Après la K-League sud-coréenne la semaine dernière, la Bundesliga s’apprête à redémarrer ce week-end du 16 mai. Alors qu’en France la fin de la saison a été actée par le gouvernement, les autres championnats du Big 5 devraient imiter la stratégie allemande, dans la plus grande incertitude quant aux conditions sanitaires. Image d’un football toujours plus dans sa bulle, prêt à sacrifier le jeu et les supporters pour relancer la machine à profits.
Depuis le début du confinement causé par la pandémie de Covid-19, l’Europe du football est suspendue au bouclage incertain de sa saison. Un feuilleton à rebondissement au cours duquel les principaux dirigeants n’ont cessé de répéter qu’elle devait aller coûte que coûte à son terme. L’impératif économique et la manne des droits TV primant sur tout le reste.
Pour le permettre, l’UEFA a chamboulé ses calendriers et a déjà décidé de laisser le champ libre aux championnats nationaux en reportant le prochain Euro en 2021 et en décalant les finales de Ligue Europa et de Ligue des Champions dans le courant du mois d’août. Dans la foulée, l’instance avait même sérieusement mis en garde les ligues qui s’aventureraient à siffler de façon anticipée la fin de la saison. Ce qui a depuis été le cas aux Pays-Bas puis en France, sur décision gouvernementale.
Bundesliga à marche forcée et jolie publicité
Toujours est-il que ces mesures prises par l’UEFA n’empêchent ni l’incertitude persistante qui entoure le redémarrage du football dans des conditions dignes, ni la cacophonie qui règnent dans certains pays. Pire, ces deux derniers mois ont encore plus mis en lumière la totale déconnexion d’un monde du football en train de se couper de sa base sociale, et qui semble à mille lieues des souffrances de la population comme de la passion des supporters.
Le timing du redémarrage à huis clos de la Bundesliga, pour des motivations exclusivement économiques, ne fait que confirmer cela, alors que de nombreux groupes de supporters s’y opposent. Contrairement à ce que peut laisser penser cette reprise, les « choses ne rentrent pas peu à peu dans l’ordre ». C’est une reprise à marche forcée encadrée par un protocole sanitaire dantesque, compilé dans un document de 51 pages. Outre le huis clos et la limitation du nombre de personnes dans l’enceinte sportive, les nouvelles règles interdisent de se serrer la main, limitent au maximum tout comme les accolades lors des célébrations, etc.
En étant le premier championnat du Big 5 à reprendre, la Bundesliga se fait au passage une jolie publicité. Les yeux du monde entier seront rivés sur les matchs allemands ce week-end et, face à la crise actuelle, il n’est pas négligeable de prendre un temps d’avance sur les ligues concurrentes. Bien sûr, c’est comme ça que réfléchissent les gestionnaires capitalistes du football. Les conditions de jeu, la santé des joueurs, tout ça est finalement secondaire face à la relance de l’activité économique. A voir si les footballeurs, en manque de repères, joueront avec le frein à main dans cette configuration absurde. Tout ça, ajouté aux 5 changements autorisés à titre expérimental par la FIFA, pourrait bien donner lieu à un ersatz de football.
En attendant les autres
Les championnats voisins voient forcément dans la reprise de la Bundesliga une locomotive à raccrocher. Même Jean-Michel Aulas, dans ses rêves les plus fous, espère voir la France revenir sur sa décision. Mais ces championnats appelés à redémarrer malgré les zones d’incertitudes n’offrent, à l’heure actuelle, absolument aucune garantie de terminer la saison. L’hypothèse d’une deuxième vague de contamination massive est dans toutes les têtes et elle contraindrait toutes ces ligues à de nouveau s’interrompre.
Pour le moment, les cas positifs parmi les joueurs recensés en Italie, en Espagne ou en Allemagne n’ont pas eu l’air d’inciter les instances à faire marche-arrière. Seul le match du Dynamo Dresde en 2e division allemande a été reporté suite à la mise en quarantaine de l’effectif après que deux joueurs aient été testés positifs au Covid-19.
En Italie, où le gouvernement s’est longtemps montré réticent, on s’achemine, après un intense lobbying des dirigeants et des instances, vers une reprise des entraînements collectifs le 18 mai et du championnat le 13 juin prochain. Malgré tout, les règles seront beaucoup plus strictes qu’en Bundesliga si on en croit les mots de la ministre de la Santé qui a déclaré que le moindre test positif chez les joueurs engendrerait la suspension pure et simple du championnat. Les clubs vont être contraints de vivre dans des « bulles aseptiques » a-t-elle ajouté. Si cette mesure peut encore s’assouplir, on ignore comment les clubs vont s’y prendre dans un pays qui compte environ 31 000 morts. D’autant que plusieurs clubs (Torino, Fiorentina, Sampdoria, Milan AC, Juventus…) de la péninsule ont déjà fait état de cas de Covid-19 chez les joueurs et qu’il faudra aussi gérer le cas de certaines villes comme Bergame et Brescia qui ont payé un lourd tribut à la pandémie et où la population reste très affectée.
« Pas de football sans supporters ! »
En Italie comme en Espagne, où le calendrier de redémarrage est sensiblement le même, la reprise du football a une résonance particulièrement indécente dans ce contexte et a de quoi indigner une bonne partie de la population, au-delà des seuls supporters. « Comment pouvez-vous exulter après un but quand il y a encore des cercueils à compter ? » ont affiché les ultras de Lecce à l’entrée de leur stade. La batterie de tests nécessaires à cette reprise est choquante, à l’heure où la population les voit ultra rationnés, qu’ils ne sont pas inexistants.
Du point de vue du monde des tribunes, la généralisation du huis clos produit le même constat. Depuis l’arrêt des championnats, le redémarrage du football n’a jamais été envisagé autrement qu’à huis clos, au mépris des supporters, mais aussi des joueurs. Vue la part prise par la billetterie dans les recettes totales des clubs, le calcul a été vite fait. Les dirigeants n’ont eu aucun scrupule à sacrifier les supporters, comme un dommage colatéral de la “guerre sanitaire”. De nombreuses tribunes françaises, allemandes et italiennes se sont alors déclarées hostiles à toute reprise à huis clos. Ces derniers jours, ce sont plus de 370 groupes de supporters et d’ultras, représentant environ 150 clubs européens, qui ont uni leurs voix dans un communiqué pour s’opposer à la reprise des championnats.
Le huis clos constitue une partie de la réponse à la « bulle aseptique » évoquée par la ministre italienne. Cette « bulle » n’est pas sans rappeler la proposition de certains dirigeants anglais au début du confinement, qui envisageaient l’hypothèse d’isoler, le temps de boucler la saison, les joueurs et leur staff dans des complexes hôteliers, sur le modèle des camps de base des sélections nationales lors de Coupe du Monde. Voilà un football sous cloche, dans sa bulle au sens propre comme au figuré.
Les diffuseurs eux se frottent à coups sûrs les mains avec ce huis clos intégral qui ouvre la perspective d’un spectacle télévisé planétaire. Pour éviter que les stades sonnent trop creux, certains diffuseurs ont même été jusqu’à imaginer en option des bruits d’ambiance artificielle pour les téléspectateurs qui le voudraient. Exactement à l’image de ce “football sous covid“, sans supporters, que les dirigeants cherchent à nous vendre à tout prix, en d’autres termes, un football artificiel. Les allemands ont inventé le concept de “plastic clubs”, pour ces équipes sans histoire ni tradition parvenues au sommet grâce à la seule puissance financière de leur propriétaire. Ce week-end, la Bundesliga est sur le point d’inaugurer le “plastic football”.
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