Depuis sa réforme en 2019, la Supercoupe d’Espagne se dispute en Arabie Saoudite. Une habitude à laquelle les fans ne semblent pas s’habituer. Ces délocalisations à visée commerciale sont une des tares du football moderne, et certains ne manquent pas d’y ajouter la question des droits de l’homme.
La Supercoupe d’Espagne existe depuis 1982, et est organisée par la Fédération (RFEF). Initialement, ce trophée opposait le vainqueur du championnat à celui de la Coupe du Roi. Mais depuis 2019, son format a été transformé en une sorte de “final four” à la mode, délocalisé. Un juteux accord lie en effet la RFEF à la Fédération saoudienne, pour trois éditions. Il y a déjà eu une exception, en raison du contexte sanitaire, pour l’édition de 2021 qui s’est tenue à La Cartuja. Mais ça n’a pas changé grand chose pour les supporters, puisque les matchs étaient à huis clos.
Soft power saoudien
Cette Supercoupe à quatre équipes regroupent les deux premiers de la dernière Liga, et les deux derniers finalistes de la Copa del Rey. Pour cette saison, l’Arabie Saoudite accueille donc le Real Madrid, le Barça, l’Atlético de Madrid et l’Athletic Bilbao. De quoi satisfaire l’appétit promotionnel de la RFEF de Luis Rubiales qui a négocié cette délocalisation à prix d’or. Mais celui qui a souvent joué les chevaliers blancs a aussi bien écorné son image au passage. “Le président, Luis Rubiales, qui avait défendu les principes du football populaire par opposition à la stratégie mercantile de la Ligue de Football Professionnel, a montré qu’il avait un prix. Selon cette information d’El Confidencial, il s’agit de 30 millions par an” nous explique le site Revista Líbero dans un article intitulé “La Supercoupe volée aux supporters“.
Il n’échappe à personne que ce type de délocalisation sert essentiellement des intérêts marketing. Et comme toujours, les principales personnes lésées sont les supporters qui ont vu cette compétition leur être tout simplement enlevée, éloignée à plus de 7000 kilomètres. En France, le Trophée des Champions, qui se joue sur un seul match, connaît sensiblement le même sort. Dans le cas de la Supercoupe d’Espagne, il faut ajouter les intérêts saoudiens dans une optique de soft power. Sachant que l’Arabie Saoudite accusait un peu de retard dans le domaine sur les Émirats Arabes Unis et le Qatar. Cet accord signé avec la RFEF intervenait même dans une période où l’Arabie Saoudite peinait à mettre les pieds en Premier League – ce qui a fini par aboutir avec le rachat de Newcastle en novembre 2021. Cette opération a longtemps été entravée, notamment par le Qatar.
Rubiales se donne bonne conscience
Si les supporters de Newcastle ont eu tendance à saluer l’arrivée des Saoudiens, les investissements des pétro-monarchies du Golfe dans le football européen restent généralement controversés et n’ont pas bonne presse auprès du public. C’est principalement à cause du sort des droits de l’Homme dans ces sociétés, même si, entendons-nous bien, les démocraties capitalistes occidentales sont loin d’être des modèles irréprochables en la matière. “Comble de la maladresse, la RFEF tente d’assurer que l’accord contient des clauses afin de promouvoir le sport féminin en Arabie Saoudite, entre autres explications boiteuses qui ne justifient en aucun cas d’exporter le lieu d’un tournoi national de cette manière. Sans fans il n’y pas de football, un point c’est tout. Il n’y a pas grand-chose de plus à comprendre” insiste la revue Líbero.
A ce prix-là, Rubiales peut bien jouer les promoteurs d’une soit-disant démocratisation du pays, en inventant que cet accord était une “opportunité pour changer les choses“. A quel niveau exactement? Celui des exécutions d’opposants? Líbero rappelle les chiffres: 67 exécutions entre janvier 2020 et juillet 2021. Et cite le cas de Mustafa al-Darwish exécuté le 15 juin 2020, pour avoir pris part aux manifestations anti-gouvernementales de 2015. “La Supercoupe, volée aux supporters espagnols et vendue comme un mouchoir en papier pour nettoyer la dictature saoudienne, est une horreur et une attaque contre le football espagnol qui doit être comprise comme telle pour qu’il continue d’exister.”
La section espagnole d’Amnesty International a également publié un article complet pour dénoncer les graves violations des droits de l’Homme en Arabie Saoudite et appeler les clubs à mettre en conformité les paroles de leurs codes éthiques respectifs et leurs actes. Pas sûr que tout ça ne dérange Rubiales et ses affaires. “Les 30 millions d’euros par an vont peut-être sauver les comptes de la RFEF, mais le football meurt chaque fois qu’on ne permet pas aux supporters d’aller au stade. Sans supporters, il n’y a pas de football.” On ne peut que partager cette conclusion de la revue Líbero. Le football moderne a programmé la mort du football depuis longtemps.
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