Deuxième partie de la chronique sur les Jeux Olympiques 2024, signée Vivian Petit, auteur notamment de Retours sur une saison à Gaza (Scribest, 2017) et de Ciel et marine (Médiapop, 2023).
Le football n’est pas l’épreuve phare des Jeux olympiques. Dès les années 1930, dans un contexte de professionnalisation du sport, les JO ont été supplantés par la Coupe du monde. Par ailleurs, les sélections olympiques qui participent au tournoi masculin de football font au mieux figure d’équipe B. C’est seulement à partir de l’édition 1984 (remportée par la sélection française), que les footballeurs professionnels ont été autorisés à y participer. Cette année-là, la règle précisait que les joueurs appelés en sélection olympique ne devaient pas avoir disputé plus de sept matchs en équipe nationale, et n’avoir jamais été sélectionnés pour une Coupe du monde.
Chez les femmes, présentes au tournoi olympique de football depuis 1996, les JO concurrencent la Coupe du monde en termes de prestige et d’importance, et les sélections qui participent à ces deux compétitions sont similaires. Mais jusqu’aujourd’hui, chez les hommes, les équipes olympiques de football font chacune figure de sélection hybride, à mi-chemin entre l’équipe nationale et une équipe de jeunes, le plus souvent entraînée par le coach de la sélection espoirs, et composée au maximum de trois joueurs de plus de 23 ans.
De plus, du fait de la rivalité entre le CIO et la FIFA, les dates des JO ne figurent pas parmi les périodes auxquels les clubs sont obligés de libérer leurs joueurs, et nombre de footballeurs ne se montrent pas particulièrement intéressés par cette compétition. Si Kylian M’Bappé a, probablement pour des raisons autant politiques que marketing, mis en scène pendant des années son intérêt pour les Jeux olympiques de Paris, il ne semble pas avoir négocié la possibilité d’y participer au moment de signer avec le Real Madrid,.
Quant au public des Jeux olympiques, comme à chaque événement qui implique une sélection nationale, il semble plus composé de spectateurs que de supporters. Lors de la Coupe du monde féminine qui s’est tenue en France en 2019, j’avais été frappé par l’absence de passion et de culture populaire adossée à l’événement. Observer le match d’une équipe nationale, y compris française, que l’on regarde le plus souvent à la télévision lors de matchs à l’autre bout du pays, n’est pas comparable à la sociabilité populaire développée à l’intérieur et autour des stades par ceux qui encouragent toutes les deux semaines l’équipe de leur ville, habités par une mémoire et une culture locales que des associations de supporters contribuent à faire perdurer. À chaque match de l’équipe de France, l’absence d’un chant qui ne se résume pas à « Allez les Bleus » ou d’une référence culturelle autre qu’un coq au design ridicule me laisse pantois, comme les injonctions à reproduire les chorégraphies suivies par les mascottes et projetées à l’écran. C’est donc, je l’avoue, avec quelques préjugés que je me suis rendu aux rencontres de la première journée des Jeux olympiques 2024.
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En outre, ce mercredi 24 juillet, à l’occasion du match qui oppose la sélection olympique d’Égypte à celle de la République dominicaine, c’est avec une quarantaine de minutes de retard que j’arrive au stade de Nantes. Le car au départ de Rennes est parti une heure et demie plus tard que prévu, puisque c’est à ce prix que les classes populaires peuvent encore se déplacer. À l’entrée de la Beaujoire, le bruit du stade, mélange de quelques applaudissements, d’une poignée d’exclamations et de notes produites par des instruments à vent non synchronisés, me semble plus proche de la bande son d’un jeu vidéo que de l’ambiance d’un match de Ligue 1 ou de Ligue 2.
En tribune, les spectateurs, qui portent pour certains le maillot du FC Nantes, semblent en tourisme dans leur propre ville. À la mi-temps, un père et son fils viennent de découvrir que les joueurs au maillot rouge sont Égyptiens et non Dominicains comme ils le croyaient, et les paroles de Freed from desire apparaissent sur les écrans du stade. Le speaker appelle à reprendre l’air, puis, une fois le karaoké géant terminé, des gros plans de spectateurs remplacent à l’écran le texte de la chanson de Gala. En seconde mi-temps, au milieu d’un 0-0 de plus en plus évident, dans un match qui n’intéresse plus grand monde, tandis que certains sirotent une pinte de bière sans alcool vendue huit euros, la ola vient rappeler qu’il s’agit surtout de célébrer l’événement et de produire des images pour la télévision.
Le lendemain, toujours à Nantes, avant le match de la sélection espagnole championne du monde féminine, les deux speakers appellent à reproduire ladite ola, à vitesse normale, en accéléré puis au ralenti, avant le karaoké d’une chanson de Céline Dion. Chaque performance du public est ponctuée des « So great ! » et « Amazing ! » d’un des deux animateurs, aux méthodes et à l’accent américains caricaturaux. Dans un stade clairsemé, les Espagnoles l’emportent par deux buts à un. Peu avant, lorsque le score était encore d’un but partout, une spectatrice, drapeau espagnol en main, maquillage rouge et jaune sur le visage, se demandait « ce qu’il se passe s’il y a égalité ». Ni plus ni moins qu’à la suite de cette victoire, très probablement.
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