
Un nouveau club français vient de se faire happé par la multipropriété. Officialisée à la fin du mois de juin, la vente du HAC à fonds américains à de quoi susciter des inquiétudes chez les amoureux des Ciel et Marine.
Pendant dix ans, Vincent Volpe, homme d’affaires texan qui a fait fortune dans le gaz de schiste, a été propriétaire du Havre Athletic Club. Comme il le proclamait publiquement depuis plusieurs années, il souhaitait vendre le club. Après le maintien du HAC, qui disputera sa troisième saison consécutive en Ligue 1, c’est désormais chose faite. FCI, la société créée par Vincent Volpe avec son épouse, son frère et sa sœur, domiciliée au Luxembourg pour des raisons évidentes et qui détient 96% du capital du HAC, vient d’être rachetée par le fonds d’investissement américain Blue Crow Sports Group (BSCG). Le groupe est situé à Houston, où Vincent Volpe vit la plus grande partie de l’année. En plus du HAC, BCSG possède déjà le CD Leganés, le Cancún FC et envisage d’acquérir l’AC Monza dans un futur proche, avec pour objectif affirmé de posséder huit clubs d’ici 2030.
Lors de la conférence de presse qui visait essentiellement à répondre aux inquiétudes des supporters, aux côtés de Jeff Luhnow, président de BCSG, Vincent Volpe a pu insister sur les réussites du groupe à qui il a décidé de vendre le HAC. Il a notamment cité les résultats obtenus dans le baseball, avec la victoire des Astros de Houston en 2017 aux World Series (championnat professionnel des USA). Vincent Volpe s’est cependant gardé de préciser que, pour gagner, le club de Houston avait triché en utilisant une caméra pour observer au sein de l’équipe adverse les signaux de la main des receveurs en direction de leurs lanceurs. Grâce à cet espionnage qui dévoilait les types de lancers à venir, les batteurs de Houston pouvaient ainsi s’adapter aux plans de leurs adversaires. Suite à ces révélations, le club texan avait conservé son titre mais écopé d’une amende de cinq millions de dollars. Luhnow avait été licencié de son poste de directeur général.
Blue Crow a déjà fait disparaître deux clubs
Aussi, la multipropriété de clubs de football génère plusieurs inquiétudes chez les supporters. Ce sont d’abord les exemples lyonnais et bordelais qui nous viennent à l’esprit, clubs historiques relégués en raison de leurs dettes. De la même façon qu’une chaîne de magasins ou un groupe industriel peut décider de fermer ou de cesser d’investir dans un site moins rentable ou à l’intérêt insuffisant au vu d’une stratégie globale, un fonds d’investissement, sans attache à une histoire et une réalité locales peut décider en quelques semaines de liquider un club de football. D’ailleurs, comme le remarque le média Hacmen.fr, le groupe Blue Crow vient de faire disparaître deux clubs professionnels qu’il détenait. Le premier, le MFK Vyskov, qui évoluait en deuxième division tchèque, repartira au niveau amateur la saison prochaine. Alors que la Ligue demandait au MFK Vyskov de mettre son stade aux normes, le fonds d’investissement a préféré lâcher le club. Le second, l’Elite Falcons, situé à Dubai, vient de disparaître. En deuxième division des Émirats Arabes Unis, ce club sans histoire ni supporters servait essentiellement à former et valoriser des joueurs africains, ensuite revendus sur le marché mondial. Les résultats sportifs ayant dépassé les espérances des propriétaires, Elite Falcons a été promu en première division. Puisque le nombre de joueurs étrangers alignés sur une feuille de match est limité dans l’élite émiratie, le club vient d’être liquidé.
Lors de sa conférence de presse au Havre, Jeff Luhnow a tenu à affirmer qu’aucun des clubs possédés par son groupe ne deviendrait la succursale d’un autre. Il répète qu’il comprend l’attachement des supporters havrais à l’histoire et à l’identité du club doyen. On pourrait se borner à répondre que les promesses n’engagent que ceux qui les croient. On peut aussi remarquer que différents points de son discours entrent directement en contradiction avec de telles promesses. Bien qu’il annonce maintenir Mathieu Bodmer et son équipe à la direction sportive du HAC, Jeff Luhnow insiste sur les capacités technologiques de son groupe pour repérer et évaluer les performances des joueurs. Rapidement, l’existence de deux équipes de direction sportive et de recrutement, une liée au club, l’autre à un fonds d’investissement qui possède ses intérêts propres, pourrait nous faire passer de la complémentarité aujourd’hui mise en avant à la mise à jour d’intérêts divergents. Récemment, dans un article présentant Blue Crow Sports Groupe, le magazine Foot Normand écrivait : « Il ne faut pas s’y tromper, l’idée à moyen terme derrière ce système de multipropriété (car il s’agit bien de cela) est de transférer les joueurs d’une entité à une autre, en fonction de leur niveau, de leur évolution et de leur progression. À noter également que BCSG développe une activité de scouting en Afrique. »
Quelle adaptation de BCSG à la réalité havraise?
Aussi, tout au long de sa conférence de presse, Jeff Luhnow a insisté sur la réussite commerciale du club de Cancún, élu « le plus cool du monde » grâce à sa « fan experience ». Cette conception du club en tant qu’entreprise vendeuse de nombreux services toujours plus innovants vise à diversifier les revenus de l’entreprise. Au milieu des moments au restaurant ou à l’hôtel du club, des sorties touristiques vendues en même temps que la place en tribune, l’expérience du match n’est qu’un élément parmi d’autres. Si cette conception est critiquable car elle entend écraser le supportérisme en tant que sociabilité et vie associative sous le poids de l’industrie du tourisme, il semble d’autant plus absurde de prétendre plaquer sur le HAC, fondé en 1872 et lié aux classes populaires de la ville, les pratiques développées au Mexique au sein d’un club créé en 2020. Le même manque d’adaptation de Blue Crow Sports Group aux réalités locales s’est manifesté la saison dernière dans le prix des places pratiqué à Leganés, banlieue ouvrière de Madrid.
Enfin, alors que le SM Caen, le FC Rouen et l’US Quevilly évolueront deux échelons en dessous du HAC la saison prochaine, Jeff Luhnow a insisté sur le fait qu’il ne s’agissait plus seulement d’être le club numéro un de Normandie mais de dominer totalement la région. Jusqu’alors, le HAC a entretenu des relations correctes voire bonnes avec de nombreux clubs normands, professionnels et associatifs. Si Jeff Luhnow souhaite que son inscription dans le maillage local soit maintenant définie par sa volonté d’écraser la concurrence sur un marché, il n’est pas sûr que le HAC en sorte grandi aux yeux de nombreux Normands…
Leave a Reply