Assez méconnue, la scène ultra suisse n’en est pas moins à prendre au sérieux. Nous avons échangé avec Mauro, qui retrace pour nous les particularités suisses du supportérisme organisé et nous parle des multiples facettes de la répression qui vise les tribunes du pays, notamment via la volonté d’instaurer les billets nominatifs.
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Salut Mauro, peux-tu nous parler un peu de ton parcours ?
Comme beaucoup d’autres avant d’intégrer un groupe je supportais le club phare de ma région et fréquentait le stade passivement mais régulièrement. Comme beaucoup aussi j’avais une vision complètement biaisée du monde ultra remplie d’a-priori. C’est en faisant des déplacements que j’ai découvert la réalité de la culture ultras lors de la saison 2007-2008. Je me suis vite rendu compte en les fréquentant de plus près que les valeurs ultras me correspondaient. J’ai activement intégré une entité 100% ultras autour des années 2010. Tout à donc commencé pour moi précisément à une période où la répression s’accentuait de manière drastique sur le mouvement. De ce fait la lutte contre la répression a toujours occupé une place importante dans ma réalité d’ultras…elle fait partie intégrante de mon activité dans et aux abords des stades.
Avec plusieurs langues et des réalités locales très différentes, le mouvement suisse est particulier: de l’extérieur, on a l’impression que les cantons germanophones sont assez proches du modèle italien, et les cantons francophones plus ressemblants de ce qui se passe de ce côté des Alpes. Tu en penses quoi ?
Je pense que cette description est un peu simpliste. La réalité est un peu plus subtile et complexe. De manière générale, effectivement, la Suisse est un pays où les différentes régions linguistiques sont largement influencées par les grandes nations qui les entourent. Mais la Suisse a cependant su développer sa propre identité, sa propre culture qui n’est pas seulement une juxtaposition de trois cultures étrangères. L’influence germano-italo-française se brasse pour former une espèce de tout, certes assez abstrait, mais pourtant bien présent et bien suisse. Notre territoire est très restreint et certaines régions sont carrément bilingues ce qui fait que ces trois influences sont très vite au contact les unes des autres. Les “Suisses romands” s’inspirent des “Suisses allemands” qui sont, inévitablement, aussi influencés par les “Suisses italiens”, et vice et versa.
Cette réalité s’applique également au monde des tribunes. Pour dire les choses de manière un peu simplifiée, historiquement et ce jusqu’à la toute fin des années 80, le supporter suisse est plutôt influencé par le modèle germanique. Le fan – le mouvement ultra n’a pas encore émergé à cette époque dans notre pays – c’est une espèce de mec avec un blouson en jeans avec plein de patchs et de pin’s dessus. Puis vers la fin des années 80, et surtout au début des années 90, la culture ultra’ fait son apparition via l’Italie. On revient alors sur ce que l’on disait avant sur l’influence de la proximité géographique et l’influence culturelle de nos voisins. Ce n’est en effet pas pour rien que la culture ultra’ apparaît en premier lieux à Lugano, la plus grande ville italophone située à une trentaine de kilomètres de l’Italie. C’est en 1985 que le premier groupe se revendiquant ultra’ y apparaît, non pas dans les tribunes d’un stade de foot mais dans une patinoire de hockey, avec la création des Ragazzi della Nord. Trois ans plus tard, un petit village de la montagne du Tessin forme un second groupe ultra’ dans une tribune de hockey. La culture ultra’ fait donc son apparition au fin fond d’une vallée perdue dans un village de 800 habitants pratiquement deux décennies avant d’arriver à Zurich qui est la plus grande ville du pays avec près d’un million d’habitants. On y voit bien le rôle que la proximité géographique joue dans le développement de cette culture en suisse. Naturellement les Romands s’y mirent rapidement au tout début des années 90. Peu importe où l’on se trouve en Romandie, en une heure de voiture on rejoint l’Italie. C’est donc par les opportunités de voyage que cette proximité géographique offre que la culture ultra émerge dans le football suisse via les grands clubs romands. Genève, Sion, Lausanne (au hockey pour ces derniers) vont très vite se doter de groupes ultras d’inspiration totalement italienne… On voit apparaître les premiers tifos dans les stades de foot suisses.
Le développement de la culture ultra est progressive et donc pas tout à fait uniforme entre germanophones et latins? Il y a encore des spécificités géographiques ou culturelles?
La Suisse alémanique reste pendant ces années figée dans le modèle germanique avant d’être à son tour contaminée par l’influence italienne de plus en plus visible chez ses compatriotes franco-italophones. Mais bien que s’y étant mis plus tardivement, les Suisses allemands vont rapidement rattraper puis dépasser les tribunes latines, du moins en terme quantitatif. Cependant lorsque des conceptions ultras plus germaniques ou françaises font leur apparition elles influencent inévitablement les Suisses dans un premier temps dans les régions géographiquement proches, avant d’influencer l’ensemble du pays. Actuellement il est donc difficile de dire que telle ou telle région adopte un style plus proche du modèle français, germanique ou italien. Certes les influences étrangères émergent généralement dans les régions géographiquement et culturellement proches des différents modèles, mais elles finissent par circuler dans l’ensemble du pays et s’influencer mutuellement. Ceci est d’autant plus important que, comme je le mentionnais précédemment, les germanophones cherchent à se distinguer des Allemands, les francophones des Français et les italophones des Italiens. Cela a pour effet que bien qu’en cherchant à se distinguer de leurs voisins directs, ils s’inspirent volontiers des autres influences présentes au sein du territoire. C’est comme ça que tu peux te retrouver en tribune avec des mecs au dress code très strict style germanique, exposant un tifo à l’italienne et chantant un “Aux armes” bien francais!
Néanmoins si on tient vraiment à mettre en évidence une distinction entre germanophones et latins, on peut éventuellement évoquer le modèle organisationnel des tribunes. Au-delà de leur taille plus importantes, les tribunes de Suisse alémanique sont en général constituées d’un nombre important de groupes de taille moyenne, regroupés sous une même entité leur permettant de coordonner leur activité. Zurich et sa Zürcher Sudkurve, Bâle et sa Muttenzenkurve, pour ne citer que ces deux, sont deux structures regroupant plus d’une dizaine d’entités, “ultras” à différents degrés. En Romandie et au Tessin les tribunes sont généralement organisées autour d’un ou deux groupes 100% ultras. Mais ce constat est de moins en moins valable dans la mesure où, ces dernières années, certaines tribunes romandes sont passées à un modèle organisationnel plus “germanique”. C’est le cas notamment à Sion et à Lausanne avec la création des associations Gradin Nord pour les premiers et Kop Sud pour les seconds. Le nombre d’entités réunies sous la même enseigne y demeurent cependant moins important que dans les grandes tribunes de Suisse alémanique.
Les images de gros cortèges et de craquages nous font parfois oublier les sanctions très dures qui ont touché des supporters, dans et hors des stades. Pour les lecteurs ne connaissant pas la situation suisse, comment se passe la répression des supporters dans la Confédération ?
Le supporter suisse s’expose effectivement à des mesures coercitives et des sanctions très importantes. Un ultra qui se fait identifier en allumant un fumigène par exemple, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur d’une enceinte sportive, peut se voir attaqué simultanément sur trois fronts législatifs. Premièrement via une forme de droit administratif privé régi par la Swiss Football League (SFL). C’est cette législation privée qui permet aux clubs et à l’Association Suisse de Football (ASF) de prononcer une interdiction de stade (IDS). Cette interdiction est prononcée pour une période allant de de 1 ans a 3 ans! Un recours a un effet suspensif mais qui est totalement anéanti par la deuxième vague répressive qui s’abat sur l’ultra en question, à savoir le droit administratif publique. En plus de l’IDS, les autorités policières ont la possibilité, et ne s’en privent pas, de prononcer une interdiction de périmètre (IDP) autour de l’ensemble des stades du territoire. Il s’agit là d’une mesure policière préventive. Cette mesure est certes juridiquement contestable, mais s’y opposer n’active pas d’effet suspensif. Autrement dit: non seulement cette mesure s’appliquera avant même que la culpabilité ne soit établie, mais en plus elle annihile totalement l’effet suspensif de l’IDS. Un individu pourrait voir son IDS levée le temps de l’enquête mais son IDP serait maintenue. Il pourrait alors théoriquement rentrer dans le stade… mais ne serait pas autorisé à s’en approcher!
Pire encore, admettons qu’il conteste son IDS de 3 ans, mais est finalement reconnu coupable après un an de procédure et se voit confirmer son IDS, cette dernière commencerai de zéro alors qu’il vient de purger un an d’IDP. Il se verrait alors éloigné des stades pendant plus de 4 ans! Cette situation pousse de nombreux protagonistes à ne pas forcément contester leur IDS sachant que, de toute manière, ils devront purger leur IDP. Ces mesures préventives prononcées par la police peuvent prendre, dans certaines circonstances, par exemple en cas de récidive, des formes encore plus coercitives avec une obligation de pointage les jours de match, voir même de la détention préventive.
La répression de l’usage des fumigènes semble être encore plus lourde qu’en France?
En plus de ces deux volets administratifs, l’artificier en question sera aussi attaqué sur le front du droit pénal. La législation en matière d’engins pyrotechniques est extrêmement stricte sur notre territoire. Le moindre petit pétard même pour enfant y est proscrit. Il en va de même pour tout ce qui touche aux fumigènes et aux torches. La simple possession d’un engin pyrotechnique même banal entraîne systématiquement une condamnation pénale pour infraction à la loi sur les explosifs. Il ne s’agit pas d’une simple contravention mais d’un véritable délit faisant l’objet d’une condamnation et d’une inscription au casier judiciaire. Comme le montre cet exemple, la situation sur le plan juridique est extrêmement pesante dans la culture ultra’ helvétique et les bases légales permettent la mise en place d’un système répressif dur, éprouvant et coûteux.
Ces procédures sont effectivement longues et coûteuses et s’enchaînent les unes avec les autres. En général les mesures administratives sont les premières à toucher l’individu concerné. Se passent alors souvent plusieurs années, le temps de purger son IDS et son IDP avant que la justice pénale, bien plus lente à s’activer, ne se rappelle au bon souvenir de l’individu et vienne le sanctionner alors qu’il reprend une vie quelque peu normale. Il ne faut pas négliger l’impact que la durée de ces procédures peut avoir. Se traîner une telle affaire pendant autant d’années n’est pas banal sur le plan psychique. Ces dernières années, un certain nombre a été condamné à des peines de prison ferme ou avec sursis pour des faits de violence dans le cadre de manifestations sportives.
Dernière précision, en Suisse l’utilisation d’engins pyrotechniques est définit comme un acte de violence et représente l’énorme majorité des actes sanctionnés dans le cadre des matchs de football. Ce détail a toute son importance. Ça permet de gonfler artificiellement les statistiques officielles sur la violence dans les stades. Publiés régulièrement, et trouvant depuis les années 2000 un large écho dans les médias, ces chiffres permettent aux autorités de justifier les dispositifs répressifs. Qui plus est, toute personne identifiée comme ayant commis des actes de violence est automatiquement intégrée à la base de données HOOGAN, gérée par la police fédérale et partagée au niveau national et international, via Interpol.
En termes de dispositifs de surveillance, de lois et de sanctions d’ailleurs, avez-vous vu une évolution au cours de ces dernières années ?
L’évolution a vraiment débuté dans les années 2000. Franchement, jusque là et d’après ce que racontent les anciens, les stades en Suisse c’était “open bar”. La répression s’y faisait très rare. Mais dès le début des années 2000 le thème du hooliganisme et arrivé très fort sur le devant de la scène notamment via la médiatisation à l’extrême des incidents entre tribunes. La vraie première vague de répression arrive peu avant 2008 et l’instauration d’un “concordat anti-hooligan”. Des incidents entre supporters du FC Bâle et du FC Zurich avait fait beaucoup de bruit à la fin de la saison 2005/06 et la thématique du hooliganisme n’avait cessé de prendre de l’ampleur dans les médias. Mais c’est avec l’Euro 2008, que notre pays a eu le malheur d’accueillir, que ce projet a été mis en place par les autorités. A la base, ce concordat, qui régit les dispositions sécuritaires dans le cadre des manifestations sportives, était d’ailleurs provisoire. Il devait servir à contenir et gérer les “hordes de hooligans” censées envahir et saccager notre paisible pays pendant l’Euro. La compétition s’est déroulée sans le moindre incident. Mais les autorités politiques ont alors exploité l’organisation des championnats du monde de hockey en Suisse pour prolonger son application. Là encore, l’idée était de se prémunir contre les hooligans du monde du hockey, même si personne n’a jamais entendu parler de ça dans le cadre de matchs internationaux! Cet événement s’est lui aussi déroulé sans le moindre incident, ce qui n’a pas empêché les autorités cantonales de définitivement implanter ce dispositif.
Une seconde vague a eu lieu en 2014 avec un durcissement de ce concordat. Encore une fois c’est la conjoncture d’une série d’événements qui a offert sur un plateau d’argent les arguments politiques pour justifier ce durcissement. La finale de la Coupe de Suisse 2013 avait donné lieu à quelques débordements fortement relayés dans les principaux médias. D’autres matchs durant la saison 2013-2014 avaient engendré des débordements, notamment un Bâle-Grasshopper mais j’en oublie certainement d’autres. Le fait est que ces incidents, pas forcément si importants, ont eu un impact médiatique puissant et ont créé un contexte permettant aux dirigeants politiques d’alourdir le dispositif et le rendre encore plus contraignant.
Une troisième vague répressive a profité de la crise sanitaire pour mettre en avant des idées qui en réalité existent depuis longtemps dans la tête de nos dirigeants: billets nominatifs, interdictions de déplacement, fermetures de secteurs visiteurs. Toutes ces idées sont revenues très fort sur le devant de la scène depuis 2020. Ces derniers attendaient juste le bon moment pour nous en reparler et les faire passer! L’évolution tend clairement vers un durcissement des mesures prises à l’encontre de supporters jugés trop véhéments! Mais il y a là encore une hésitation entre les différents modèles de nos pays voisins. Certains acteurs, en particulier dans le monde politico-policier, penchent vers le modèle italien du tout répressif. Les clubs sont plus favorables au modèle germanique, davantage orienté vers le “fan coaching”. Nous verrons ce que l’avenir nous réserve mais on ne peut pas dire que cela sente très bon.
Le Covid a accéléré la mise en place de mesures de surveillance sans précédent. L’exemple des lois passées, comme le concordat anti-hooligan de 2008, montre que les restrictions des libertés sont rarement levées, voir jamais. En tribune comme ailleurs, y a-t-il eu des mouvements de résistance importants pour vous ?
Historiquement le mouvement suisse s’est très peu engagé de manière unitaire face à la répression. Certes il y a bien eu des grèves, des contestations, diverses actions et ce pratiquement dès le début des hostilités. Mais à chaque fois il s’agissait de groupes ou de tribunes isolées. Il y a eu quelques banderoles au fil des vagues répressives notamment contre le concordat mais jamais rien de très coordonné au niveau national.
Les seuls à avoir obtenu quelque chose de concret ce sont les Bâlois, en réussissant via le milieu politique à ne pas faire accepter le concordat anti-hooligan dans leur canton. Ce concordat entre les “ministre de la sécurité” des différents cantons devait en effet être accepté au sein des grands conseils cantonaux. Or à Bâle, le projet a été refusé par les élus et, de fait, le concordat ne s’y applique pas. Dans quelle mesure les ultras ont-ils réellement influé sur ce rejet, nous ne le saurons probablement jamais. Mais ils font partie de ceux qui avaient le plus activement milité contre ces mesures répressives.
Avec le Covid les choses ont un peu bougé. Les tribunes du pays ont commencé à se coordonner et tenté d’adopter des postures communes. Nous verrons dans quelles mesures ça portera ses fruits. Le simple fait que le front de lutte s’unisse est déjà en soit une avancée.
Cet hiver, des groupes ultras ont été à l’initiative d’une campagne commune, pour s’opposer aux nouvelles restrictions “exceptionnelles” prenant comme prétexte la lutte contre la pandémie en Suisse.
Cet automne, la culture ultra’ suisse a été attaquée simultanément sur deux fronts. D’un côté via le milieu politico-policier et la mise en place du système de billet nominatif. De l’autre via la SFL qui s’oppose au billet nominatif mais qui a instauré de fait durant la fin de l’année 2021 une fermeture des secteurs visiteurs dans tous les stades du pays. Mais il n’est pas tout à fait vrai que le prétexte de la pandémie ait totalement couvert les intentions des différents acteurs. Le monde politico-policier a clairement affiché ses intentions de contrôler les ultras en adoptant un régime drastique avec les billets nominatifs. Ils ne se sont pas cachés derrière le prétexte de la pandémie pour avancer leur argument. En revanche, ils ont bénéficié du contexte d’augmentation du contrôle social avec la gestion sanitaire de la pandémie pour avancer leur pion dans un monde déjà prompt à adopter ce genre de mesures. Les clubs et la SFL quant à eux, ont bel et bien utilisé des arguments sanitaires pour mettre en place des mesures sécuritaires comme la fermeture des parcages visiteurs.
Il y avait déjà des contacts autour de la thématique de la répression, mais c’était les latins de leur côté et les germaniques de l’autre. Il n’y avait pour ainsi dire aucun contact entre les deux parties. La pandémie a eu cet effet positif de nous rapprocher, de nous forcer à tenter de nous coordonner pour apporter une réponse la plus unitaire possible face à la situation qui se présentait à nous. Dès 2020 des réunions entre toutes les tribunes suisses ont eu lieu pour déterminer une position commune autour de la reprise et la fin du championnat à huis clos. La question à ce moment précis était de savoir si les groupes s’opposaient à la reprise du championnat en pleine pandémie. Nous n’étions pas tous du même avis et aucune position commune a pu être établie. Chacun a fini par faire ce qu’il voulait et de toute façon tout le monde était hors des stades, tout se jouant à huis clos. Certains ont fait des communiqués communs, d’autres seuls dans leur coin.
Voir les groupes du pays parler d’une seule voix, c’est historique, non ?
A la reprise, il a fallu se positionner sur les conditions acceptables pour permettre un retour des groupes au stade. Là encore il a été difficile de trouver une position commune, nos réalités étant parfois si différentes. Mais nous avons au moins réussi à établir une liste de quatre points essentiels. Des sortes de conditions qui nous paraissaient indispensables avant de pouvoir retourner au stade. Cela a plutôt été bien respecté. Au même moment, le canton du Valais a décidé d’imposer unilatéralement le billet nominatif à l’ensemble du stade. Le projet, porté par un acteur politique majeur du canton ainsi que le président du club du FC Sion, datait d’avant mais il rencontrait une forte opposition. Le contexte sanitaire leur a permis de faire passer ce projet en force. Ils se sont alors heurtés à une vague de contestation du monde des tribunes suisses. Le projet a vite été abandonné… du moins par ces deux acteurs régionaux.
Une autre urgence s’est ensuite présentée à nous en automne 2021 à travers la volonté affichée de la part des dirigeants politiques d’introduire le système de billet nominatif pour toute la Suisse dès la saison 2022-2023 et de la part des clubs et de la SFL d’interdire ou limiter les parcages visiteurs. C’est à cette occasion qu’un communiqué unitaire, signé par les différentes tribunes de Super League, a pu être publié. Cela n’avait effectivement jamais été fait auparavant dans notre pays.
On imagine que ça n’a pas été facile de mettre tous ces groupes autour de la table, au regard des rivalités et des réalités locales…
Les choses se sont faites assez facilement et sans incident en ce qui concerne la mise en relation. Tout le monde a été assez intelligent pour mettre les rivalités de côté et prendre en considération les intérêts communs que nous défendions. De toute façon, nous n’avions pas le choix, il en va clairement de la survie de nos groupes. On peut dire que le fait de subir ces violentes attaques contre notre culture nous a forcé à nous rapprocher. La mise en place d’un tel réseau a été relativement facile mais son fonctionnement beaucoup moins. Les différences de réalités des tribunes et les intérêts parfois trop divergents rendent beaucoup plus compliquées la prise de décision collective et l’adoption d’une stratégie commune. Il est très difficile, au-delà de la barrière de la langue, d’adopter des postures communes. Parfois, au regard de certaines tribunes organisées autour de nombreuses entités, il est parfois même difficile de dégager une position commune en interne. Alors quand il faut en trouver une qui conviennent à tous les acteurs de la scène ultra du pays, cela n’est pas évident. C’est quelque chose de tout nouveau et c’est normal que cela mette du temps à être en place.
Parmi les supporters, quels sont les modes d’action que vous avez adoptés pour faire valoir vos droits et contester les restrictions ? On a vu des messages repris dans plusieurs tribunes…
Les modes d’actions sont restés relativement classiques. Cet automne un slogan a été défini au niveau national pour lutter contre le billet nominatif et a été systématiquement exposé par l’ensemble des groupes de Super League. C’était aussi une première dans l’histoire du mouvement suisse. En parallèle, certains contre-parcage ont été organisés pour dénoncer l’absurdité de la fermeture des secteurs visiteurs, parfois communément ou de concert entre les différents protagonistes, parfois chacun dans son coin sans tenir compte des actions des autres. Une grève en tribune a également été mise en place et respectée par l’ensemble des groupes. Il y a eu, durant cette dernière période de contestation, hors stade ou en contre-parcage, une espèce d’accord ou de pacte de non-agression entre l’ensemble des tribunes qui a été passablement respecté.
Après plusieurs mois, on en est où aujourd’hui ?
Actuellement tout est en stand-by. Après les annonces, les contre-annonces, les contestations, les contre-propositions, on est revenu à ce qui se faisait avant. Mais pour combien de temps? Le projet de billet nominatif est un projet politico-policier qui – bien que contesté par les clubs, la SFL et les groupes de supporters – a toujours le vent en poupe dans un milieu politique sous forte pression policière. Et, au final, c’est quand même toujours eux qui finissent par décider. Le contre-projet d’interdiction ou restriction de déplacement proposé par la SFL est plus flou en ce qui me concerne. Ont-t’il fait ça pour calmer les ardeurs du monde politico-policier ou y croient-il vraiment? Pour l’instant ils ne semblent en tout cas pas revenir à la charge avec ce projet, ce qui semble indiquer qu’il a surtout servi à temporiser et à satisfaire les autorités politiques. Néanmoins la volonté de régir et contrôler davantage le monde des tribunes existe clairement au sein de la SFL.
Merci pour cette interview, et bien du courage à vous dans la lutte. Un dernier mot pour la fin ?
Merci à vous pour, de manière générale, l’excellent travail que vous proposez. Gratuitement en plus! Merci également dans ce cas précis d’offrir un peu de visibilité au mouvement ultras en Suisse. Je pense qu’il est important de s’intéresser à ce qui se fait à côté de chez soit en particulier lorsque l’on parle de politique répressive. Les modèles établis dans un pays finissent toujours par s’exporter ou du moins en nourrir d’autres ailleurs. Les ultras doivent savoir se montrer unis, à l’intérieur de leur groupe et entre tribunes, car la solidarité demeure à ce jour la meilleure des armes dont ils disposent pour faire face à ce qui les attend… Longue vie au mouvement ultra!
Propos recueillis par Seb.
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— Dialectik Football (@DialectikF) April 3, 2022