
Initialement qualifié pour l’Europa League, Crystal Palace va finalement participer à la Conference League. Le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) a rejeté son appel et confirmé, au bénéfice de Lyon et de Nottingham Forest, la décision de l’UEFA qui a considère que le club a enfreint le règlement sur la multipropriété.
Le maintien de l’Olympique Lyonnais en Ligue 1 et en Europa League (C3) a automatiquement entraîné la relégation de Crystal Palace en Conference League (C4), au titre de l’article 5.01 du règlement de l’UEFA qui interdit aux clubs ayant un propriétaire commun de prendre part à la même compétition. Une question d’intégrité et de crédibilité sportive. Pour la première qualification européenne de son histoire, le club londonien doit donc se contenter de la plus petite, et la moins lucrative, des compétitions continentales. Remonter à la source de cette situation mène inévitablement au nom de John Textor.
Sa société “Eagle Holdings”, propriétaire de l’OL, était également, il y a encore quelques semaines, le principal actionnaire de Palace. Ces liens empêchaient logiquement les deux clubs de participer à la même campagne d’Europa League pour laquelle ils se sont qualifiés. Même si Textor a depuis revendu ses parts de Palace à Woody Johnson – propriétaire de la franchise NFL des Jets de New-York – et a été mis à l’écart de la direction de l’OL, cela n’a pas rendu caduque le verdict de l’UEFA. L’instance s’arrête au constat des liens organiques entre l’OL et de Crystal Palace, à la date limite du 1er mars 2025.
Pour le club londonien, « la décision de l’UEFA, suivie de celle du Tribunal Arbitral du Sport, montre que le mérite sportif a perdu tout son sens. Lorsque nous avons gagné la FA Cup contre Manchester City en ce jour mémorable de mai, notre entraîneur et nos joueurs ont gagné le droit de jouer en Europa League. On nous refuse cette opportunité ». Si la dénonciation est juste, elle n’épargne pas le club de ses propres largesses dans ce dossier. Car l’UEFA est tout sauf intransigeante à l’égard des multipropriétés et les manœuvres pour se dérober de ses règles ne sont pas secrètes.
Le contournement par la “fiducie sans droit de regard”
Par ricochets, c’est Nottingham Forest – propriété d’Evángelos Marinákis – qui a récupéré le siège de Palace en C3. Dans ce paysage où les multipropriétés pullulent, le puissant armateur grec possède aussi l’Olympiakos. A la différence de Textor, Marinákis avait anticipé l’hypothèse d’une qualification de ses deux clubs dans la même compétition européenne, en plaçant temporairement sa participation majoritaire à Forest dans une “fiducie sans droit de regard” ou “blind trust”. Une roublardise de col blanc qui lui avait artificiellement permis de se mettre à l’abri toute accusation de conflit d’intérêt.
La fiducie – mécanisme où les parts d’un club sont placées sous la gestion de mandataires indépendants – est l’astuce la plus connue des multipropriétés capitalistes pour contourner les règles de l’UEFA. Jim Ratcliffe d’INEOS, copropriétaire de Manchester United et de l’OGC Nice, l’avait fait pour permettre à ses clubs de participer à la dernière campagne d’Europa League, tout comme le City Football Group, pour Manchester City et Gérone, en Ligue des Champions, ou encore Toulouse et le Milan AC en 2023/24, deux propriétés du fonds RedBird Capital. C’est ce que Textor n’a pas fait avec Palace.
Le caractère hypocrite de cette pratique a pu être observée quand les caméras anglaises ont capturé les réprimandes de Marinákis envers le coach de Forest, alors même qu’il n’était plus censé intervenir dans les affaires du club. Le transfert ponctuel de ses titres de propriété à une fiducie lui avait retiré tout rôle officiel. Mais on voit qu’il l’a utilisé de façon purement cosmétique. Une infraction que la fédération anglaise n’a, au passage, pas daigné relever. Certes la fiducie perdait de son intérêt à mesure que Forest s’éloignait de la C1. Elle a d’ailleurs été dissoute sitôt Forest qualifié pour la Conference League.
Les géométries variables de l’UEFA
L’ironie veut que Nottingham Forest ait été repêché en C3 “grâce” à l’OL et à la multipropriété de Textor, avec qui Marinákis a conclu plus d’échanges commerciaux que Crystal Palace. Le club londonien aurait bien pu ne pas être au bout de ses surprises. Qualifié pour la C4, le club danois de Brondby est en effet majoritairement détenu par la holding de David Blitzer, un autre des copropriétaires de Palace. Lui non plus n’avait pas eu la présence d’esprit de placer ses parts dans une fiducie sans droit de regard. Pourtant, l’UEFA a laissé Palace et Brondby être inscrits dans la même compétition.
Le cas n’a semble-t-il même pas été instruit, à la différence de celui de Drogheda United (Eire) et du FC DAK 1904 (Slovaquie). Loin du gratin européen, ces deux clubs – ne pouvant pas être déplacés dans une autre compétition – se sont fait exclure de la Conference League par l’UEFA, pour les mêmes raisons. Le club irlandais, vainqueur de sa coupe nationale en 2024, appartient en effet au Trivela Group, qui possède également 80% de l’équipe danoise de Silkeborg. Tandis que le FC DAK est détenu à 90% par Oszkár Világi, déjà propriétaire du FC Györ.
La date limite initiale pour que les multipropriétés puissent se mettre en conformité avait été fixée au 1er juin, mais cette échéance a finalement été avancée au 1er mars. Trivela Group, qui affirmait ne pas avoir été informé à ce sujet, a vu son recours devant le TAS, rejeté. De quoi renforcer l’image désagréable, mais tellement banale au niveau des instances, de règlements à géométrie variable. Steve Parish, le président de Palace, a même exagéré le trait, allant jusqu’à qualifier le traitement subi par son club de « l’une des plus grandes injustices de l’histoire du football européen ».
En finir avec l’UEFA et la multipropriété
Cette question de la collusion entre clubs appartenant à un même propriétaire a commencé à réellement se poser en 2017 avec l’arrivée du RB Leipzig sur la scène européenne où son jumeau autrichien, le Red Bull Salzburg, était déjà en place. Les modifications structurelles réalisées à l’époque par la firme Red Bull avaient suffit au CFCB – instance de contrôle financier de l’UEFA – pour valider la participation des deux clubs. Cette « jurisprudence Red Bull » sert aujourd’hui de repère en matière de gestion des interférences liées à la multipropriétés dans ses compétitions.
Complaisante, l’UEFA se contente ainsi d’une indépendance juridique de façade, et n’affiche aucune intention sérieuse d’endiguer le phénomène des entités multi-clubs. Durant les premières minutes du Community Shield, remporté contre Liverpool à Wembley, les supporters de Palace ont ciblé l’instance par une banderole “UEFA MAFIA”. Ils seront privés de la possibilité de voir leur club jouer pour la première fois de son histoire en C3, mais qu’ils ne se trompent pas: la meilleure manière de répondre à cette injustice est encore d’en finir avec la multipropriété.
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