A Montpellier dans l’ombre de la Butte Paillade 91 et de l’Armata Ultras 02, un autre groupe ultra a existé quelques années et animé la tribune Corbières: les Camarga Unitat 2011. On a échangé avec un de ses membres qui a bien voulu revenir sur des bouts de cette histoire.
Pour une fois commençons par la fin. Nous sommes le 15 décembre 2019 et les Camarga Unitat annoncent leur auto-dissolution, en ne manquant pas de souhaiter “longue vie au mouvement ultra montpelliérain, et plus particulièrement ses deux composantes historiques“. Une reconnaissance envers la BP91 et les Armata à qui les Camarga ont tâché, durant plusieurs saisons, de donner la réplique. C’est l’histoire d’une aventure de huit ans, marquée par l’implantation d’un supportérisme actif dans une tribune où cette tradition n’existait pas.
Naissance d’un groupe singulier
C’est en juillet 2011 que le groupe fait son apparition. Des jeunes travailleurs qui viennent des villages alentours forment le gros des troupes. « Des mecs qui ont du temps, et puis pas forcément beaucoup d’argent, mais qui peuvent en investir là-dedans.» Voilà pour la sociologie rapide du groupe. Il prend d’abord place en tribune Petite Camargue, au-dessus de la tribune Étang de Thau. « La volonté de base c’était de reprendre les chants de la Butte, et basta. Il n’y avait pas de prétention ultra à la base. Ça viendra plus tard, avec la répression. C’est la préfecture qui a d’abord catalogué le groupe comme ça.»
Le groupe tire son nom de ce premier emplacement et assume une identité languedocienne et occitane. « Il y a toujours eu l’idée de se démarquer un peu des autres entités qu’il pouvait y avoir à Montpellier.» En revanche, le groupe se met plutôt au diapason des habitudes locales: « politiquement ça a toujours penché à gauche, mais sans que ce soit revendiqué clairement. C’était plus apolitique.» A ce titre, le groupe s’inscrit dans la tradition, voire la stratégie, du mouvement ultra français de maintien des dissensions politiques à bonne distance des tribunes.
Puis vient une étape importante dans l’histoire des Camarga Unitat: le déplacement en tribune Corbières, dans l’ancien parcage. « Ça s’est fait à la demande du club qui ne voulait pas un autre groupe de supporters en Petite Camargue. » Quand les Camarga Unitat arrivent en Corbières, ils doivent cohabiter avec le Kop Wolf qui accueille moyennement bien la concurrence de ces énergumènes qui viennent troubler leur ambiance “familiale”. « C’est-à-dire qu’ils ont vu débarquer un nouveau groupe de 10-15 gars, qui grossissait et qui était plus chaud qu’eux en terme d’ambiance et d’organisation. Et ça ne s’est pas bien passé du tout. En 2014 ça a un peu vrillé en tribune. On a chopé leur bâche, rendue par les flics, et la tribune Corbières est devenue officiellement Camarga un peu plus tard. »
Dans l’adversité, le groupe s’installe
Petit à petit, le groupe s’étoffe. Quelques étudiants viennent grossir les rangs. Les Camarga font leur place dans le paysage des groupes montpelliérains. Ce qui n’était pas forcément gagné. « Au début c’était galère, parce que ce n’est pas une tribune très sexy à Montpellier, à part l’intérêt du parcage. Mais à force de se voir, on a fini par être pas mal, et tous les ans il y a 5-10 sympaths qui venaient plus ou moins régulièrement au stade, et certains sont restés. Et de fil en aiguille, tu passes à 15-20, puis 20-30, 30-40. Au plus fort, le groupe pouvait mobiliser 50-60 personnes.»
Les déplacements permettent aussi aux Camarga Unitat de renforcer les liens avec les autres groupes, principalement l’Armata Ultra, et de se faire un nom. « Il y a eu des moments où les Armata étaient en sommeil et où la Butte était moins active, et les Camarga ramenaient du monde en déplacement.» A la Mosson, le groupe doit aussi jouer des coudes. « Pendant un an à chaque match il se passait quelque chose avec le Kop Wolf. Plusieurs fois ça s’est méchamment attrapé.»
C’est à cette époque que les Camarga Unitat font la connaissance de Pierre-Marie Grappin, le responsable de la sécurité du club avec qui les accrochages sont fréquents. Fouilles abusives, contrôles d’alcoolémie à l’entrée du stade, pression sur les abonnements: « Ça a été un rapport de force chaud… Alors qu’on était seulement quinze, il n’y avait pas de raison apparente pour ça, à part la volonté du chef de la sécurité de casser les couilles. A un moment, on rigolait avec ça en disant qu’on était le groupe des quinze connards, parce que Grappin disait “on ne va pas se faire emmerder par quinze connards qui viennent d’arriver”.»
Affaire Narpé et bascule du groupe en mode “ultra”
L’adversité et la répression vont œuvrer à renforcer les Camarga, avec l’année 2013 comme point d’orgue de cette séquence. Manuel Valls est ministre de l’Intérieur et les discours de fermeté sont de mise. Depuis la LOPPSI 2 (adoptée en 2011), les interdictions de déplacement, prononcées par les préfets, sont venues compléter l’arsenal répressif visant les supporters. Les premières interdictions de stade tombent sur les Camarga dont l’existence est rythmée par les tensions avec la sécurité. Lors de la saison 2013/14, en représailles à une banderole contre Frédéric Thiriez, alors président de la Ligue, la sécurité du club veut interdire au groupe de bâcher. Le groupe refuse d’obéir et doit défendre physiquement sa bâche, dans un contexte déjà tendu par le conflit avec la société de sécurité PSI suite aux violences commises sur Narpé, un des premiers Camarga.
A l’occasion d’un Montpellier-Lille en mai 2013, Narpé avait eu la mauvaise idée de pénétrer sur la pelouse. Des membres de PSI l’avaient alors choppé et emmené brutalement dans un local des coursives, à l’abri des regards, pour mieux le dérouiller. Bilan: tympan percé, perte de l’ouïe. « Ça a clairement façonné notre rapport à la sécurité du club au début. Surtout que ce mec a été maintenu à la sécurité de la tribune pendant toute la durée de l’existence du groupe. Ça s’est apaisé avec le temps, mais c’est un des premiers évènements qui ont fait basculer le groupe dans un truc plus “ultra”, dans le sens où c’est la première fois qu’il y a eu quelque chose contre lequel se mobiliser. C’est la sécurité qui était en tort, et ça a fédéré le groupe. Il y a eu un petit mouvement en soutien à Narpé à l’époque. Des t-shirts avaient été sortis pour financer les frais d’avocats.» On est quelques mois seulement après l’histoire de Casti, ce jeune supporter de La Butte éborgné par un flashball de la police avant un match aux abords de la Mosson. Quelques semaines après, plus de 1200 ultras de différents groupes français manifestent côte à côte à Montpellier, répondant aux mots d’ordre “Vérité pour Casti” et “Liberté pour les Ultras”. Une initiative rare dans l’histoire des groupes ultras. Les Camarga Unitat n’ont qu’un an, mais ils suivent évidemment le mouvement.
« La tension avec la sécurité du stade était là tous les week-ends, mais à force de répondant, ils ont capté qu’il ne se passerait rien.» Il faut reconnaître que ce n’était pas le grand amour entre “Loulou” Nicollin et les ultras. La sécu a fini par lâcher du lest après un match face l’OM où quelques fumis sont craqués et quelques coups échangés. C’est aussi comme ça que le groupe a acquis sa légitimité. « A partir de ce moment-là, ils ont été un peu plus tranquilles avec nous. Le club s’est aussi dit qu’il fallait plus de dialogue avec ce qui se passait en Corbières, parce que ça faisait trois ou quatre ans que le groupe était dans la tribune.» Les Camarga commencent à être conviés aux réunions. « Et puis à force de voir les mecs de la sécurité tous les week-ends ou presque, ils te connaissent. Des petites négociations se font.»
Mise en sommeil puis auto-dissolution
Côté effectifs, le rapprochement avec les Exilés du 34 tombe à pic et donne un nouveau souffle au groupe. Sur le modèle de ce qui peut exister ailleurs en Europe, les Camarga Unitat vont s’essayer à d’autres sports comme le volley et surtout le futsal avec le Montpellier Méditerranée Futsal – club né dans le quartier populaire du Petit-Bard – monté en D1 en 2016, avant d’être exclu par la FFF en 2019. « C’était bonne ambiance, on était putain de bien accueilli chaque fois qu’on y allait. Ça a duré un an.» En interne, une partie des membres estime qu’il faut privilégier la Paillade et ne pas disperser l’énergie. « Certains qui allaient au futsal étaient cramés le lendemain, ou ne pouvaient pas partir en déplacement…»
Même si des nouveaux continuent d’arriver, le groupe est un peu à la peine. La saison 2018/19 est un véritable creux, malgré une présence régulière en déplacement. Comme un symbole, c’est la préparation du derby contre le rival nîmois de retour dans l’élite, tant attendu par le peuple pailladin, qui va être le chant du cygne pour les Camarga Unitat. Fragilisé en interne par une éviction et de multiples départs, le groupe voit son noyau dur se réduire et être gagné par une forme de lassitude. Une situation qui aboutira à la mise en sommeil du groupe en mars 2019, annoncée via un communiqué laconique. Les Camarga tentent de repartir au début de la saison 2019/20, avec des déplacements à Marseille et Strasbourg, et un baroud d’honneur le temps du derby où la tribune Corbières fait illusion.
Car la dynamique ne reprend pas vraiment. « Quand t’as que cinq mecs qui se bougent sur une ou deux saisons, ce n’est pas encourageant. Après il y a eu un petit temps de réflexion de groupe. On a essayé de remobiliser les jeunes qui avaient un bon potentiel. Et au final, ça ne s’est pas fait. » Comme l’exprime son communiqué de dissolution, cinq mois plus tard, son activité dans et en-dehors des tribunes est « proche du néant ». La place est aujourd’hui vacante en tribune Corbières pour s’inscrire dans le sillon tracé par les Camarga Unitat, même si le timing et la crise sanitaire ouverte en mars 2020, avec ses huis clos et ses jauges, semble neutraliser toute possibilité de redémarrer une aventure.
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