
Supporters des Shamrock Rovers, le groupe Love Rovers Hate Racism a organisé la première Muhammad Khalifa Cup, samedi 26 juillet. Un événement d’autant plus important qu’il se fait rare dans une ville où les initiatives communautaires sont entravées par la bureaucratie, et où l’on assiste à une montée rapide de l’extrême droite dans l’espace public.
Le tournoi a été baptisé Muhammad Khalifa, du nom d’un jeune footballeur palestinien qui avait séjourné en Irlande et assisté à un match des Shamrock Rovers. Il était connu de la communauté des Rovers et était resté en contact avec ses amis en Irlande. En 2024, il a été tué dans une frappe aérienne israélienne sur Gaza. Son nom figure désormais de manière permanente sur les murs du Tallaght Stadium. Ce tournoi a été une façon de plus d’honorer sa mémoire.
Organiser un événement communautaire en toute autonomie à Dublin relève de l’exploit. La législation irlandaise impose en effet des règles extrêmement strictes concernant la consommation d’alcool dans l’espace public, la distribution de nourriture (le conseil municipal de Dublin a tenté à plusieurs reprises d’interdire les banques alimentaires et les soupes populaires) et l’organisation de grands rassemblements.
En Irlande, de multiples niveaux d’assurance et d’autorisations sont requis pour cela. Monter un événement de ce type est quasiment impossible sans l’implication des autorités locales et de la police. Quand de tels événements parviennent à avoir lieu, ils doivent souvent imposer des frais d’entrée ou de participation très élevés pour couvrir les coûts. Ces manifestations finissent alors inévitablement édulcorées, vidées de leur sens et absorbées dans les rouages institutionnels.
Les organisateurs de la Muhammad Khalifa Cup ont réalisé un véritable tour de force en contournant tout cela et en organisant l’événement de manière autonome, sans aucun recours aux circuits officiels, uniquement avec le soutien de la communauté. Cela a été grandement facilité par l’implication plus large des supporters des Shamrock Rovers. Le club le plus titré d’Irlande, géré démocratiquement par ses membres, est reconnu pour son fort ancrage communautaire, la ferveur de ses fans et l’engagement de ses bénévoles. Grâce à ce soutien, les tentes, la sonorisation, le matériel de cuisine, le savoir-faire logistique, et même le lieu qui a accueilli l’événement, ont pu être fournis gratuitement.
Le tournoi s’est tenu dans un contexte de montée brutale de l’extrême droite en Irlande. Des néonazis autoproclamés défilent désormais ouvertement dans les rues de Dublin. Dans le même quartier que celui où s’est tenu le tournoi, une agression violente a eu lieu quelques jours plus tôt: un migrant indien y a été roué de coups par une foule raciste et a failli y laisser la vie.
Cette intensification des attaques contre les réfugiés et les immigrés, ainsi que les assauts coordonnés contre des centres d’accueil pour demandeurs d’asile, rendent de plus en plus risquées les démonstrations publiques de solidarité antifasciste.
Cet événement ne parlait donc pas seulement de football. Il s’agissait de montrer qu’une communauté soudée peut se lever, s’organiser et fonctionner dans un esprit de solidarité et d’entraide mutuelle.
La journée s’est déroulée sans accroc et a été un succès. Des mois de collecte de fonds ont permis à Love Rovers Hate Racism d’offrir gratuitement à quelque 250 participants une grande variété de plats : grillades, plats faits maison, desserts, boissons et même de l’alcool.
Vingt équipes ont pris part au tournoi, composées de groupes communautaires locaux, de clubs de supporters des Shamrock Rovers et d’équipes venues de centres pour réfugiés de Dublin. Des concerts, des DJ sets et des prises de parole de Irish Sport for Palestine et Red Phoenix Antifascist Gym ont aussi animé l’événement. Le pourtour du terrain était décoré de messages de solidarité et de bâches des Rovers. Les vainqueurs du jour sont les 78 Shooterz, une équipe de jeunes de 17 ans — qui a peut-être bénéficié d’un léger avantage, étant la seule à ne pas boire de bière ni faire de pauses barbecue entre les matchs !
Le même jour, la Anti-Racism World Cup se tenait à Belfast, un autre moment fort de solidarité face à la progression du fascisme dans le pays. Alors que l’extrême droite continue de se mobiliser et de gagner du terrain, une chose reste claire: en Irlande, la communauté du football demeure résolument antifasciste et ouverte à toutes et tous.
(Photo Credits: Cian O’Brien)
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