Le confinement donne le temps d’imaginer le foot d’après, ça ne coûte rien, même si la bourgeoisie du football n’aime pas trop voir son modèle remis en cause. Les dirigeants des plus gros clubs n’ont en effet aucun intérêt à ce que le football prennent un virage “social”. Au contraire, il ne faut pas évacuer la faculté de la crise à renforcer les inégalités et la domination des écuries les plus riches qui voient dans les ligues fermées la meilleure réponse pour protéger leurs intérêts?
Les dirigeants ont pu se rendre compte avec la crise du coronavirus que leur modèle, reposant en grande partie sur la perfusion des diffuseurs, était loin de faire l’unanimité. Les patrons de clubs ont d’ailleurs habilement opéré un chantage aux licenciements et dévié avec succès l’attention sur les salaires des joueurs, présentés comme une des causes des soucis de trésorerie rencontrés. La masse salariale a beau être la principale dépense des clubs, ce n’est pourtant qu’un symptôme de leurs stratégies capitalistes, notamment le trading.
L’impasse de la régulation
Dès lors, tous les vœux appelant à une « moralisation » de l’économie du football semblent illusoires. Les partisans de sa régulation, et leurs propositions de salary cap ou d’encadrement plus serré du marché des transferts, ont connu un regain d’audience. Mais ce type de propositions keynésiennes ne dépend que d’une « prise de conscience » patronale, conjuguée à l’intervention des états ou des instances. Et, est-ce bien raisonnable d’espérer qu’une transformation sociale du football vienne des capitalistes qui le gouvernent ?
Gianni Infantino, patron de la FIFA, a bien dit que cette crise pourrait être l’occasion de « réformer le football en prenant du recul » ou encore Alexander Ceferin, patron de l’UEFA, que « plus rien ne sera comme avant ». Des mots creux qui permettent à chacun de voir midi à sa porte, de la pure communication dont il faut retenir que rien ne va changer “en bien” dans le football et qui ne va pas empêcher la dynamique en cours de se renforcer. Le fossé entre les très riches et le reste des clubs va continuer de se creuser. Tout le monde a compris que la FIFA et l’UEFA n’étaient pas des organismes sociaux et qu’elles ne servaient pas les intérêts du football, mais ceux de son économie.
79 % des gens sondés veulent voir le football changer, mais 74 % n’y croient pas…
Alors à quoi s’attendre ? Car la crise est bien réelle et son impact financier risque d’être conséquent. Les pertes étaient estimées à près de 4 milliards d’euros pour les championnats du « Big 5 ». Et les clubs qui comptaient sur le mercato estival pour se renflouer vont devoir faire avec la baisse de la valeur des joueurs, évaluée à 28 %. Sans verser dans la prophétie économique – le niveau de gravité de la situation dépend encore d’une reprise ou non des ligues majeures – si une partie des pertes sera peut-être amortie par des fonds d’urgence, notamment celui de la FIFA, cette diminution importante du gâteau promet de provoquer, à court ou très moyen terme, des réactions structurelles au niveau européen comme au niveau des ligues nationales. Et on doute fortement que le monde du football réponde par plus de solidarité.
En France, un récent sondage illustrait assez bien ce qui semble être le sentiment dominant à l’égard de l’industrie du football dans la période actuelle. Parmi les sondés, 79 % disaient vouloir voir le football changer, mais 74 % d’entre eux reconnaissaient néanmoins ne pas croire que les clubs les plus riches feront preuve de plus de solidarité envers le monde amateur à l’issue de la crise. Si le gâteau global diminue, la logique de compétition capitaliste n’est pas de le partager plus équitablement, mais de protéger les parts des plus gros en limitant l’accès aux prétendants. Un peu comme certains sécurisent leur propriété avec de vulgaires barrières électrifiées.
Des ligues (quasi) fermées comme réponse à la crise
On peut bien entendu faire dire ce qu’on veut aux sondages, mais ces chiffres traduisent un regard lucide sur la situation. Il faut se rappeler quelle était la dynamique de l’industrie du football avant la crise, et les démarches entreprises par les clubs les plus puissants pour « sécuriser leurs revenus » au niveau européen mais aussi dans une autre mesure en Ligue 1. C’est déjà dans cet esprit que de trois accessions / relégations entre la L1 et la L2, nous sommes passés à deux (avec un barrage pour le troisième ticket) et que certains militent pour qu’il n’y en ait plus qu’une. On voit bien que le ver de la ligue fermée est déjà dans le fruit d’un football qui avance toujours un peu plus l’impérieuse nécessité de « rassurer les investisseurs ».
Au niveau européen, le meilleur exemple reste la réforme de la Ligue des Champions, censée intervenir d’ici 2022, qui voit le gratin pousser à l’instauration d’une ligue au trois-quarts fermée. Même si officiellement l’UEFA reste opposée au principe, la ligue fermée n’est plus le serpent de mer que ça a pu être. Sans opposition réelle venue d’en-bas, les clubs les plus puissants s’y dirigent tout droit. Pour l’économiste Bastien Drut, « la justification économique d’une ligue fermée n’a jamais été aussi forte pour les grands clubs ». C’est le chemin le plus court pour protéger leurs intérêts. Quitte à passer par un système hybride comme celui vendu par Andrea Agnelli, patron de la Juventus et de l’European Club Association : une compétition à 32 équipes, où 28 places seraient automatiquement garanties. Appelez ça une ligue presque fermée si vous voulez.
Ce train là, lancé bien avant le début de la crise du coronavirus, ne s’est pas arrêté. Au contraire, la crise risque bien malheureusement d’accélérer ce processus. Selon certains, le seul rempart à l’adoption d’un tel format serait le trop gros « choc culturel » qu’il provoquerait chez les passionnés. Reste à traduire ce choc par une mobilisation réelle.
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