
En menant la sélection féminine suisse en 1/4 de finale de l’Euro 2025 disputé à domicile, Pia Sundhage a rempli sa mission. Plusieurs observateurs attribuent cette qualification historique à l’état d’esprit insufflé par la sélectionneuse suédoise à ses joueuses. Portrait d’une figure emblématique du football féminin international.
Après avoir été à la tête de l’équipe nationale féminine du Brésil entre 2019 et 2023, Pia Sundhage a pris les rennes de la Suisse en 2024 avec l’objectif de bâtir un projet solide autour de l’Euro 2025. Affronter la sélection espagnole en 1/4 de finale est comme un cadeau, un appel à créer l’exploit. « Les joueuses ont davantage confiance en elles lorsqu’elles sont au top de leur forme », a expliqué Pia Sundhage qui applique les préceptes de management qui en ont fait une des toutes meilleures coachs de l’histoire du football féminin, à la même table que Jill Ellis et Sarina Wiegman.
Son expérience fait autorité et la fédération helvète y a vu la figure idéale pour faire passer un cap à l’équipe. Originaire de la région de Göteborg, Pia Sundhage a le football dans les veines. Avant de devenir une coach incontournable, elle a été une des meilleures footballeuses du monde avec une carrière longue de 22 ans. Contrainte, jeune, de se camoufler derrière un prénom masculin pour pouvoir jouer au football, elle a honoré sa première cape en équipe nationale à seulement 15 ans.
Avec ses 71 buts en 146 matchs sous le maillot suédois, elle a d’ailleurs longtemps été la meilleure buteuse de la sélection avant d’être détrônée par Hanna Ljungberg, puis Lotta Schelin. Auteure du tir au but victorieux lors de l’Euro 1984, elle est aussi connue pour avoir inscrit le premier but du premier match féminin joué à Wembley. « C’était énorme. Je me souviens de l’émotion d’être sur ce terrain légendaire. Marquer ce but a été un moment fort de ma carrière », a-t-elle raconté plus tard.
« Je suis rouge! »
Après avoir raccroché les crampons en 1996, elle rejoint le staff de la sélection nationale pour les grandes compétitions, avant de partir aux États-Unis, une des patries du football féminin. Là-bas, elle prend place sur le banc des Philadelphia Charge, puis des Boston Breakers. Elle y est élue “meilleure entraîneur de l’année” en 2003 et forge sa réputation. En novembre 2007, elle remplace Greg Ryan à la tête d’une sélection féminine américaine qui sort d’une décevante troisième place en Coupe du Monde, avec une petite humiliation subie face au Brésil en 1/2 finale. Pia Sundhage est alors apparue comme le visage d’une nécessaire révolution. Celle-ci se traduira par deux médailles d’or olympique (en 2008 à Pékin et en 2012 à Londres) et une finale lors de la Coupe du monde 2011, perdue aux tirs au but face au Japon.
Ce que Pia Sundhage a construit aux States, c’est une équipe quasi invincible avec la statistique impressionnante de 91 victoires en 107 matchs, pour seulement 6 défaites. Triompher chez l’Uncle Sam est un paradoxe pour celle qui est connue en Suède pour une certaine proximité philosophique avec le Parti Communiste et son journal Proletären. Certains médias relèvent aussi qu’elle a déjà effectué un don de quelques milliers d’euros au Proletären FF, une équipe de football communiste de Göteborg. « Je suis rouge! », avait-elle d’ailleurs déclaré au média suédois Expressen. « Je ne crois pas au capitalisme. Je crois dans le fait de faire les choses en commun ».
Pia Sundhage s’est aussi exprimée sans détour sur son homosexualité, ce qui en fait une voix qui porte pour la cause LGBTQ+ dans le sport. « Si les gens me posent la question, je réponds: “Oui, je suis lesbienne”, et c’est comme ça. Je n’ai jamais eu de problème à cause de cela… C’était difficile quand j’avais vingt ans en Suède, mais je m’en fichais. C’est moi. À prendre ou à laisser. » Si elle a pu raconter que cela avait été plus compliqué durant sa jeunesse, être ouvertement gay ne lui avait jamais posé dans son travail. Encore moins à la tête de la sélection américaine.
« Pas son genre de papoter gentiment avec George W. Bush »
Les succès de l’équipe nationale américaine lui vaudront d’être invitée à la Maison Blanche. Elle refusera une première fois de s’y rendre, invitée par George W. Bush avec l’équipe, après la victoire aux JO 2008. Elle s’offrira le luxe, trois ans plus tard, de récidiver en déclinant l’invitation de Barack Obama. « Qu’est-ce que j’irai faire là-bas? », avait rétorqué Sundhage à ceux qui l’avait questionnée à ce sujet. « C’est une décision facile, je ne suis pas intéressée, et je ne trouve pas cela amusant ».
Serrer la main des présidents américains qui répandent la guerre en Afghanistan et en Irak, ce n’est pas trop la tasse de thé de cette immense fan de Bob Dylan. Ceux qui la connaissaient vraiment à l’époque n’ont pas été surpris. Pour Ivar Andersen, rédacteur du journal Dala-Demokraten, « c’est une socialiste convaincue, ce n’est pas son genre d’aller à la Maison-Blanche pour papoter gentiment avec George W. Bush. Pia connaît ses convictions politiques ».
Des idées solidement ancrées à gauche qu’elle a su transposer dans le monde du football capitaliste avec un management réputé bienveillant, sécurisant et structuré. Pour tirer le meilleur des individualités, elle travaille beaucoup sur la confiance en soi. « J’essaie d’utiliser mon langage corporel pour souligner ce qui est positif. Je cherche les choses réussies, plutôt que de corriger constamment les erreurs », a-t-elle expliqué en 2011 dans une interview.
Une pionnière
Dans sa carrière, Pia Sundhage a su tirer le meilleur de joueuses aussi iconiques que Megan Rapinoe, Abby Wambach et Hope Solo aux États-Unis, ou encore Marta et Cristiane au Brésil. On lui reconnaît une grande capacité à gérer les égos et à fédérer autour de son projet. Elle privilégie les valeurs collectives, l’intelligence de jeu, et la progression mentale des joueuses, ce qui en fait une formatrice autant qu’une tacticienne.
Un de ses outils est le ratio de “sept retours positifs pour une critique négative”. Ce qui ressemble sur le papier à une formule magique dérivée de la psychologie positive entrepreneuriale a pour effet de limiter la peur de l’erreur chez les joueuses et de débloquer la prise d’initiative. Ivar Andersen a plaidé dans une tribune pour que Pia Sundhage soit nommée sélectionneuse de l’équipe masculine. Mais même en Suède, le monde du football n’est pas prêt pour ce type de chamboulement. Pas encore.
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