Début 20e, les dirigeants de la FA ont quelques soucis entre les pratiques de rémunération et de primes à la signature illégales d’un côté et l’émergence d’une contestation syndicale de l’autre. Sur le fond, l’affaire George Parsonage, qui opposa le milieu de terrain de Fulham aux instances dirigeantes de la Football Association (FA), illustre la position de vulnérabilité qui était celle des footballeurs dans le rapport de force avec les dirigeants et les instances.
Les conflits entre les joueurs et les dirigeants sont monnaie courante dans le football anglais au début du 20e siècle. Les footballeurs sont soumis au système du retain and transfer qui ne les autorise pas à quitter leur club quand ils le désirent, ainsi qu’à un plafonnement des salaires à £4 / semaine. C’est l’équivalent d’un ouvrier qualifié, et c’est plus qu’un haveur dans une mine de charbon qui gagne £2.5. Les joueurs eux n’en peuvent plus de cette situation et s’organisent depuis fin 1907 au sein de l’AFPTU, le syndicat des footballeurs et entraîneurs. A la fin de la saison 1908/09, George Parsonage va se retrouver emmêlé dans des tractations entre son club Fulham et Chesterfield qui désire le recruter.
A priori le joueur n’a lui aucune envie de déménager dans le Derbyshire. De son côté Chesterfield est en grande difficulté sportive. Le club est clairement en sursis au sein des divisions professionnelles. C’est la quatrième saison d’affilée que le club termine à l’une des trois dernières places du classement de 2e division et, dans ces années-là, le système de promotion / relégation n’existe pas encore entre les championnats amateurs et la ligue professionnelle, qui est donc une ligue fermée. C’est un jury composé des clubs professionnels qui détermine par un vote si le club mal classé peut rester ou s’il doit être remplacé par un des clubs en attente. La volonté de recruter Parsonage se veut alors un signal envoyé aux autres clubs. Une sorte de garantie offerte sur la compétitivité de l’équipe en vue de la prochaine saison.
Avec ce recrutement, Chesterfield entend jouer son va-tout pour être maintenu en 2e division par les clubs composant le jury. Le club parvient d’ailleurs assez vite à un accord avec Fulham, mais Parsonage traîne des pieds. Aller à Chesterfield lui coûte, vraiment. A cette époque-là, dans un club comme Chesterfield, les contrats couraient d’août à avril. Les conditions contractuelles n’offraient pas de réelles garanties. Les dirigeants de Fulham ont du lourdement insister pour que Parsonage accepte ne serait-ce que de rencontrer George Swift, le manager de Chesterfield. Une illustration de l’omnipotence des dirigeants. Car avec le retain and transfer, non seulement les joueurs ne peuvent pas aller où ils veulent, mais ils peuvent aussi être poussés là où ils ne veulent pas aller.
Bouc émissaire
L’offre salariale faite à George Parsonage par Swift est alignée sur le maximum autorisé par la Football Association, à savoir £4 / semaine assorti d’une prime à la signature de £10. Le fait que tout dépassement de prime soit illégal et sévèrement sanctionné par la FA n’empêche pas la pratique d’être courante. George n’est pas emballé et une prime à la signature de £10 ne représente en rien une somme suffisante pour motiver un joueur à déménager avec aussi peu de garantie sur le long terme.
L’histoire va vite tourner au vinaigre pour le milieu de terrain. De l’avis de Chesterfield, George Parsonage aurait voulu négocier au-delà. Tentant un coup pour que Chesterfield lui lâche la grappe, il aurait lancé « £50 ou je ne signe pas! ». Swift informa alors Fulham qu’il n’avait pu trouver d’accord avec le joueur, n’oubliant pas de mentionner au passage la “contre-proposition” de ce dernier. C’est donc Fulham qui prit l’initiative d’informer la FA de la situation, contre son propre joueur. Le club semblait vouloir se débarrasser de Parsonage par n’importe quel moyen. Quitte à le balancer à la Fédération. Pas en reste, Chesterfield témoigna contre George Parsonage pour se dédouaner.
Piégé, le joueur n’eut aucune possibilité de se défendre réellement durant la procédure. Avant que la sentence ne soit prononcée, il prit soin de rappeler que pour lui il ne s’agissait que d’une blague. Cet angle de défense ne convainc évidemment pas les représentants de la FA, bourgeois réputés sans humour. Pour cette plaisanterie prise trop au sérieux, la sanction fut radicale: George Parsonage fut exclu à vie du monde du football. D’aucuns disent que la FA eut sous la main le bouc émissaire idéal. Dans ce genre de cas, la personne mise au centre est au contraire un acteur de second plan. Une sorte de prétexte pour régler autre chose. En frapper un pour effrayer tous les autres.
Happy end?
En réaction, l’AFPTU lance une pétition en soutien à Parsonage. Plus de 1300 signatures sont recueillies. Mais ça ne suffit pas. En retour, sans lien direct avec l’affaire, la FA mène une offensive visant à écraser le syndicat. Les dirigeants de la FA tiennent à maintenir l’ordre de façon vigoureuse. Ils savent pertinemment que ce pourquoi il viennent de suspendre à vie George Parsonage, relève de pratiques courantes. Mais la FA compte mettre une ardeur particulière à les traquer, quitte à faire des “exemples”, pour y mettre un terme définitif.
D’ailleurs, cette affaire ouvre inévitablement des questions sur le rôle des clubs dans ce genre de pratiques. Pour que Parsonage fasse cette demande saugrenue, est-ce que Chesterfield faisait partie des clubs réputés pour pratiquer le dépassement des primes à la signature? Ces questions apportent aussi de l’eau au moulin de l’hypothèse selon laquelle le transfert n’a pas été conclu, non pas parce que la proposition apparut immorale aux yeux du club de Chesterfield, mais simplement parce que le club n’avait pas les moyens de la satisfaire, ce que le joueur qui n’avait aucune envie de s’y rendre, ne devait pas ignorer.
D’une certaine manière, Chesterfield paya probablement son implication dans l’affaire en étant renvoyé dans les divisions amateures. Une manière aussi pour la Fédération d’envoyer un signal fort aux autres clubs entretenant ce type de pratiques. La suspension à vie de George Parsonage a finalement été levée un an plus tard, en juillet 1910. Il finira sa carrière au club d’Oldham. Par contre Chesterfield ne fut pas réintégré en ligue professionnelle, végétant de longues années en 3e division.
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