Jeux olympiques, politique et supportérisme – (1/2)

Une chronique en deux parties signée Vivian Petit, auteur notamment de Retours sur une saison à Gaza (Scribest, 2017) et de Ciel et marine (Médiapop, 2023).

Dans les milieux militants porteurs d’une critique du capitalisme, les Jeux olympiques ont mauvaise presse. Pierre de Coubertin était déjà à son époque une figure réactionnaire, un baron défenseur du colonialisme, qui promouvait l’effort et le culte du corps face au péril socialiste et se réjouissait que « l’athlète moderne (…) exalte sa race, sa patrie et son drapeau. » Il s’opposait à la participation des femmes aux JO et considérait que l’existence d’« une petite olympiade femelle » (sic) serait « impratique, inintéressante, inesthétique » et « incorrecte ».

Aujourd’hui, à Paris, en dépit des quelques vagues références progressistes qui ont parsemé la cérémonie d’ouverture, les Jeux olympiques sont l’une des incarnations caricaturales de ce que peut produire le bloc libéral-autoritaire. Pour un budget total de 10 milliards d’euros, 2 milliards et demis ont été investis par l’État et les collectivités territoriales dans les infrastructures. Les bénéfices seront essentiellement privés, assurés notamment grâce au travail gratuit de 45 000 volontaires. Un décret autorise les employeurs à suspendre le repos hebdomadaire des salariés pendant les JO, et un QR code est désormais nécessaire pour se déplacer dans certains quartiers de Paris. Nombre de SDF furent chassés de la capitale, et des étudiants ont été expulsés de leurs logements pour y loger des CRS. Les policiers ont finalement été relogés en dehors des cités universitaires, les appartements des étudiants n’étant pas dignes de ceux qui les matraqueront lors du prochain mouvement social.

À ces scandales s’ajoute celui de la présence d’une délégation représentant Israël, dans le contexte de l’annexion de la Cisjordanie occupée, de la prise pour cible de l’ensemble des habitants de la bande de Gaza et de la destruction méthodique de ses infrastructures. À ceux qui appellent à « ne pas mélanger le sport et la politique », il est tentant de rappeler que dans le contexte des Jeux Olympiques disputés à Tokyo en 2021, l’armée israélienne se vantait des performances des athlètes israéliens, et décrivait les prouesses des sportifs comme le prolongement de leur engagement militaire, sans qu’aucun des concernés ne démente ces propos. Quant à Peter Paltchik, judoka israélien qui portait le drapeau de la délégation israélienne lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024, il apposait ces derniers mois sa signature sur des missiles destinés à la population de Gaza. Puis, il postait la photographie sur Twitter et l’accompagnait du commentaire : « From me to you with pleasure » (« Pour vous, de ma part et avec plaisir »).

Isaac Herzog, président d’Israël actuellement à Paris, affirmait ces derniers mois qu’« il n’y a pas d’innocents à Gaza », et il dédicaçait, lui aussi, des bombes à destination des habitant de Gaza. Alors que certains feignent de croire à une séparation entre compétition sportive, représentation politique et propagande militaire, Herzog revendiquait l’inverse peu avant l’ouverture des JO : « Nous sommes au milieu d’une guerre difficile et douloureuse, qui se reflète également sur la scène internationale. En ce moment, il est particulièrement important que l’État d’Israël prenne résolument sa place et apparaisse sur toutes les scènes mondiales, et en particulier sur une scène aussi importante que celle des Jeux olympiques. » Puis, à Paris, il déclarait aux sportifs israéliens à qui il rendait visite au village olympique : « Cette année est particulière et nous voulons voir le drapeau israélien être hissé dans toutes les arènes et partout dans le monde. »

Israël étant qualifié pour le tournoi olympique de football, à chacun de ses matchs, il est difficile de ne pas penser aux 39 000 Gazaouis tués par les bombardements depuis octobre et aux plus de 180 000 personnes qui, selon la revue scientifique The Lancet, sont décédées à Gaza du fait de la guerre et du siège (en incluant notamment les personnes mortes en raison des épidémies, du manque de soin ou de la dénutrition). Parmi ces morts, mentionnons Mohammed Barakat, ancien attaquant de l’équipe nationale palestinienne, surnommé « la légende de Khan Younes » et Hani al-Masdar, sélectionneur de l’équipe olympique de football de Palestine. Ajoutons les noms de Bilal Abu Samaan, entraîneur de l’équipe nationale d’athlétisme, et des joueurs de la sélection palestinienne de volley Ibrahim Qusaya et Hassan Zuaiter, Aussi, à Gaza, il y a deux semaines, des enfants palestiniens jouaient au football dans la cour de récréation quand un missile est tombé sur leur école.

Ce mercredi 24 juillet à Geoffroy Guichard, à l’occasion du premier match d’Israël, qui l’opposait au Mali, ces faits ont été heureusement rappelés par les sifflets lors de l’hymne israélien, par les drapeaux palestiniens et les t-shirts « Free Palestine ». Le soir de la cérémonie d’ouverture, les personnes qui sifflaient la délégation israélienne et ses drapeaux quelques heures après la rencontre entre Macron et Herzog refusaient elles aussi d’occulter le contexte et le massacre en cours à Gaza. Espérons qu’il en soit de même lors des différentes compétitions impliquant la délégation israélienne, en attendant l’exclusion d’Israël par le CIO et la FIFA, qui vient de reporter une nouvelle fois l’étude de la demande formulée en ce sens par la Fédération palestinienne de football.

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