Cet été 2021 est marqué par l’arrivée, en provenance du Chiapas, d’une délégation zapatiste engagée dans une tournée de plusieurs mois sur le sol européen. Pour les accueillir, diverses initiatives sont annoncées, notamment des tournois de foot. Pas si surprenant, car il existe bel et bien une passion zapatiste pour le sport-roi.
Il existe deux types de football au Chiapas. Il y a un football institutionnel, à moitié hors-sol, dont les équipes évoluent parfois au rythme des déménagements des franchises ou des dépôts de bilan, comme avec les Jaguares du Chiapas, disparus en 2017. Les Chiapanèques, s’ils ne boudent pas les tribunes qui restent un espace de sociabilité apprécié, peinent à s’identifier à ces équipes fugaces. A Tuxtla Gutiérrez, avec les Cafetaleros de Chiapas, le Stade Victor Manuel Reyna en est à son troisième club hôte en moins de vingt ans! A côté de ça, se développe un autre football: un football zapatiste.
Un premier match historique contre une sélection d’anciens pros
La jeune histoire du football zapatiste commence peut-être en 1999. Du moins c’est là qu’on découvre l’intérêt pour le football de ce mouvement de résistance indigène qui, hors du Mexique, était alors souvent résumé à l’image médiatique du sous-commandant Marcos, par le passé.
Une partie de l’EZLN (Armée Zapatiste de Libération Nationale) se trouvait à ce moment-là à Mexico dans le cadre de la Consultation relative aux Droits des Peuples Indigènes. Suite au non-respect des Accords de San Andrès, signés le 16 février 1996, plusieurs milliers de délégués zapatistes avaient sillonné l’ensemble des communes mexicaines. Cette mobilisation zapatiste pouvait alors compter sur 5000 combattants indigènes, dont la moitié de femmes. Six jours avant la fameuse Consultation, un match est organisé au stade Jesus Palillo Martinez, au cœur de la cité sportive Magdalena Mixhuca qui avait servi aux JO de Mexico en 68.
Pour ce premier match de l’histoire d’une équipe de l’EZNL, une sélection d’anciens footballeurs professionnels, entraînés pour l’occasion par Javier Aguirre, a accepté de se prêter au jeu. Celui qui était alors coach du CF Pachuca a été tout surpris de voir débarquer sur le terrain ces footballeurs singuliers chaussés de leurs bottines militaires et recouverts de leur légendaire passe-montagne. Les joueurs zapatistes ont néanmoins pu compter sur la solidarité de leurs adversaires du jour qui leur ont dépanné des chaussures plus adaptées. L’histoire retiendra que le match s’est soldé par une victoire 5-3 pour les anciennes gloires. Un score anecdotique, mais sur lequel l’équipe zapatiste ne manque pas de s’appuyer pour exprimer sa philosophie, à savoir que la seule vraie défaite serait de ne pas continuer à se battre.
Quelques années plus tard, en 2005, le sous-commandant Marcos a lancé un défi à l’Inter Milan pour un match de gala face à l’équipe nationale zapatiste. Taquin, le célèbre sous-commandant proposait même que le match soit respectivement arbitré et commenté par les immenses Diego Maradona et Eduardo Galeano. La proposition zapatiste, exposée dans un courrier célèbre adressé par Marcos au président de l’Inter, Massimo Moratti, portait même sur une succession de matchs. Sur un ton emprunt d’humour, Marcos suggère les causes politiques que ces matchs pourraient soutenir et à quoi les recettes pourraient servir: soutien aux Amérindiens chassés par les paramilitaires ou aux migrants expulsés par les États-Unis, etc. Il propose aussi à Moratti que ces parties soient jouées à divers endroits symboliques comme à Gênes où le jeune manifestant Carlo Giuliani a été abattu par un carabinier lors du G8 de 2001; ou encore au Pays Basque pour aller manifester devant le siège “des racistes de la BBVA-Bancomer, qui essaye de criminaliser l’aide humanitaire aux communautés indigènes“. Sans surprise ce match n’a jamais été joué. Mais le buzz médiatique généré par le courrier de Marcos en fait le plus célèbre des matchs qui n’ont pas été joués.
Naissance du soutien de l’Inter: de Javier Zanetti au programme “Inter Campus”
Les liens noués avec l’Inter Milan étaient eux bien réels. Ils s’étaient concrétisés quelques mois auparavant. La cheville “ouvrière” de ce partenariat impensable est Bruno Bartolozzi, ancien journaliste à la Gazzetta dello Sport et directeur de la communication de l’Inter de 2001 à 2005. Il avait été particulièrement touché par la sauvage agression orchestrée par des nervis à la solde du maire de Zinacantán contre un convoi de 4000 zapatistes transportant de l’eau pour aider une centaine de familles indigènes du village qui n’y avaient plus accès. Résultat: des dizaines de blessés, des habitats détruits et des centaines de villageois obligés de fuir sous la menace de représailles.
Soucieux de leur venir en aide, Bartolozzi avait fait part de la situation à Javier Zanetti, capitaine nerazzuro. L’international argentin, connu pour être sensible à la cause des populations indigènes notamment mapuches, s’était adressé aux Zapatistes dans un courrier: “Nous croyons en un monde meilleur, un monde non globalisé mais enrichi par les différentes cultures et coutumes de chaque peuple. C’est pour cela que nous voulons vous soutenir dans cette lutte pour préserver vos racines et défendre vos idéaux.” Joint à ces mots, l’Inter avait fait un premier don de 2 500 euros, soit la somme mis au pot des amendes payées par les joueurs pour leurs retards aux entraînements. Une somme destinée à réparer l’aqueduc endommagé durant l’attaque. Suivra une délégation intériste emmenée au Chiapas par Bruno Bartolozzi avec dans ses bagages des ballons, des maillots et de quoi acheter une ambulance.
L’aide se poursuivra via la fondation Inter Campus, qui ouvre des programmes destinés à venir en aide aux enfants issus de milieux pauvres dans le monde entier. Charité bourgeoise mise à part, un premier stage de football à été organisé sous la houlette de Christian Valerio. Malgré quelques obstacles linguistiques – avec le tojolabal, le tzeltal et le tzotzil, les jeunes parlaient trois langues différentes – le responsable du stage se souvient de l’enthousiasme avec lequel le football était accueilli dans ce territoire, notamment par les jeunes filles qui ont troqué leur jupe typique pour des shorts. “Nous avons été en contact étroit pendant une semaine: nous avons pu entrer dans leur quotidien, vivre avec eux et c’était fantastique. Le Chiapas est une réalité très simple et très belle, du point de vue de la réponse qu’ils apporte à leur territoire, une dynamique de cohésion et de grande force qui est celle des peuples qui luttent pour leurs droits” avait déclaré Christian Valerio dans une interview.
Mentalita Zapatista
Aujourd’hui, Inter Campus intervient auprès de 300 jeunes garçons et filles du Chiapas dans le cadre du soutien au système éducatif autonome dans les communautés zapatistes. Sur son site, Inter Campus loue les vertus du sport zapatiste “pur et simple ; il est également compétitif mais uniquement dans le but d’améliorer les compétences qui seront utiles dans la vie quotidienne : travail acharné, intégrité, bonne volonté, respect des autres et des règles, entraide et travail en commun.” Une bonne base.
Malgré le manque d’infrastructures pour le pratiquer dans de bonnes conditions, le football reste le sport le plus populaire chez les zapatistes. Il se raconte même qu’un footballeur italien décédé avait légué son héritage à la municipalité zapatiste de Guadalupe Tepeyac pour qu’il serve à construire un terrain de football. Mais certains estimaient qu’il y avait des besoins plus urgents et qu’il valait mieux répartir cet héritage au bénéfice toutes les municipalités zapatistes, notamment au niveau des centres de soin. Les proches du défunt avaient fini par céder à cette demande. Une anecdote qui montre que si le football est très populaire, son développement n’est pas considéré comme une priorité. Il reste un jeu. Le manque d’infrastructures est peut-être un frein, mais les zapatistes ne se sont jamais arrêtés à ce genre de détails.
Ça n’a pas empêché par exemple la 1ère Rencontre Internationale Politique, Artistique, Sportive et Culturelle des Femmes en Lutte, organisée en 2018, autour du 8 Mars, au caracol de Morelia, d’être ouverte par un match inaugural opposant l’Arcoiris Rebelde (du caracol de La Realidad) aux Jóvenas Rebeldes (caracol d’Oventic). Certaines jouaient en short, d’autres avaient conservé leur jupe traditionnelle. Une rencontre où les préceptes zapatistes ont été appliqués au football: “Rappelez-vous, camarades, qu’il ne s’agit pas de gagner ou de perdre, mais de la participation des femmes“. Après chaque but, le même rituel: celle qui a marqué se dirige vers un tableau pour y inscrire une dédicace ou un slogan, du type “Que le capitalisme meure et que les femmes vivent”, donnant corps à un football alternatif.
Les mots d’une des participantes, recueillis sur place par la journaliste argentine Nadia Fink pour le média Marcha, allaient dans le même sens: “Nous avons appris qu’il ne devait pas y avoir de compétition entre nous, car la compétition nous détruit et nous décourage. On dit que le football est le reflet de la vie, et aussi qu’il est le lieu où une foule de sentiments entrent en jeu : la camaraderie, l’amitié, les codes, le quartier où on vit. Mais toujours en lien avec le jeu. […] Des femmes qui jouent, qui courent; des femmes qui arrêtent le ballon avec leur poitrine; des femmes qui marquent des buts après une action collective ou sur un coup de pied arrêté; et pendant ce temps, des femmes qui font la révolution.”
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