Les “lofts”: quelles limites ont les clubs?

Au Paris Saint-Germain, Georginio Wijnaldum et Julian Draxler font partie de la liste des indésirables. (©Panoramic)

A chaque intersaison, on voit refleurir les fameux “lofts” où sont écartés les joueurs indésirables, afin de leur mettre la pression et qu’ils quittent leur club. Pratique honteuse qui reflète d’un rapport de force entre les clubs-employeurs et leurs joueurs-salariés, la mise en place de ces “lofts” doit quand même obéir à certaines règles.

Du volumineux “loft” du LOSC en 2017 à celui de Bordeaux en 2019, la pratique s’est banalisée ces dernières années. Avec son mercato estival, l’intersaison est toujours un moment où les clubs cherchent à faire des affaires et où les effectifs sont amenés à bouger. Dans leur volonté express de se séparer de joueurs jugés “indésirables”, certains clubs mettent en place ce qu’on appelle un “loft”. Les joueurs en question sont alors mis à l’écart du groupe professionnel et contraints de s’entraîner à part.

C’est par exemple le sort réservé par la nouvelle direction sportive du PSG à Rafinha, Draxler, Kurzawa, Herrera et Wijnaldum. L’UNFP – le syndicat des footballeurs professionnels – a mis en garde le club de la capitale et, par la voix de Philippe Piat, rappelé les règles de base encadrant cette pratique. “Tous les joueurs doivent être ensemble pour la reprise des entraînements de la saison. Ensuite, il y a une période jusqu’au 1er septembre qui permet aux clubs de faire un groupe numéro 2, à condition d’avoir les installations adéquates pour garantir les bonnes conditions d’entraînement, ce qui peut amener un loft on peut dire. Mais ils ne peuvent pas le faire de manière durable, et pas pour des raisons autres que sportives” a-t-il précisé au média Le Parisien.

L’article 507, cadre de référence

Intervenant régulièrement dans des situations de mise à l’écart, l’UNFP parle d’une “tendance à la mode” qui pourrait concerner environ 10% des joueurs professionnels sous contrat. Le syndicat veille au respect de l’article 507 de la Charte du Football Professionnel, la convention collective qui a vu le jour au début des années 70 à l’issue de la mobilisation contre le contrat “à vie”. Cet article, nommé “Gestion de l’effectif”, encadre ces mises à l’écart et distingue deux périodes où les clubs sont soumis à un certain nombre de règles garantissant quelques fragiles droits aux joueurs.

A l’été 2017, Marcelo Bielsa, alors coach du LOSC, avait écarté du groupe professionnel onze joueurs qui n’entraient pas dans ses plans. (©Vinpee/Twitter)

Sur la période allant du 1er juillet au 31 août, les clubs ont globalement les mains libres pour mettre en place des lofts. Ils ont seulement le devoir de permettre aux joueurs écartés d’accéder aux vestiaires, aux infrastructures d’entraînement et aux soins médicaux “éventuellement différents mais de qualité identique“; de leur fournir les équipements “prévus pour tous les joueurs professionnels“; et enfin de leur proposer des horaires d’entraînement “compatibles avec les autres conditions de préparation et d’entraînement du groupe principal des professionnels ainsi que respectueuses de la santé des joueurs“.

Les choses changent à partir du 1er septembre, et jusqu’au 30 juin. C’est dans cette période qu’apparaissent les conflits et les abus des clubs. L’article 507 a beau leur être favorable, il rappelle qu’ils ont le devoir de “donner à leurs joueurs professionnels sous contrat les moyens de s’entraîner pour leur permettre d’atteindre ou de conserver un niveau de condition physique suffisante à la pratique du football professionnel en compétition.Passés ces deux mois où les lofts sont légaux, les clubs doivent donc réintégrer les joueurs aux entraînements du groupe professionnel ou, à défaut, créer un second groupe d’entraînement “composé d’un minimum de 10 joueurs sous contrat professionnel, élite ou stagiaire pour les clubs de Ligue 1” (un groupe de 8 joueurs pour les clubs de Ligue 2).

La commission juridique de la LFP peut statuer sur la réintégration du joueur

Inutile de dire que ce cas de figure est extrêmement rare. Mais dans l’hypothèse où ce second groupe verrait le jour, le club a l’obligation de lui garantir un accès à des entraînements “encadrés par un entraîneur titulaire d’un diplôme fédéral sous le contrôle de l’entraîneur du club titulaire du BEPF ou du BEFF.” Cette possibilité laissée aux clubs se traduit souvent par l’envoi du joueur indésirable avec l’équipe réserve. Dans tous les cas, l’article 507 insiste bien sur le fait que cette mise à l’écart de joueurs professionnels dans le second groupe d’entraînement ne peut pas donner lieu au moindre abus et “doit s’effectuer de manière temporaire pour des motifs exclusivement sportifs liés à la gestion de l’effectif. Elle ne doit en aucun cas se prolonger de manière régulière, permanente et définitive s’apparentant à une mise à l’écart du joueur contraire à l’esprit du texte et du contrat de travail du footballeur professionnel.”

La Charte du Football Professionnel montre régulièrement ses limites, du moins pour protéger pleinement les intérêts matériels et moraux des joueurs. Les clubs, comme nombre d’employeurs, s’amusent avec les lignes du droit. La situation contractuelle des footballeurs repose sur un rapport de forces et est régulièrement l’objet de conflits. Certains clubs n’hésitent pas à se servir des “lofts” permis par l’article 507 comme d’un moyen de pression psychologique contre des joueurs dont ils veulent se débarrasser, ou à qui il reste une année de contrat et qui refusent de prolonger, en les isolant de leurs partenaires et collègues de travail.

La mesquinerie des clubs employeurs n’a pas vraiment de limites. En 2011, les “lofteurs” stéphanois – Monsoreau, Bayal Sall et Sanogo – s’étaient par exemple vus retirer leur place de parking, leur nombre d’invitations par match était passé de quatre à deux et ils avaient également été interdits de prendre leur petit-déjeuner au centre d’entraînement. La Charte du Football Professionnel prévoit, en cas de litige, l’intervention de la commission juridique de la LFP qui peut statuer sur la réintégration du joueur dans le groupe professionnel. Placardisés par le PSG, Pegguy Luyindula en 2011, Hatem Ben Arfa en 2017 ou encore Adrien Rabiot en 2019, s’étaient tournés vers la commission.

Placardisation, harcèlement moral et jurisprudence Ngamukol

La mise à l’écart du vestiaire professionnelle est une violence symbolique. Loïc Puyo témoignait sur le site So Foot de son expérience au sein du loft mis en place par le SCO d’Angers lors de la pré-saison 2018/19. “Le seul motif avancé était d’ordre pratique: nous priver de vestiaire se justifiait étant donné qu’il n’y avait pas assez de casiers pour tous les joueurs. Belle hypocrisie que cet argument! La seule option qui s’offrait à nous, pour participer à la vie de l’effectif pro, était de s’installer au fond de la salle de soin, dans les casiers des kinésithérapeutes. Autant vous dire un cagibi et surtout une nouvelle humiliation. On était privés de casier, mais aussi de photo officielle et d’invitation pour la soirée de présentation de l’effectif aux partenaires.”

Dénonçant un harcèlement moral, l’attaquant Anatole Ngamukol, mis à l’écart par le Stade de Reims, a porté l’affaire devant les tribunaux et obtenu gain de cause. (©B. Papon/L’Équipe)

En droit du travail, le lien entre placardisation et harcèlement moral est attesté, dès lors que cet agissement durable a des conséquences sur la santé mentale ou physique du salarié. Mis au placard par le Stade de Reims à l’été 2018, Anatole Ngamukol a obtenu gain de cause devant la justice en janvier 2021. C’est une première, si bien qu’on parle de “jurisprudence Ngamukol”. A l’époque, la commission juridique de la LFP avait reconnu une « violation de l’article 507 de la Convention collective nationale des métiers du football du fait du placement prolongé et répété d’Anatole Ngamukol dans le groupe pro 2 ». Soutenu par l’UNFP, qui a pris en charge ses frais de justice, le joueur s’est alors engagé sur le terrain judiciaire.

Débouté en première instance, le joueur a obtenu gain de cause en appel avec la condamnation de Mathieu Lacour, directeur général du Stade de Reims, reconnu coupable d’avoir « commis une faute caractérisée par des agissements répétés ayant eu pour effet une dégradation des conditions de travail d’Anatole Ngamukol portant atteinte aux droits de ce dernier, à sa dignité, et de nature à compromettre son avenir professionnel. » Le combat du joueur et de ses proches a payé. Pour les joueurs sous contrat placardisés dans un “loft”, ce jugement qui associe la mise à l’écart à une forme de harcèlement moral, donne un peu d’espoir.

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