Affublée dès sa création, par nombre d’observateurs, d’une étiquette de compétition “au rabais”, la nouvelle Conference League (C4) – pensée pour permettre à de nouveaux clubs de briller sur la scène européenne – paye surtout d’être mise au service des déboutés des deux autres coupes d’Europe. Et cette C4 mérite mieux.
Le dernier carré de la nouvelle Conference League (C4) n’a, sur le papier, pas grand chose à envier à celui de l’Europa League (C3). Entre le Feyenoord Rotterdam (une C1 et deux C3 à son palmarès), l’Olympique de Marseille (une C1 et quatre finales européennes) et l’AS Roma (deux finales), le plateau n’a pas l’allure d’un rassemblement de novices. Seul Leicester, malgré un 1/4 de finale de Ligue des Champions en 2017, semble accuser un léger manque d’expérience. Feyenoord-OM et Roma-Leicester pour des 1/2 finales, ça ne manque pas de cachet pour une première édition. Et pourtant, il y a comme un semblant de verre à moitié vide ou de goût d’inachevé au moment de dresser un début de bilan pour cette C4.
Garantir une phase de groupe à des champions nationaux plus modestes
Sa création, actée en 2019, avait été présentée par l’UEFA comme l’occasion d’élargir l’éventail des équipes et des pays représentés en phases de groupes. «Cette compétition montre que les petits pays peuvent jouer avec les grands pays, tout le monde peut jouer contre tout le monde», avait déclaré Aleksandr Ceferin, président de l’UEFA, au moment du lancement de la Conference League au mois d’août dernier. L’objectif de la C4 d’augmenter les chances de clubs plus modestes a été partiellement rempli, du moins pour ceux provenant des tours qualificatifs de C1. Elle a ainsi permis d’atteindre les 76% de clubs (soit 61 sur 80), initialement engagés en C1, à prendre part à une phase de groupe (32 en C1, 17 en C3 et 12 en C4).
Entre les repêchages et la “voie des champions” qui leur est réservée, l’UEFA a suffisamment sécurisé le parcours des clubs de sa compétition-phare pour atteindre ce ratio. Une phase de groupes, c’est au moins six matchs supplémentaires garantis et les revenus liés aux droits de retransmission qui vont avec. Habile de la part de Ceferin qui flatte là les fédérations les moins puissantes, alors que la menace sécessionniste de la Super League plane toujours au dessus du football européen. Par le biais de la C4, huit équipes ont donc pu, pour la première fois de leur histoire, participer à une phase de groupes. Parmi elles, plusieurs champions nationaux (éliminés lors des différents tours qualificatifs de C1 et reversés directement en qualifs de C4): le Kairat Almaty (Kazakhstan), le NŠ Mura (Slovénie) et Bodø/Glimt (Norvège). Lincoln Red Imps (Gibraltar), le Flora Tallinn (Estonie) – pour sa 27e participation européenne d’affilée – et Alashkert (Arménie) sont même les premiers clubs de l’histoire de leur pays à atteindre ce stade.
Les deux autres “nouveaux venus” étaient l’Union Berlin – directement qualifié en C4 via sa 7e place en Bundesliga – et l’équipe danoise Randers FC, repêchée de C3. Tous ont été répartis dans les chapeaux 3 et 4 au moment du tirage, et aucun de ces clubs n’a atteint les 1/8 de finale, à l’exception de Bodø/Glimt. Forçant le respect, le parcours du club norvégien – finalement éliminé en 1/4 par la Roma – a été au fil des tours une attractions de cette C4, peut-être la seule. Avec un des plus petits indices UEFA de la compétition, Bodø/Glimt – invincible dans son Apsmyra Stadion – s’est même payé le luxe de renvoyer le Celtic à la maison, et d’infliger une déculottée mémorable à la Roma de José Mourinho (6-1).
Offrir un filet de sécurité supplémentaire
Malgré la profusion de repêchages, un des intérêts de cette C4 est justement qu’elle n’a offert aucune place directe pour sa phase de groupes, hormis pour les dix clubs éliminés de C3 juste avant cette phase. Ce qui a eu le mérite de rendre plus sélectives des phases qualificatives généralement sans saveur, ni énorme enjeu. Service minimum pour les équipes du “Big 5” – AS Roma, Tottenham, Union Berlin et Rennes – qui n’ont eu qu’un seul tour qualificatif à franchir. Mais d’autres, comme le FC Bâle, Copenhague, La Gantoise, le Feyenoord ou encore le Partizan Belgrade se sont sortis d’un parcours parfois piégeux avec trois tours à franchir. Le Feyenoord et le FC Bâle, respectivement face au FC Drita (Kosovo) et Hammarby (Suède), ont bien failli passer à la trappe. D’autres, avec parfois des “noms”, qui ont certes perdu de leur superbe, n’ont pas réussi à se sortir du bourbier: citons le Steaua Bucarest, l’AEK Athènes, l’Austria Vienne ou encore l’Hajduk Split. Plus surprenant, Anderlecht et le Viktoria Plzeň – habitués des joutes européennes – ont aussi fait les frais des tours qualificatifs.
Une fois ce tableau dressé, le Feyenoord ferait probablement le plus beau vainqueur, du moins le plus méritant. Ce dont le Tottenham d’Espirito Santo, puis de Conte, grandissime favori avec la Roma, a été incapable de faire preuve. Les Spurs ont complètement galvaudé le tournoi, alignant une équipe B, battue à Arnhem, puis sur le terrain du NS Mura, “Petit Poucet” slovène de l’épreuve. Peut-être démotivé à l’idée de jouer une compétition européenne sous-dotée par rapport aux deux autres (235 millions d’euros contre 560 millions pour la C3 et environ 2 milliards pour la C1), Tottenham a été lamentablement éliminé.
En France aussi, l’image de “consolante” a longtemps collé à la peau de la C4. Malgré un parcours honorable du Stade Rennais, elle a été snobée par les médias français jusqu’à ce que l’OM y soit repêchée et apparaisse comme un vainqueur potentiel. Des doutes logiques vu son format qui fait la part belle aux équipes repêchées de C1 et de C3, soit 45 équipes sur les 181 qui auront participé à la C4. Car l’utilité première de cette nouvelle compétition – après avoir ouvert les groupes à une nouvelle gamme de clubs – est bien d’offrir une bouée de sauvetage supplémentaire. Un double filet de sécurité autant sportif qu’économique. Quitte à se livrer à certaines grossièretés comme le Slavia Prague qui, après deux éliminations successives (en C1 puis en C3), a pu intégrer directement les groupes de la C4. Et donc se retrouver au même niveau que d’autres équipes qui s’y sont qualifiées en franchissant plusieurs tours.
Maintenir l’ordre social des compétitions européennes
Pas terrible pour l’équilibre et l’équité d’une compétition. La question de l’intérêt sportif des repêchages se pose alors que leur influence sur le déroulé de la compétition est réelle. Au stade des 1/2 de finale, deux clubs – Marseille et Leicester – ont bénéficié d’un repêchage après avoir terminé 3e de leur groupe de C3, couronnant un parcours médiocre. Si, à l’ère du football moderne, le mérite sportif n’est pas – on le sait bien – ce qui guide la vision de l’UEFA, on ne peut pas esquiver certaines questions. Quelle est la valeur d’une compétition qu’on peut gagner en y étant reversé la veille des 1/8 de finale ? Ça vaut aussi pour la C3 qui a rodé ce système des repêchages. En ce sens, une finale Feyenoord-Roma ne sauverait que les apparences, car le problème du déficit de singularité de la C4 résulte des transformations du format des compétitions européennes sous les coups de boutoir du libéralisme.
Cette offensive libérale initiée dans les années 90 a fini par avoir raison de ces trophées avec une identité propre, comme jadis le triptyque Coupe des Clubs Champions / Coupe des Coupes / Coupe de l’UEFA. Même si la Coupe des Clubs Champions a toujours été plus prestigieuse, ces trois trophées étaient indépendants les uns des autres, et la voie pour y accéder était unique et lisible. La donne est complètement différente aujourd’hui avec des compétitions européennes organisées selon une logique hiérarchique et pyramidale. La C4 est tout en bas de cet ordre social corroboré par les indices UEFA médian des trois compétitions: Champions League (64.500), Europa League (28.500), Conference League (14.857). Un paysage européens segmenté en trois niveaux distincts, et quasi figés, garantissant des revenus à un certain nombre d’habitués. C’est aujourd’hui le modèle qu’oppose Ceferin aux appétits gargantuesques des promoteurs d’une Super League fermée, le Real et la Juventus en tête. Si un trophée européen reste un trophée européen que le vainqueur sera fier d’accrocher à son palmarès, la C4 mérite mieux que ce rôle de consolante. Pour ça, l’architecture complète des coupes d’Europe est à revoir et, quelque part, le cours du football moderne à inverser. Ce ne sont pas vraiment les plans de l’UEFA.
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