Alors que la Russie, après l’invasion militaire de l’Ukraine, se voit exclue de toutes les compétitions internationales, le football ukrainien paiera également, à court terme, un lourd tribu au conflit. La Fédération ukrainienne de football est en fait sur le pied de guerre depuis 2014.
Quelques heures après l’entrée des blindés russes sur le sol ukrainien, l’Association Ukrainienne de Football (УАФ/AUF), présidée par Andriy Pavelko, a demandé expressément à l’UEFA et à la FIFA de sanctionner la Russie. L’organisation gérant le football ukrainien demandait, dès le 24 février, l’exclusion des sélections et des clubs russes nationales de toutes les compétitions internationales; le changement, au plus vite, de lieu pour la finale de la Champions League initialement prévue à Saint-Pétersbourg, et celle de la Supercoupe, en 2023 à Kazan.
Au service de la mobilisation générale
Avec une réactivité qu’on pourra toujours taxer d’être à géométrie variable, le Comité Exécutif de l’UEFA – où siège Pavelko depuis 2019 – décidait le 25 février de déplacer ces deux finales, respectivement au Stade de France et à l’Estádio do Dragão de Porto. Trois jours plus tard, des mesures supplémentaires étaient adoptées par la FIFA et l’UEFA. Les deux instances majeures du football se sont mises d’accord pour décider que “toutes les équipes russes, qu’il s’agisse de sélections nationales ou de clubs, seront suspendues de toute participation aux compétitions de la FIFA et de l’UEFA jusqu’à nouvel ordre.” L’équipe nationale de Russie qui devait jouer deux matchs décisifs face à la Pologne en vue de la qualification pour le Mondial 2022 au Qatar, a donc été mise hors course.
Victoire symbolique pour l’AUF, qui a évidemment été contrainte de suspendre l’intégralité de ses compétitions, et qui s’est mise au diapason d’une population qui vit aujourd’hui sous les bombardements, ou en état de siège. Depuis la mobilisation générale et la loi martiale, la Fédération a réduit son exécutif à onze personnes, formant un “Centre de Coordination” restreint dirigé par Andriy Pavelko. Son but est d’assurer le fonctionnement de l’AUF, en participant notamment à l’aide humanitaire pour les civils, dont de nombreux enfants. Un des projets est que les gamins des écoles de foot d’Ukraine puissent être accueillis sur les installations des clubs des pays voisins comme la Hongrie. En lien avec les associations régionales, l’UEFA, la FIFA et la FIFPro, une des missions prioritaires de l’AUF a également été de permettre l’évacuation des zones de combat de plusieurs joueurs et de leur famille. Comme ça a été le cas pour les Brésiliens du Shakhtar Donetsk, évacués vers la Roumanie.
Sa contribution à l’effort de guerre ne s’arrête pas là, elle participe aussi à l’envoi d’aide matérielle au principal hôpital militaire de Kiev. Ce nouveau rôle de la Fédération se voit dans le contenu des publications quotidiennes – en ukrainien et en anglais – sur son site internet, son principal canal de communication vers l’extérieur. Les déclarations du président Zelensky, du ministre de la Défense Reznikov ou encore les bilans de l’état-major de l’armée occupent la une. Si on continue de trouver quelques nouvelles des joueurs ukrainiens évoluant en Europe, le football y est devenu secondaire. Sauf pour relayer les nombreux messages patriotiques des joueurs. De ceux des anciennes gloires soviétiques du Dynamo Kiev, Igor Belanov et Oleh Blokhin, à ceux des internationaux expatriés, Viktor Kovalenko (Spezia Calcio) et Oleksandr Zinchenko (Manchester City).
La tête d’un football au nationalisme bien ancré
Le site de l’AUF, en temps de guerre, sert la communication du gouvernement. Les messages publiés entretiennent le moral et visent à montrer que l’union nationale est totale, des clubs aux supporters, en passant par les joueurs et les coachs. A l’image de celui du sélectionneur national, Oleksandr Petrakov: “En ces temps difficiles, nous devons nous unir, nous soutenir mutuellement et croire en notre armée et notre État. Nous sommes sur notre terre ukrainienne et nous n’avons rien à craindre!” L’AUF relaye ainsi régulièrement les messages des footballeurs restés sur place, repris depuis leurs réseaux sociaux, qui sont d’une teneur identique: patriotisme et soutien fusionnel à l’armée. Certains joueurs se sont même engagés dans les forces armées ukrainiennes comme Vitalii Sapylo, jeune gardien du Karpary Lviv, tué dès les premiers combats.
Dans ce pays où le sentiment nationaliste est déjà prégnant, l’agression de Poutine l’exacerbe. Et, comme souvent, le football peut être un relai puissant. L’AUF est à l’image de la nation ukrainienne moderne, jeune d’à peine 30 ans. Malgré une longue histoire commune avec la Russie, elle a peu à peu forgé son mythe national en opposition, se référant à des figures historiques controversées comme Stepan Bandera, militant ultra-nationaliste et collaborateur de l’Allemagne nazie. Dans l’histoire plus récente du pays, la “Révolution Orange” de 2004 et l’EuroMaïdan de 2014 ont incarné cette volonté de tourner le dos à la Russie, sur le plan économique et militaire, en se rapprochant de l’OTAN et de l’Union Européenne. On peut faire le pari que ce sentiment nationaliste se renforcera encore sous les bombes de l’armée russe.
À la tête de la Fédé ukrainienne depuis janvier 2015, Andriy Pavelko n’a connu que la guerre, d’abord circonscrite au Donbass puis étendue à l’ensemble du pays. Une période au cours de laquelle l’AUF n’a jamais caché son engagement nationaliste. Pavelko a par ailleurs toujours défendu les joueurs impliqués dans des polémiques ayant le conflit russo-ukrainien en toile de fond. En écho au président Zelensky et à la porte-parole de la diplomatie ukrainienne, Kateryna Zelenko, Pavelko avait volé au secours de Roman Zozulya après qu’il se soit fait secouer par les ultras du Rayo Vallecano. “Xénophobie, incitation à la haine inter-ethnique et hooliganisme brutal” avait-il publié sur les réseaux sociaux dans un drôle d’exercice rhétorique quand on sait que Zozulya n’a jamais caché son soutien aux miliciens néo-nazis du Régiment Azov.
La cicatrice de la sécession de la Crimée
Les prises de position de l’Association Ukrainienne de Football, ne sont pas si nouvelles. Elle a déjà utilisé le levier du sport à des fins politiques, montrant que la neutralité du sport était bel et bien une fable et une affaire de rapport de forces. Lors de l’Euro 2021, le maillot édité par la Fédération avait créé un incident diplomatique avec la Russie. Les joueurs de la Zbirna arboraient un maillot sur lequel apparaissaient les frontières de l’Ukraine, incluant évidemment la Crimée qui avait voté son annexion à la Russie, en mars 2014.
“Les contours de notre pays ont une grande valeur pour nous. La patrie unie et indivisible, avec la Crimée, Donetsk, Louhansk, Kiev, Dnipro, ma ville natale, Lviv, Odessa et toutes les villes et villages où la mélodie la plus importante de l’enfance est celle de l’hymne national. Où l’on répond au slogan ‘Gloire à l’Ukraine !’ par ‘Gloire aux héros !’, désormais inscrits aussi sur les maillots et qui vont inspirer nos footballeurs pour de nouvelles victoires“, avait écrit le sulfureux Andriy Pavelko sur les réseaux sociaux, au moment de la présentation du maillot. La présence provocatrice, sur le col du maillot, de ce slogan belliqueux – cri de ralliement des premiers cercles nationalistes au 19e siècle, repris en boucle sur la place Maïdan en 2014 – entraîne mécaniquement les protestations de la Russie. Un compromis sera finalement trouvé par l’UEFA avec la suppression de la deuxième partie du slogan, “Gloire aux héros”, jugée trop politique. La Fédération ukrainienne obtiendra en contrepartie de la part de l’UEFA, la garantie de pouvoir commercialiser la version du maillot avec le slogan entier.
Au delà du maillot, la sécession de la Crimée a aussi redessiné la carte du football ukrainien avec le passage de clubs professionnels sous domination russe à l’issue de la saison 2013/14: le PFK Sébastopol et surtout le Tavria Simferopol. La Fédération et Pavelko n’ont pas digéré la perte de ce club “légendaire”. L’AUF a répliqué en étant à l’origine en 2016 de la re-création du Tavria, mais à 250 km de Simferopol, pour en faire le porte-drapeau footballistique de la Crimée en exil. Avant la suspension de toutes les compétitions, le club jouait le haut de tableau du Groupe B de 3e division. La reprise du football à court terme semble très hypothétique face à une guerre qui promet de durer. En attendant, à proximité du stade du Dynamo Kiev et à environ 3 km de la Place Maïdan, la “Maison du Football” (nom du siège de l’AUF) se prépare avec le reste de la population de Kiev à un assaut possible de l’armée russe sur la capitale.
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