« Ultras no politica » ? Politique dans le derby occitan Montpellier-Nîmes

Les rapports entre tribunes de foot et politique sont l’objet de beaucoup de déformations, de non-dits et de fantasmes. La perception militante des tribunes n’échappe pas à la règle : tel groupe ultra serait « faf », tel autre « antifa »… Des étiquettes souvent collées par des personnes extérieures, se fondant plus sur des rumeurs et des symboles que sur une véritable connaissance de ces groupes dont la majorité échappe aux classifications faciles. Le derby entre Montpellier et Nîmes en est une bonne illustration.

Il est vrai que certains clubs sont connus pour l’orientation politique de groupes de supporter ; l’antifascisme des South Winners marseillais ou les tendances nationalistes des ultras et indeps du Virage Sud lyonnais sont connus. Mais l’immense majorité des groupes échappent aux classifications faciles. Plus on s’y intéresse, plus la complexité des rapports à la politique est frappante.

Des tribunes apolitiques ?

Les groupes ouvertement politisés étant l’exception, c’est l’apolitisme qui semble dominer les tribunes – et notamment les groupes se revendiquant du mouvement ultra. Un slogan récurrent est « ultra no politica ». Vraiment, pas de place pour la politique en tribune ? Cette façade recouvre en fait des réalités assez diverses. Entre la composition, le style et l’histoire de groupes tels que les Magic Fans stéphanois, la Brigade Loire nantaise ou les Armata Ultras montpelliérain, on voit apparaître différentes conceptions de l’apolitisme. Les Armata revendiquent ainsi une identité antifasciste mais apolitique. Alors que leurs homologues nantais ont tenté de dépolitiser une tribune qui comprenait auparavant une large frange d’extrême droite. S’afficher apolitique correspond avant tout à une stratégie : minimiser les facteurs de dissension internes à la tribune, éviter de superposer les conflits et rapprochements politiques à ceux du stade, et surtout ne pas attirer une répression de l’État et des instances sportives. Les groupes ultras ou hooligans politisés sont en effet particulièrement surveillés par les autorités.

Si il y a un vrai refus de la politique « partisane » dans les tribunes, celui-ci n’est pas surprenant. La méfiance vis-à-vis de toute récupération politique se retrouve également dans les quartiers prolétaires, où d’autres formes d’organisation prennent le relais (bande de potes, collectif, asso…). D’ailleurs, les ultras, plus structurés que les fans et assumant une identité collective revendicatrice contrairement aux indeps, portent aussi des revendications directement politiques. Des regroupements nationaux ont pu exister malgré les divergences de vue et les tensions entre les groupes. On se souvient de la manifestation nationale exigeant la justice pour Casti, jeune supporter montpelliérain éborgné par un tir de flashball alors qu’il était assis en terrasse. Une démonstration d’unité sans lendemain. C’est aujourd’hui l’Association Nationale des Supporters qui prend le relais (elle ne regroupe cependant qu’une partie des groupes ultras). La plupart des mobilisations ultras visent à lutter contre la répression : interdictions administratives et des interdictions de stade (« liberté pour les IDS »), pénalisation des engins pyrotechniques (« no pyro, no party »), amendes individuelles ou visant le club,… La liste est longue, les stades étant depuis longtemps un laboratoire d’expérimentation des politiques répressives ensuite appliquées au reste de la société. Le dernier épisode en date est la polémique entourant les chants homophobes dans les stades, et la réponse des groupes ultras avec une série de messages et d’actions protestant contre ces critiques, s’en moquant, ou assumant la provocation – tout en demandant qu’un vrai débat soit ouvert sur la répression des supporters. Sans succès, le ministre de l’intérieur étant catégorique, contrairement à son homologue des sports.

Mais cette culture revendicatrice propre au mouvement ultra n’est pas sans ambiguïté. Les groupes se placent dans un rapport de force permanent avec leur club : entre l’affrontement direct menant à la dissolution des groupes et la bonne entente permettant d’obtenir quelques avantages, il existe toute une série d’interventions intermédiaires : grève des encouragements, messages contestataires, manifestations, autocollants, chants rebelles… Avec bien sûr un rapport conflictuel au club et à son président, allant de l’admiration acritique pour un président apprécié et paternaliste (« Loulou » Nicollin à Montpellier), au rejet radical d’un millionnaire étranger rachetant le club (Waldemar Kita à Nantes). Ce qui n’empêche pas les passages d’une position à l’autre, comme pour le Collectif Ultras Paris qui exprime selon les périodes sa gratitude ou sa méfiance envers Nasser al-Khelaïfi. Mais revenons à notre derby.

L’exemple de la rivalité entre Nîmes et Montpellier

Le mercredi 25 septembre, le Montpellier Hérault Sport Club (MHSC) affrontera les crocodiles du Nîmes Olympique à domicile, au stade de la Mosson, dans le quartier populaire de la Paillade. Il s’agit d’un des derniers derby de Ligue 1 « chauds », avec une vraie rivalité sur le terrain comme en tribune, entre deux villes occitanes proches mais concurrentes. Cette tension a des racines historiques réelles. Nous avons d’une part Montpellier, ville médiévale languedocienne, dont la prospérité récente est due au commerce, aux nouvelles technologies et à ses universités. Ce centre viticole s’est développé après la seconde guerre mondiale avec l’immigration, l’arrivée des pieds-noirs et l’explosion du nombre d’étudiants. D’autre part nous trouvons Nîmes, cité romaine provençale devenue une ville ouvrière avec auparavant une forte culture communiste (comme Alès ou Sète). C’est une cité plus petite, touchée par la désindustrialisation, et ne bénéficiant pas du dynamisme montpelliérain.

Mais au-delà de ces différences, il faut bien admettre que des points communs existent, que l’on retrouve dans les tribunes des deux clubs – pourtant mortellement ennemies. A la Paillade, le mouvement ultra se développe historiquement autour de la Butte Paillade 1991 qui revendique une mentalité sudiste ainsi qu’un métissage symbolisé par le triptyque « arabes-blancs-gitans ». La culture occitane est mise en avant par la BP comme par les Camarga Unitat, autre groupe ultra formé en 2011 un an après le titre remporté par le MHSC. Enfin, les Armata Ultras – seul groupe ultra encore en activité aujourd’hui suite à la mise en sommeil de la BP comme des CMG – s’affirment comme un groupe antifasciste et multiculturel.

Le stade des Costières est quant à lui animé par les Gladiators Nîmes 1991. Le noyau de ce groupe se revendique lui aussi antiraciste, dans la lignée de la culture populaire locale. Ce n’est pas un hasard si l’un de ses bars de prédilection est le Prolé, vestige de l’époque où Nîmes était une ville rouge. La montée en Ligue 1 a cependant modifié la composition du pesage nîmois avec un afflux de nouveaux fans moins au fait des valeurs du groupe.

Derby days

Moment du derby de septembre 2018 à la Mosson où les ultras nîmois exposent un morceau de la bâche de la BP91 dérobé quelques mois plus tôt.

Lorsque Montpellier et Nîmes végétaient tous deux en Ligue 2, le MHSC avait remporté les deux rencontres disputées durant la saison 2000-2001. Mais en 2008-2009, les Nîmois avaient ensuite remporté une victoire face à Montpellier après un premier match nul. Quant à la dernière saison, elle a vu Montpellier s’imposer triomphalement à domicile (3-0) puis marquer le pas avec un match nul lors du match retour en deuxième partie de saison (1-1). Notons que si les montpelliérains furent interdits de déplacements pour ce dernier match – ce qui risque de devenir une constante de ce derby -, ce ne fut pas le cas de leurs adversaires pour le premier affrontement en dix ans : lors de la venue de 600 supporters des « crocos » à Montpellier en septembre 2018, les groupes ultras et indeps montpelliérains mobilisèrent plusieurs centaines d’unités pour tenter d’entrer en contact avec les nîmois. Ce qui donna lieu à des heures d’affrontement avec la police anti-émeute qui gaza ultras, fans et familles du quartier sans distinction. Puis alla jusqu’à noyer la tribune montpelliéraine sous le gaz lacrymogène lorsqu’une barrière céda sous la pression des ultras, suite à une provocation nîmoise.

Il s’agissait d’un morceau de la bâche historique de la BP91 exhibée dans le parcage des gardois. Cette bâche avait été volée le 2 mai 2018 lors d’un casse réalisé au local des Pailladins. Une insulte mortelle dans le mouvement ultra. Le groupe historique des supporters montpelliérains ne s’est toujours pas remis de ce vol : sans sa bâche, c’est son identité qui est menacée, bien qu’aucun communiqué officiel n’ait annoncé les conséquences de cet acte. Celui-ci constituait l’ultime épisode d’une série de vols et d’affrontements ayant ponctué l’histoire des groupes ultras des deux villes. Malgré leur combat commun contre la répression et l’existence de valeurs partagées – l’antiracisme, la revendication d’un foot populaire opposé au « foot business », la culture ultra, la lutte contre la répression –, la haine semble aujourd’hui encore tenace.

Be the first to comment

Leave a Reply

Your email address will not be published.


*