Reçu en janvier 2019, Underdog est resté dans la pile des bouquins à lire, de longues semaines. Paru fin 2018 aux éditions Salto, ce roman écrit à deux qui traite, sur fond de football et de rock anglais, de la tranche de vie d’un jeune diplomé précaire, sans projet, séduit par les sirènes londoniennes, en fait un objet littéraire original à plus d’un titre.
Romain Lescurieux et Antonin Vabre se connaissent depuis les bancs de l’école de journalisme. La complicité qui les unit est une condition indispensable pour écrire un roman à quatre mains. En dépit de contraintes liées à la distance géographique et aux questions d’emploi du temps, c’est une prouesse qu’ils ont mis environ trois ans à boucler.
« Quand en septembre 2015, j’ai fini de bouquiner Dans la Dèche à Paris et à Londres de George Orwell, ça m’a semblé naturel de proposer à Romain qu’on écrive nous aussi l’histoire d’un immigré tiraillé entre ces deux capitales si proches et si lointaines. » racontait Antonin Vabre dans une interview sur le site de l’éditeur. S’inscrire dans les pas d’Orwell et sa plume si juste quand il s’agit d’écrire sur le prolétariat et les gens de peu, voilà qui est ambitieux. Aussi les auteurs ont puisé une grande part de leur inspiration dans leur expérience respective outre-Manche.
Dans la dèche 2.0
Bien sûr, Underdog, ce n’est pas du Orwell. A défaut, les auteurs proposent un ouvrage mettant en scène cette génération paumée, biberonnée aux applications de rencontres en ligne et à la crise des subprimes, habituée à jongler avec la débrouille et les actualisations Pôle Emploi. Le livre se lit comme le journal de bord d’un jeune prolétaire de banlieue parisienne, tenté par les promesses du mythe libéral anglais, face à la réalité des petits jobs sous payés, du management agressif, des marchands de sommeil sans scrupules et des logements insalubres infestés de bed bugs, les punaises de lit.
Mais Underdog c’est aussi la découverte de cette Angleterre, qui optera bientôt pour le Brexit, et de certaines de ses coutumes comme le Boxing Day, à travers le football. Impossible d’aborder le quotidien des prolétaires en Angleterre sans parler du football et des pubs légendaires. Une fois la semaine harassante de boulot dans tel snack crasseux terminée, c’est un passage obligé. Plus encore depuis que la working class a été progressivement chassée hors des tribunes par l’augmentation du prix des places. Bien qu’il reste encore le marché noir où on en trouve parfois qui se négocient à près d’un pound la minute de match.
“Sunday is always a mess here”
Si Balzac présentait les rades comme les « parlements du peuple », au comptoir d’Underdog on croise quelque hooligan nostalgique de son passe-temps hebdomadaire favori: la baston. Orphelins des tribunes debout, supprimées depuis les recommandations du rapport Taylor, point d’orgue des années Thatcher qui ont restructuré le football anglais au prétexte de la guerre aux hooligans. Dans ces pubs, on sent encore battre le pouls des rivalités des clubs londoniens, mais on sent aussi que ce n’est plus ce que c’était. Ceci dit, une constante secoue toujours les pubs de la Perfide Albion: «le dimanche c’est toujours le bordel».
Là, au rythme d’une pinte d’épaisse Guiness par 1/4 d’heure, il n’est plus question que de football et de tribunes. Des bribes de football dans des litres de bières. Et des copains. Une sociabilité parfaitement résumée dans cette scène des yeux admiratifs d’un enfant pour son père qui l’initie au rituel du match day. « Un jour, il comprendra l’amère saveur de la gueule de bois, la difficulté de se lever le matin pour aller au boulot, en chier toute la semaine et n’attendre qu’une chose: le match du week-end, avant de recommencer. »
Mais voilà le turbin qui repointe le bout de son nez, chaque fois trop vite. Pour autant, pas de misérabilisme dans ce roman. Outre une référence au titre d’une chanson du groupe britannique Kasabian, l’underdog, c’est celui qui n’a aucune chance de l’emporter. Un outsider XXL. Celui sur qui quelqu’un de lucide ne parierait pas un penny. Mais aussi celui qu’on aime voir déjouer les pronostics. Un peu comme le Leicester de Jamie Vardy et Claudio Ranieri en 2016. Celui, en fin de compte, qui n’a rien à perdre, comme un jeune banlieusard parisien parti à l’aventure en Angleterre.
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