Argentine: le football féminin et l’inlassable lutte féministe

La sélection féminine argentine traverse à nouveau une période compliquée, avec la démission de quatre de ses joueuses. Illustration des difficultés rencontrées par les femmes pour pratiquer leur sport dans des conditions décentes, même si de maigres avancées ont été arrachées ces dernières années.

Quelques jours avant une double confrontation amicale contre le Costa Rica, quatre joueuses ont démissionné de la sélection nationale, s’en prenant ouvertement à la Fédération argentine de football (AFA) pour le traitement qu’elle réserve à ses internationales. Eliana Stábile, Julieta Cruz, Lorena Benítez et Laurina Oliveros, toutes joueuses de Boca Juniors, ont communiqué via leurs réseaux sociaux, pointant du doigt le mépris des instances envers le football féminin. “Nous voulons être estimées à notre juste valeur, espérons que la prochaine génération ne vivra pas ce que nous vivons”, a notamment écrit Eliana Stábile.

Laurina Oliveros , Eliana Stábile, Lorena Benítez et Julieta Cruz (©Getty Images)

De son côté, Lorena Benítez invoque une “décision personnelle” motivée par des conditions indignes, notamment l’absence de petit-déjeuner et de vrai déjeuner fournis par l’AFA aux joueuses devant se contenter aux joueuses “d’un sandwich jambon-fromage et d’une banane”. L’argument donné par la direction: les caisses seraient vides. Championne du monde chez les hommes, le traitement de l’Albiceleste féminine est d’un autre âge. Un manque de moyen récurrent qui n’a d’égal que le machisme qui structure le football au pays des Kempes, Maradona et Messi. “Arrive un moment où les injustices te fatiguent: le fait de n’être pas entendues ou, encore pire, d’être humiliées”, a ajouté Julieta Cruz.

Le football féminin en Argentine est un sport de combat

La dernière rébellion au sein de la sélection remonte au sortir de la Coupe du monde féminine 2019. Les joueuses demandaient le départ de l’entraîneur Carlos Borrello. En conséquence, une grande majorité d’entre elles n’avaient pas été convoquées pour les Jeux panaméricains, à commencer par la capitaine Estefania Banini. Malgré la qualification pour le Mondial après douze ans sans y parvenir, les internationales étaient en conflit larvé avec l’AFA dont le président Chiqui Tapia s’était pourtant vanté d’être “le président de l’égalité des sexes”. Lors d’un déplacement en Uruguay en 2017, les joueuses avaient été contraintes de dormir dans le bus. Plus que des paroles, elles veulent des actes.

(©Alejandro Pizarro Ubilla/AGENCIAUNO)

Alors en septembre 2017, elles entamaient une grève historique contre la pénurie de moyens. Ce qu’elles demandent alors: des tenues d’entraînement, des indemnités de déplacement dignes et des infrastructures adaptées au haut niveau, à savoir avoir la possibilité d’utiliser les terrains gazonnés des installations de l’AFA. Si la grève est levée au moment de la Copa América 2018 où elles se rendent sans préparation, les joueuses ne renoncent pas à leur combat pour autant. Avant leur premier match face à la Colombie, les vingt sélectionnées posent la main derrière l’oreille. Massivement relayée sur les réseaux sociaux, la photo a fait le tour du pays, accompagnée de la légende “Nous voulons être écoutées”.

Leur 3e place à la Copa América leur donne le droit de disputer un barrage de qualification pour la Coupe du Monde 2019 en France. Elles vont aisément disposer du Panama à Sarandí devant 11 500 personnes, nouveau record d’affluence. La cote de popularité des filles et de leur combat grimpe, braquant le projecteur sur les conditions de l’ensemble des footballeuses du pays, bien que près de la moitié des internationales évoluent à l’étranger. Les instances ne vont pas pouvoir maintenir la situation en l’état bien longtemps. Lors du Mondial, un drapeau aux couleurs nationales frappé du slogan “Qui résiste accomplit ses rêves” accompagne les joueuses.

“Une question de genre, pas une question sportive”

Eliana Stábile et Lorena Benítez étaient déjà sur le terrain le 10 juin 2019 lorsque l’Argentine a marqué le premier point de son histoire en Coupe du Monde, face aux Japonaises, championnes en 2011 et finalistes en 2015. La performance avait fait la une des journaux argentins et marqué les esprits, y compris ceux qui avaient trop longtemps ignoré le football féminin. Même le grand Diego y était allé de ses félicitations. Entre temps, l’AFA avait annoncé la professionnalisation du football féminin à la suite du combat mené par Macarena Sánchez. Une conquête qui a bénéficié de la montée en puissance des luttes féministes; du mouvement “Ni Una Menos” contre les féminicides et les violences sexistes et sexuelles en 2015, à la mobilisation populaire en faveur de l’avortement légal et gratuit en 2018.

Mais plus de cinq ans plus tard, le processus n’est pas achevé et les salaires versés restent dérisoires. Et le statut des joueuses de la sélection n’a guère évolué. Devant le constat d’une situation figée, les quatre joueuses de Boca ont décidé de dire stop. Lorena Benítez a durement critiqué le manque de professionnalisme de l’AFA et sa tendance à prendre les internationales “pour des couillonnes”, ajoutant que “beaucoup de coéquipières sont parties pour les mêmes raisons, parce qu’elles se sentent tristes à chaque fois qu’elles doivent être là”. Le contrat ne fait pas le professionnalisme, si rien autour n’est professionnel, rappelle l’ex-footballeur argentin Juan Sebastián Verón, lucide. S’il n’y a pas de soutien derrière vous pour vous pousser à progresser, vous n’aurez pas d’avenir. En fin de compte, il s’agit d’une question de genre, pas d’une question sportive.”

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