les plans. Le lendemain matin difficile allait nous demander un certain courage pour affronter le café-débat programmé à 11h30 autour du fonctionnement des différents clubs présents et la vision de chacun sur le sport populaire. Et ce n’était pas sans compter sur l’hébergement de nos camarades du Spartak Fontgrande pour apporter cette chaleur humaine consolante dès le réveil. Café, bon pain au choc…chocolatine, confiture et sourire dès le matin alors que nous étions de parfaits inconnus un jour avant. C’est à partir de là également que les camaraderies se forgent, de ces petites attentions anodines qui nous font nous sentir à la maison et qui donnent une saveur particulière aux relations quand la solidarité collective devient un élément essentiel pour combattre cette société individualiste. Dans ces moments matinaux, chacun apprend sur l’autre, le temps s’allonge et nous prenons ce temps partagé pour découvrir la vie des autres et même celles des membres de notre propre club.
11h30 voire 12h pour les fêtards retardataires
La séance est ouverte. Dans la réalité nous avions rien préparé à l’avance si ce n’est cette volonté d’en savoir plus sur les regards portés sur la question du sport populaire. Les personnes arrivent au compte goutte, nous nous plaçons naturellement autour d’une petite table où la coupe du mineur est posée avec quelques verres de café servis autour. Ce temps formel devient improvisé, les membres de chaque équipe ne savent pas par quoi débuter la discussion, chacun y va de ses propositions tout en finissant par s’accorder sur l’idée de faire une présentation de chaque club, de son fonctionnement, de ce qui l’anime et de ce qui peut faire sens commun pour tout le monde autour de cette table. Le débat n’est pas cadré selon les modes de fonctionnement militant, pas de tours de parole, on s’écoute et chacun a l’intelligence de laisser finir l’autre avant de prendre la parole. Cette pratique peut paraître anecdotique mais elle constitue une réflexion plus profonde sur les habitudes ancrées dans le milieu militant et va venir à plusieurs reprises se confronter aux réalités des mondes qui apprennent à se côtoyer sans artifices, sans postures.
Il ne s’agit pas ici de faire un compte rendu du débat mais davantage de résumer les échanges qui ont permis d’ouvrir des perspectives de jonction pour le développement de l’activité sportive militante et sociale ancrée sur un territoire et adaptée au local. Car vous faire le résumé d’une discussion manquerait de subjectivité et de consistance et cela ne traduirait pas l’effervescence d’un week-end tel que celui-ci. Ce qu’il semble important de souligner ce sont les différences de fonctionnement qui partent le plus souvent de réalités locales. Mettre en avant ces différences singulières nous a permis de réaliser l’importance de laisser à chacun cette liberté de faire vivre son club sans uniformiser les pratiques militantes et humaines.
Le Spartak Fontgrande, nos chers camarades Tarnais, ne seraient pas ce qu’ils sont sans cette volonté d’ancrer leur projet dans le terreau du bassin minier et de l’histoire de ces familles qui ont travaillé et lutter pour tenter de vivre dignement. Leur club aborde différents symboles avec notamment les couleurs du charbon et les drapeaux des principales nationalités venues se faire exploiter dans les mines de Carmaux. Cette volonté de rappeler leur racine et leur identité sociale ne rentre pas dans le schéma identitaire classique, propre à l’extrême-droite. Nos fils et petits-fils de mineurs sont fiers de leur histoire mais ouverts sur le monde et l’internationalisme. Et cette ancrage social solide fait leur force face aux désirs d’une société qui tend à morceler les structures sociales et individualiser les questions humaines. Tout comme le fait qu’ils ne se revendiquent pas militants en tant que tels, en tout cas pas comme un concept politique dénué parfois de sens. Nous avons été accueillis par des personnes partageant leur militantisme dans l’idée de faire “famille”. Durant ce week-end, des retraités, des enfants sont venus voir le tournoi. Nous avons pu offrir à certaines de ces personnes quelques t-shirts de notre club et au-delà du geste fraternel nous avons ressenti un plaisir immense à partager une partie de nous. De savoir que les filles d’un des camarades qui nous hébergeait puissent porter nos couleurs, de réaliser que notre projet omnisports local dépasse les frontières de Montpellier par le simple fait d’avoir partager un tournoi tous ensemble, toutes ces choses nous ont rendu heureux parce qu’ayant été vécu collectivement.
Ce n’est pas sans parler de nos camarades du Spartak Arlésien bien qu’ils soient taquins parfois avant les matchs, en restent des personnes à l’écoute des autres prêtes à donner de leur énergie pour faire en sorte que tout le monde se sente bien. Peut-être cela est dû au fait que leur club est né au lendemain de la crise sanitaire, leur défenses immunitaires solides leurs ont permis de s’implanter localement. Tout comme la vision que l’on porte au sein de l’A.C Asteras, le Spartak Arlésien bénéficie de cette solidarité militante et politique en appui d’une structure qui se projette sur des questions fondamentales au sein du sport populaire. Au-delà de l’aspect compétitif, il est important pour eux que leur club fasse parti intégrante de la cité, ville ouvrière par essence avec ses usines. Le trophée Rino Della Negra porte le nom de ce fameux résistant footballeur du Red Star et assassiné par les nazis en 1944. Cette information historico-politique est essentielle pour comprendre la teneur de ce que véhicule ce tournoi pour eux.
L’idée n’étant pas d’être que “militant” ou que “footballeur”, opposition souvent faite entre les militants “professionnels” et le reste de la population, favorisant malheureusement un certain microcosme. Pour le Spartak Arlésien, il ne s’agit pas de gommer ces appartenances militantes, chacun est libre d’exercer ses fonctions syndicales, de partis ou militer dans les structures associatives mais ce qui transparaît quand on les rencontre c’est ce rapport humain aux choses, aux interactions sociales. Nous n’étions pas bercés de discours idéologiques incompréhensibles pour la plupart des personnes présentes. Les échanges portaient davantage sur la manière dont il était possible de rendre visible nos activités aux yeux de la population tout en gardant nos valeurs sociales et le vecteur politique en filigrane. Avant de partir de Montpellier, nous étions tous dans des suppositions sur le déroulé de ce week-end, ne connaissant pas les pratiques de l’autre, nous devions lâcher prise pour vivre l’instant sans considération autre que mener l’équipe vers du nouveau qui semblait être proche de nos valeurs. En arrivant sur ce territoire de mineurs, nous avons vécu des expériences subjectives qui ne pourraient pas être racontées sans employer le “je”.
Et ce “je”, je l’emploi dès à présent pour exprimer mon ressenti personnel vis à vis des copains de jeux. Au tout départ quand nous avons décidé de participer au trophée, je n’ai pas pu m’empêcher de me poser certaines questions liées à mon statut de “militant conscientisé” et la manière dont certains membres du club Asteras allaient vivre ce week-end. Au sein du club, les implications personnelles varient selon les gens. Les pratiques militantes aident pour structurer le tout, organiser le fonctionnement du club mais la plupart n’ont pas forcément un passif dans un milieu politique à proprement parlé. L’investissement de chacun.e est tributaire de la motivation et du sens à donner au projet que constitue le club omnisports. Organiser un week-end tous ensemble me semblait la meilleure des idées pour créer de la cohésion de groupe mais je redoutais la confrontation avec les autres clubs d’un point de vue politique. Je craignais retrouver une pratique standard du militantisme progressiste avec des codes et des langages spécialisés qui auraient pu rebuter certains copains montpelliérains. A la place, j’ai vécu un week-end magique. Me retrouver avec les camarades dans un contexte nouveau, vivre des expériences nouvelles et voir certains d’entre-eux rester jusqu’au bout du débat pour écouter et apporter leur point de vue m’a redonné un élan de motivation pour développer davantage ce club cher aux yeux de toutes et tous. J’étais persuadé que les copains allaient s’intégrer sans problèmes humainement parlant mais d’heures en heures je suis allé de surprise en surprise étant témoin que chacun a besoin d’un rythme différent pour prendre conscience de ce que peut représenter un projet comme le notre, comme celui des Spartaks. Et faire réaliser aux camarades en question l’espace qu’ils ont pour s’investir à hauteur de leur moyen sans être dans une position passive ou de consommation.
Pour conclure, je reviendrais sur le collectif en passant par le “Nous” qui nous unit. Certes il y a sûrement des contradictions humaines et politiques qui viennent altérer les visions de ses projets singuliers mais la force c’est le groupe qui vient faire garde-fou et érige un rempart contre les idées nauséabondes qui pullulent partout dans nos sociétés. Après ce débat nous avons tous rejoins le gymnase pour débuter la deuxième journée du trophée. Nos joueurs étaient soit fatigués, soit blessés mais le cœur était au partage. Nous avions le sentiment de faire jonction sans pour autant se fondre dans une masse informe militante. Les matchs se sont déroulés tant bien que mal, avec tout ce que le sport populaire amène comme crispation, comme lot d’engueulades bon-enfant. Sur les bancs les équipes attendant leur match encourageaient les autres, les taquineries étaient de la partie également, savant mélange de camaraderie discrète et de respect mutuel affirmé.
Avant de repartir vers nos lieux de vie, le Spartak Fontgrande a proposé aux trois équipes de craquer des fumigènes aux couleurs de chaque équipe (vert, rouge et noir). Couleur de l’espoir, de la lutte et du charbon nous dirait-on… Nous étions tous ensemble regroupés, les fumées se mélangeant et donnant une tonalité bien particulière, celle de trois équipes aux identités différentes qui se réunissaient pour se nourrir de pratiques nouvelles et mettre en commun les expériences afin que le sport populaire devienne un vecteur d’émancipation et une image du futur! Asteras signifie étoile en grec. Ce week-end nous a mis des étoiles dans les yeux.