Commencé le 11 juin dernier, l’Euro 2021 est déjà entaché par un certain nombre de polémiques nationalistes plus ou moins attendues. Chronique d’un foot des nations toujours plus proche de la “continuation de la guerre par d’autres moyens” que de l’amitié entre les peuples.
Les équipes nationales ont toujours été des vitrines des régimes et des gouvernements. Dans un monde où les tensions diplomatiques et identitaires s’intensifient, le rôle politique des équipes nationales prend forcément plus de relief. L’exposition médiatique de compétitions comme l’Euro a contribué à banaliser la profusion drapeaux et le rituel des hymnes nationaux est devenu un élément de folklore.
L’Ukraine et l’épisode de son maillot propagandiste
Au-delà de ce folklore patriotique, ces événements peuvent aussi importer les conflits diplomatiques et géopolitiques. Et quel meilleur support que le maillot de l’équipe nationale, épargné par la publicité, pour faire passer un message sur la scène internationale? L’Ukraine et la Macédoine du Nord n’ont pas manqué l’occasion.
Avant même l’ouverture de l’Euro, les Ukrainiens et leur maillot arborant les frontières du pays, revendiquant la Crimée sécessionniste, ont allumé la première mèche et provoqué la colère de la Russie. Les deux pays sont en conflit depuis 2014 avec la sécession sous influence russe de la Crimée et le déclenchement de la guerre au Donbass, où règnent en maîtres les milices d’extrême-droite des deux bords, comme les néo-nazis du Régiment Azov côté ukrainien. La présence de la Crimée sur le maillot, ainsi que la mention du slogan belliqueux “Gloire à l’Ukraine, Gloire aux héros” a été reçu comme une provocation par la Russie qui a demandé à l’UEFA d’intervenir. Pour sauver les meubles, l’UEFA a donc demandé à l’Ukraine de faire un compromis et de supprimer seulement la deuxième partie du slogan “Gloire aux héros”, jugée trop politique. L’Ukraine a accédé à cette demande ayant reçu de l’UEFA la garantie de pouvoir commercialiser le maillot d’origine avec le maintien en entier de ce slogan issu des manifestations patriotiques de la place Maïdan qui avaient mené au renversement du gouvernement pro-russe de Ianoukovytch en 2014.
La Grèce, non-qualifiée, ne veut pas rester spectatrice de l’Euro
Autre maillot, autres tensions, avec celui de la Macédoine du Nord qui ré-alimente les braises d’une crise qui dure entre nationalistes grecs et macédoniens à cause du nom de l’ancienne république yougoslave. En gros, la Grèce refusait que la Macédoine s’appelle ainsi car c’est la région septentrional du pays s’appelle déjà ainsi. D’où les slogans du type: “il n’y a qu’une seule Macédoine et elle est grecque”. Bêtise crasse du nationalisme! L’accord de Prespa signé entre les deux pays en 2018 est censé avoir entériné l’appellation “Macédoine du Nord”. Mais finalement, tant côté grec que macédonien, cette affaire n’a pas apaisé les tensions chauvines et nationalistes. C’est par la publication du nouveau maillot en vue de l’Euro 2021, par la Fédération de Football de Macédoine (FFM) et l’équipementier Jako, que ces tensions s’y sont invitées. Ce maillot a provoqué une vague de mécontentement dans les rangs des supporters. La Fédération a donc fait marche arrière et l’équipe macédonienne joue finalement le premier Euro de son histoire avec le maillot qu’elle porte depuis 2016 et qui est aux couleurs du drapeau national. Problème la Grèce, qui ne participe pas à l’Euro 2021, en profite pour mettre son grain de sel et exiger qu’apparaisse la précision “du Nord” à côté de l’acronyme “FFM” sur l’écusson. Elle y voit une entorse à l’accord de Prespa, qui ne concerne pourtant que les institutions financées par l’État. Ce qui n’est pas le cas de la Fédération de Football de Macédoine.
L’insulte anti-albanaise d’Arnautovic
Pour son premier match dans la compétition, la Macédoine du Nord s’est donc présentée avec son maillot historique. Mais c’est une autre polémique qui l’a vite remplacée. Malgré la tentative de son coéquipier David Alaba de lui fermer la bouche, l’attaquant autrichien d’origine serbe Marko Arnautovic a célébré son but en éructant des propos insultant à l’encontre d’Ezgjan Alioski, milieu macédonien d’origine albanaise: “j’ai baisé ta mère, l’Albanais!“. L’attaquant du club de Shangaï, qui avait il y a quelque temps exprimé sa foi orthodoxe dans les médias, n’a pas pu résister à affirmer sa serbité face à son adversaire albanais d’origine. Ou comment un simple match entre l’Autriche et la Macédoine du Nord, importe les tensions identitaires jamais réglées entre Serbes et Albanais. L’implosion de la Yougoslavie, suite à une guerre marquée par les multiples massacres ethniques, notamment de la part des milices serbes, n’a pas calmé les tensions identitaires.
Malgré l’indépendance des différentes républiques, dont la Macédoine, la région est toujours sur une poudrière. La guerre du Kosovo en 1999, jusqu’à l’indépendance en 2008 de cette province serbe à majorité albanaise et musulmane, reste une source de tension. Les diasporas des deux communautés, marquées par ces tensions, ne restent pas spectatrices, même quand certains ont acquis une autre nationalité, comme c’est le cas avec Arnautovic. Tout comme dans l’autre sens, durant le Mondial 2018, les internationaux suisses d’origine kosovare Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri avaient célébré leur but face à la Serbie en mimant avec les mains l’aigle bicéphale du drapeau albanais. L’enquête de l’UEFA lancée à l’encontre d’Arnautovic, qui a présenté ses excuses sur les réseaux sociaux, n’a pas conclu à un acte raciste. Après avoir craint d’être définitivement exclu de l’Euro, le joueur s’en sort avec un seul match de suspension.
Cachez ces genoux à terre que l’extrême-droite ne saurait voir
S’il y a un maigre geste durant ce début d’Euro qui n’est pas une parade patriotarde, c’est bien ce symbolique genou à terre que certaines équipes ont posé avant le coup d’envoi de leur match pour montrer leur soutien aux victimes de discriminations racistes. Immortalisée par Martin Luther King, reprise en 2016 par le quaterback Colin Kaepernick pour protester contre le racisme visant les afro-américains aux Etats-Unis, cette pose du genou à terre a depuis traversé l’Atlantique. Durant l’Euro, les équipes qui s’agenouillent avant le coup d’envoi pour manifester leur rejet du racisme sont finalement rares: Angleterre, Pays de Galles, Turquie, Écosse et Belgique.
Mais ce geste a priori consensuel a suscité de vives réactions d’hostilité, dans les stades et en-dehors. Racistes, nationalistes, et politiciens d’extrême-droite sont derrière ces réactions. A Saint-Pétersbourg face à la Russie, l’équipe belge a eu à essuyer les sifflets prévisibles d’une partie du public russe. Une partie du public de Wembley a fait la même chose à l’encontre de sa propre sélection face à la Croatie. Mais les joueurs anglais ont annoncé qu’ils continueront à faire ce geste malgré les critiques venues directement du Ministère de l’Intérieur.
L’extrême-droite se retranche parfois derrière l’argument de l’apolitisme mythologique du sport. En France, la polémique a pris une tournure disproportionnée. A la manière de Victor Orban, président de la Hongrie, Thierry Mariani, député européen d’extrême-droite, a exprimé son rejet par l’attachement “à la neutralité du sport”. Il était interrogé au moment de la polémique née après que les joueurs de l’Équipe de France aient fait savoir qu’ils mettraient un genou à terre pour leur entrée dans l’Euro face à l’Allemagne… avant de finalement se raviser. L’annonce laconique en conférence de presse par la voix du capitaine Hugo Lloris, “apparemment c’est prévu, donc oui“, ne témoignait déjà pas d’une grande détermination.
Les mêmes franges identitaires montées au créneau pour la chanson de Youssoupha, ont cette fois-ci actionné le bouton de la cause policière. Assimilant ce geste du genou à terre au mouvement américain Black Lives Matter contre les crimes racistes de la police américaine, elle a accusé les joueurs de se rendre coupables d’un acte “anti-policier”. Les syndicats de police, qui verrouillent médiatiquement toute possibilité de remise en cause de l’action policière en France, ont aussi apporté leur pierre à l’édifice. Interrogé sur RMC, Hugo Lloris a tenté de justifier la reculade et éteindre l’incendie: “On part du principe que si on doit le faire, toutes les nations doivent le faire. Cela ne veut pas dire qu’on ne soutient pas la cause, on ne veut surtout pas de racisme dans notre sport et dans la société.” Derrière l’argument foireux, on voit surtout que quand il s’agit de l’Équipe de France, la partie réactionnaire et raciste de l’opinion atteint de plus en plus souvent ses objectifs.
Voilà pourquoi, entre autres, on vomit le foot des nations: la fierté patriotarde qu’il draine, les valeurs autour desquelles il fédère, les références guerrières auxquelles il se raccroche
Le journal @lequipe met allègrement les 2 pieds dedans
Ça fait vendre du papier et du clic https://t.co/o7w6dR7VO0— Dialectik Football (@DialectikF) June 16, 2021
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