Bebel García, l’ailier de gauche fusillé par les franquistes

Huit ans plus tôt que Rino Della Negra, footballeur du Red Star de Saint-Ouen et membre du Groupe Manouchian (FTP-MOI) exécuté par les nazis au Mont-Valérien, Bebel García, ailier du Deportivo La Corogne était victime de la même vermine. Fusillé par les militaires franquistes le 29 juillet 1936, son histoire a mis du temps à être racontée.

A La Corogne, la famille García García est restée célèbre dans l’histoire de la ville pour son engagement socialiste et pour sa grande fratrie – avec des prénoms comme Voltaire, Bebel, Jaurès etc. – surnommés “Los Hermanos de la lejía”. Un nom en rapport au petit commerce de vente et de livraison d’eau de javel monté par le paternel. Le conseil municipal de La Corogne baptisera en 2002, en hommage à cette famille qui a vu trois de ses fils assassinés par les franquistes, une rue du nom des Hermanos de la lejía, dans le quartier du Monte Alto. La famille avait atterri dans ce qui était encore un quartier ouvrier, après avoir quitté leur village de Ribadeo, dans la province de Lugo, en raison de l’engagement socialiste du père.

Quand Bebel pisse au nez des fascistes

Les fils militent eux au sein des organisations de jeunes qui formeront les Jeunesses Socialistes Unifiées (JSU) à partir de mars 1936 et dont l’ainé Pepín sera le secrétaire local. C’est d’ailleurs par sa fille Selva qu’une partie de la mémoire familiale, à travers l’histoire de Bebel, sortira de l’oubli à la faveur d’une rencontre avec l’écrivain Eduardo Galeano. Dans un des récits de son livre Espejos, Una historia casi universal, il rend hommage à Bebel dont il raconte les derniers instants avant d’être exécuté au Campo da Rata. Le joueur du Depor aurait ordonné aux militaires qui le mettaient en joug d’attendre. Alors, après avoir lentement défait sa braguette, il aurait uriné longuement face à eux, comme une ultime provocation, avant d’être fusillé. Une scène romancée dont l’authenticité n’a jamais pu être vérifiée mais qui contribue à la légende des Hermanos de la lejía, et de Bebel en particulier.

Face au soulèvement militaire mené par Franco, aux quatre coins du pays des ouvriers ont pris les armes pour y résister. La Galice fait partie des régions qui tombent assez vite aux mains des troupes fascistes. En quelques jours seulement. Concernant La Corogne, le commandement du soulèvement a été confié au lieutenant-colonel Luis Tovar Figueras. Sa première action a été d’attaquer le siège du gouvernement civil. Le bâtiment est défendu par des militants locaux issus des diverses forces de gauche, parmi lesquels plusieurs des frères García García: Pepín, Jaurés, France et Bebel. Après plusieurs jours de combat, les antifascistes perdent la bataille. Des centaines d’arrestations et d’exécutions ont eu lieu. Alors que Pepín a pu passer la frontière franco-espagnole, Bebel et France tentent de gagner les Asturies voisines, bastion républicain. Ils se font capturer et sont ramenés à La Corogne où ils sont emprisonnés une nuit avant de passer à la broyeuse expéditive de la cour militaire qui les condamne tous les deux à mort. Leur frère Jaurés connaîtra le même sort un peu plus tard. Le président du Depor en personne, le sinistre José María Salvador y Merino (arrivé lors de la saison 35/36) témoignera même contre son joueur, l’accusant d’incendies d’églises et d’attentats contre des personnalités de droite.

“Il a tenu tête à la police et à tout ce qui était nécessaire”

Car Bebel, passionné de football, joue depuis 1932 au Deportivo La Corogne, un des meilleurs clubs de Galice. Entre 1932 et 1936, il comptabilisera 28 matchs et 11 buts. Des statistiques plus que correctes pour un jeune joueur. Même s’il a finalement assez peu joué, il était réputé pour dynamiter les défenses, sur son aile. Il a réalisé sa saison la plus aboutie 1933/34, marquant 10 buts en 20 matchs. Bien que gaucher, il était plus souvent positionné sur l’aile droite, ce qui lui permettait aussi de rentrer pour se mettre sur bon pied. Cette fameuse patte gauche, au moins autant reconnue que son militantisme politique qui penche du même côté. Il incarne mieux que quiconque le double sens du mot “zurdo” utilisé à la fois pour gaucher et gauchiste. Bebel – prénommé ainsi par rapport au socialiste allemand August Bebel – était “zurdo” pour tout, écrira en substance Eduardo Galeano.

Une polyvalence qui le fait sauter de la rubrique sportive à celle des faits divers, comme lors de son arrestation en 1935 pour “troubles à l’ordre public” avec plusieurs autres militants. La raison? Le groupe vêtu de chemises rouges aurait répété des exercices de guérilla en balançant quelques chants subversifs. Des années plus tard, certains anciens coéquipiers n’ont pas oublié ce personnage singulier. La mémoire n’avait pas fait défaut au gardien de but Rodrigo García Vizoso – alors sur le point de fêter ses 100 ans – au moment d’évoquer en 2008 son ancien coéquipier: “Comment puis-je ne pas me souvenir de Bebel ! Il vivait dans la rue San Roque. Son père était un dirigeant du parti socialiste. C’était un très bon garçon, très drôle, bien qu’un peu enfantin. Et très courageux, il a tenu tête à la police et à tout ce qui était nécessaire.” Un courage aujourd’hui sorti de l’oubli.

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