L’ADN anticolonial du Mouloudia Club d’Alger

Champion d’Algérie 2024, quatorze ans après son dernier titre, le Mouloudia Club d’Alger (MCA) est une entité mythique du football nord-africain. Le club centenaire, auteur d’un triplé historique en 1976, se partage les cœurs de la Casbah avec son rival de l’USMA. Il a commencé à écrire sa légende face aux instances coloniales et aux clubs pieds-noirs.

A partir de la saison 2024/25, le Mouloudia Club d’Alger évoluera dans l’enceinte flambant neuve de Douera, à une trentaine de kilomètres du centre de la capitale: le stade Ali-Ammar dit Ali-la-Pointe.  Martyr de la révolution et figure emblématique de la Bataille d’Alger, Ali la Pointe a été sauvagement exécuté par les parachutistes français le 8 octobre 1957. Une manière de prolonger le lien charnel qui unit le MCA et la libération de l’Algérie du joug colonial, même s’il s’agit plus d’un geste symbolique au regard de la riche histoire politique du club.

Premier club créé à Alger par et pour les algériens musulmans, le Mouloudia est né en plein été 1921, à la veille du Mawlid (le “Mouloud”), fête religieuse célébrant l’anniversaire du Prophète. D’où son nom. Ses couleurs, le vert et le rouge, expriment d’ailleurs l’attachement de ses membres à l’islam. Celui qu’on considère comme l’architecte du projet de base est Abderrahmane Aouf, surnommé “Baba Hammoud”. Issu d’une famille relativement aisée, c’est un ancien élève de l’école Sarouy, l’établissement franco-musulman du boulevard Gambetta qui sera transformée en centre de torture par l’armée française.

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Au sortir de la 1ère Guerre mondiale, le fossé entre les conditions de vie des populations européenne et arabe s’est accentué. Pour ses fondateurs, le MCA est un acte de résistance et d’espoir; un appel à l’esprit militant et insoumis des Algériens pour défier le système colonial représenté par les clubs dits pieds-noirs. Le club va peu à peu s’installer comme un élément central de l’identité rebelle de la Casbah, et s’inscrire dans l’émulation politique des années 20/30 marquées par la naissance de l’Étoile Nord-Africaine (ENA) de Messali Hadj en 1928, puis du Parti du Peuple Algérien (PPA) et du Parti Communiste Algérien (PCA) en 1936.

Naissance de la rivalité avec les clubs pied noirs

Les autorités voient d’un très mauvais œil l’espoir suscité par le MCA qui s’est heurté dès sa naissance à une administration coloniale hostile à toute expression sociale, culturelle ou sportive musulmane, craignant qu’elle ne renforce le sentiment nationaliste des colonisés. Véritable club omnisports avec des sections de basket, de natation, de volley, de boxe ou encore de cyclisme, le Mouloudia est aussi “le creuset d’une intense activité culturelle et musicale, cultivant le théâtre et les actions de bienfaisance”, comme l’écrivent Mahdi Boukhalfa et Saïd Selhani. Plusieurs figures renommées du chaâbi, comme Hadj El Anka, El Hadj M’rizek ou Hadj Menouar, sont intimement liées au club.

Le MCA 1935/1936, Champion d’Alger de 1ére Division. L’équipe: Missoum, Dahmoun Ramdane, Derriche, Abed, Chelbabi, Hossen, Berzig, Jordan Albor, Mustapha Kerrarsi, Yamarène, Branki.

Entre 1928 et 1935, différentes circulaires du Gouverneur général de l’Algérie vont péniblement tenter de limiter leur influence, en imposant des quotas de joueurs non-musulmans. Malgré sa réticence, le MCA finira par aligner des joueurs européens, dont Victor Aberjoux, Jean Gomez ou Jacques Vittielo. Certains, considérés de facto musulmans par les autorités, seront exclus des quotas “européens”, à l’image du gardien de but Boualem Branki, né de mère franco-italienne. Le club se tournera aussi vers des joueurs sud-américains comme le sanguin argentin Jordan Albor qui portera fièrement le maillot du MCA de 1933 à 1942.

Les premières stars du club auront pour nom Amar Kheloui, Messaoud Chelbabi, M’hamed “Missoum” Sahnoun, Ali Yamarène, Kader Firoud, Mustapha Kerraressi qui sera enlevé à son domicile par les parachutistes de Bigeard en 1957 et que personne ne reverra. Parti du plus bas niveau, le Mouloudia attendra 1936, et un barrage mémorable face à l’OM – l’Olympique de Marengo – pour atteindre la Division d’Honneur, l’élite de ce football algérien divisé en trois régions: Alger, Oran et Constantine. Vaincre cette équipe soutenue par de riches propriétaires terriens de la Mitidja, farouches partisans de l’ordre colonial, c’est toujours l’occasion de porter un coup à l’arrogance du patronat pied-noir. Avant cela, le MCA a d’abord stagné en District jusqu’à son titre de champion de la division en 1927. Il rejoint alors la D2 algéroise, puis la D1 en 1931.

Les chahids du Mouloudia

Faute d’infrastructures à disposition, le MCA élit premièrement domicile hors de son berceau de la Casbah, sur le stade de Belfort dans le quartier d’El Harrach. Une localisation qui vaudra aux Mouloudéens d’être tantôt surnommés les “Lions de Belfort”. S’en suivront plusieurs saisons de nomadisme à écumer différents stades de la capitale sans s’y fixer. C’est seulement en 1938 qu’il obtiendra sa domiciliation fixe au stade de Saint-Eugène, partagé avec le club pied noir local: l’AS Saint-Eugène. L’ASSE est un des clubs fétiches de ceux qu’on appellera plus tard les “ultras” de l’Algérie française.

A l’aube de la 2nde Guerre mondiale, le club poursuit sa structuration. Il acquiert son premier siège en 1939, un espace offert par Mouloud Djazouli. Situé au 2, place de Chartres, à Bab Azoun en Basse-Casbah, le lieu accueillera de nombreuses soirées chaâbi, animées notamment par Cheikh Khelifa Belkacem. Il servira aussi de local au Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD) créé en 1946 par Messali Hadj en réponse à l’interdiction du Parti du Peuple Algérien. L’organisation sera très vite traversée par des crises et de violentes luttes de ligne, ponctuées de règlements de compte. La tendance messaliste en sortira fortement affaiblie.

Dans cet immédiat après-guerre marqué par les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, le Mouloudia remporte ses premiers titres majeurs: la Coupe Forconi, organisée par la Ligue d’Alger, en 1947 puis en 1951, à chaque fois face l’AS Saint-Eugène. Sous la présidence d’Abdellah Benhabyles, pharmacien et membre du MTLD, l’équipe est emmenée par Smaïl Khabatou, Omar Hahad et Sid Ahmed Kouar. Niveau politique, la répression des indépendantistes se durcit en 1957, avec la Bataille d’Alger en point d’orgue. Le club va compter son lot de martyrs, assassinés ou “disparus” de force: Kaddour Bourkika, Merzak Ouargli, Ali Basta et Mohamed Ferhani.

Les tribunes continuent le combat

Les chahids du club forgent la légitimité et l’aura anti-coloniale du MCA. L’année précédente, en avril 1956, le Mouloudia avait répondu à l’appel lancé aux clubs musulmans par le FLN de cesser toute participation aux compétitions officielles. Quelques semaines plus tôt, à l’issue d’un nouveau derby tendu face à l’ASSE, de violentes bagarres avaient éclaté entre supporters des deux équipes. L’intervention de la police fera de nombreux blessés. La séparation définitive entre clubs musulmans et pieds noirs n’allait plus tarder. Les équipes musulmanes réapparaitront le 7 octobre 1962, pour le premier championnat de l’Algérie indépendante.

Fresque aux couleurs du Mouloudia, en hommage à Ali la Pointe (©Panoramic)

Cette mémoire de lutte et de résistance est entretenue par les supporters. Les tribunes du MCA sont célèbres pour avoir accueilli le tout premier groupe ultra du pays: les Ultras Verde Leone en 2007. Le groupe a cessé ses activités en 2018 mais les graines semées continuent porter leurs fruits au sein du Virage Sud Mouloudéen où d’autres groupes sont apparus dans les années 2010 comme les Green Corsairs et The Twelfth Player. Nombre d’entre eux ont sans surprise pris part à l’importante contestation sociale du printemps 2019 contre Bouteflika et la clique au pouvoir.

Son âge d’or, le MCA va le connaître dans les années 70: cinq titres de champion, trois coupes d’Algérie, une Coupe des clubs champions africains. Porté par Ali Bencheikh, Abdesslem Bousri et Omar Betrouni, son triplé réalisé en 1976 reste à ce jour l’apothéose sportive de son histoire. Mais la physionomie du club va changer avec la réforme sportive de 1977 qui le verra passer aux mains de la Sonatrach, dépossédant ses membres historiques de tout pouvoir décisionnel. Les supporters n’ont jamais caché leur animosité envers le géant pétrolier et gazier. Ils en attaqueront le siège à Hydra en 2021, l’accusant de chercher à redorer son image sur le dos de la popularité du MCA. Pour certains d’entre eux, il s’agit même de “libérer le Mouloudia”.

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