Depuis 2009 et son rachat par la multinationale Red Bull, le RB Leipzig a fait du chemin. Parti de 5e division, le club a atteint la Bundesliga en 2016 et s’est qualifié pour la Coupe d’Europe pour la troisième saison d’affilée. Mais cette réussite sportive bâtie sur le mécénat de Red Bull a un prix : une haine unanime de la part de ses adversaires qui fustigent le côté artificiel de ce « club en plastique ». Même si à force, sa présence tend à se normaliser.
Dans un papier écrit pour le site de la revue Panenka en 2016, Alena Arregui remontait aux sources du RB Leipzig, un club qui n’aurait jamais vu le jour sans le voyage que fit Dietrich Mateschitz en Thaïlande en 1984, époque où il est représentant dans les cosmétiques. C’est en effet là-bas qu’il créa la marque de boisson énergisante Red Bull qui devint le business ultra lucratif qu’on connaît aujourd’hui. Mateschitz, en fan affirmé de Donald Trump, développe ses affaires comme un petit empire. Il s’était même mis en tête de développer un média “indépendant” sur le modèle de Breitbart News, média étasunien d’extrême-droite.
“Nein zu RB !”
En 2006, les affaires de Mateschitz, devenu multimillionnaire, sont au beau fixe. Via Red Bull, dont il cherche à étendre la galaxie, il lorgne avec insistance sur le milieu du football, persuadé d’y rencontrer la gloire et l’argent qui va avec. Fort de son écurie de Formule 1 qui joue déjà les premiers rôles, la firme au taureau rouge avait aussi mit une roue dans le sport extrême avant de s’attaquer au ballon rond. Salzbourg, New-York puis Sao Paulo voit des franchises Red Bull fleurir. Mais Mateschitz peinait à trouver un club allemand qui accepterait de tirer un trait sur son histoire pour servir une vaste opération marketing. Il essaya sans succès avec Sankt-Pauli, Munich 1860 et le Fortuna Düsseldorf et buta sur des murs de supporters hostiles à l’idée de voir leur club franchisé de la sorte. Finalement, il mit la main en 2009 sur le SSV Markranstädt, petit club surendetté de la banlieue de Leipzig. Dans un contexte sportif délicat pour les clubs de l’ex-RDA, dont quasiment aucun n’avait jusqu’ici réussi à s’installer durablement dans l’élite, il injecta d’emblée plusieurs dizaines de millions d’euros dans cette entreprise sportive rebaptisée RB Leipzig. “RB” pour RasenBall. Des initiales qui rappellent volontairement celles de Red Bull. Une manière de contourner la réglementation stricte interdisant le naming dans le football allemand.
Mateschitz promit d’emblée d’atteindre la Bundesliga en dix ans. Dopé par ces fonds sans précédent à ce niveau là, le RB Leipzig remplit l’objectif en sept ans avec une équipe de moins de 23 ans de moyenne d’âge. Le club est aussi devenu propriétaire du vieux Zentralstadion qui a été rénové pour mieux être rebaptisé Red Bull Arena. Le club incarne une antithèse du modèle de gestion des clubs en Allemagne, régie par la règle du 50 + 1 (qui limite à 49 % les parts qu’un actionnaire peut acquérir, laissant généralement la majorité aux associations de supporters). Mais il trouve certains alliés parmi les clubs comme Hanovre qui aimeraient revoir ce modèle. D’ascension en ascension, Leipzig se découvrit un public qui augmenta de façon constante. « Mais il y avait quelque chose sur laquelle il ne pouvait avoir aucune prise: être considéré comme le club le plus détesté du pays » précise Alena Arregui.
Couveuses de luxe
Plus le RB Leipzig gravit les marches, plus il provoque le dégoût et la haine chez ses adversaires. Au pays des Traditionsvereine, ces clubs historiques qui ont façonné la Bundesliga, comme le Borussia Dortmund, le Bayern Munich, Schalke 04, Kaiserslautern ou encore Munich 1860, l’ascension express de ce « nouveau riche » leur disputant la part du copieux gâteau est vue d’un mauvais œil. Côté fans, plusieurs groupes se joignirent à la campagne “Nein zu RB !” (Non au RB!). En 2016, les fans des 19 autres clubs de Bundesliga y prirent part et affichaient régulièrement leur opposition à cette équipe sans tradition ni histoire, bâtie sur les dollars de Red Bull. De nombreuses banderoles fleurirent contre le football moderne et le rachat de clubs par des milliardaires sans attaches et aux fonds illimités. En protestation, certains supporters décidèrent aussi de boycotter les déplacements à Leipzig. Le club de Aue, évoluant en 2e division, fut même sanctionné d’une amende conséquente pour une banderole comparant Mateschitz à Hitler et les fans du RB à des nazis, déployée par ses supporters.
Pourtant Leipzig n’a pas bâti son projet sur des recrutements clinquants. Dès sa première saison en Bundesliga, le RB Leipzig finit 2e. Un succès qui porte la patte du coach Ralf Rangnick, aujourd’hui directeur sportif du club, qui s’est appuyé sur la jeunesse comme Timo Werner et Naby Keita, transfuge de la franchise jumelle de Salzbourg après avoir été élu meilleur joueur d’Autriche. Une saison qui a esquissé la stratégie de Leipzig basée sur la valorisation de joueurs dit « à fort potentiel », en post-formation. Le but est d’investir sur ces jeunes joueurs à moindre coût dans l’idée de réaliser une importante plus-value derrière à la revente, comme avec Naby Keita revendu à prix d’or à Liverpool. Et comme ils envisagent de le faire sous quelques années avec Jean-Kévin Augustin, Timo Werner ou encore Ademola Lookman, tout juste recruté à Everton pour 23 millions d’euros. Une méthode dont des clubs comme Porto ou Monaco se sont faits les spécialistes dans un passé récent. Mais avec Salzbourg, le RB Leipzig bénéficie en plus d’une couveuse de luxe où certaines de ses jeunes pousses peuvent se faire les dents à un haut niveau. En attendant, malgré les millions Mateschitz, pas de noms ronflants dans l’effectif du club aux deux taureaux et toujours avec 23 ans de moyenne d’âge. Une jeunesse poussée jusqu’au recrutement de Julian Nagelsman, coqueluche chipée à Hoffenheim et plus jeune coach de l’histoire de la Bundesliga. Une ascension personnelle encore plus rapide que celle du RB Leipzig.
Le rêve de Mateschitz de voir le RB Leipzig remporter la Bundesliga avant ses 80 ans est devenu crédible. Bien sûr, avec de l’argent tout est plus facile. Le club s’est imposé comme la “troisième puissance” du football allemand. Aujourd’hui, le temps aidant, les manifestations “anti-RB” se sont estompées. Seuls les fans de Dortmund et quelques autres entretiennent cette rivalité, mais son image, malgré les lingots de son propriétaire, reste celle d’un “club en plastique”.
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