La LFP a officialisé son futur partenariat avec Uber Eats. La plateforme de livraison de repas vient de s’assurer le naming de la Ligue 1 à compter de la saison 2020/21, et ce pour deux saisons. Avec cette arrivée, la bourgeoisie du football franchit un nouveau cap dans la bataille culturelle menée sous le pavillon du football moderne.
Les cotillons n’ont pas été sortis mais c’est tout comme. Didier Quillot, le Directeur Général de la LFP, n’a pas caché pas sa joie, débordante comme un tiroir-caisse. « Nous sommes très fiers de pouvoir compter sur le soutien d’Uber Eats, grande marque mondiale, pour accompagner le développement du championnat de France. […] Après des accords de partenariat avec les grandes franchises de sport américain, nous sommes très fiers qu’Uber Eats ait choisi la Ligue 1 comme premier partenariat sportif européen avec pour objectif d’y accompagner son développement. Nous sommes aussi particulièrement heureux de pouvoir associer la Ligue 1 à une marque très forte auprès des jeunes consommateurs. »
Depuis le baptême de la MMArena du Mans en 2007, le naming s’est peu à peu imposé dans le football hexagonal, devenu un terrain de jeu pour les enseignes du secteur tertiaire, sociétés d’assurance, téléphonie, banques. « Matmut Atlantique » à Bordeaux, « Allianz Rivera » à Nice, « Groupama Stadium » à Lyon ou encore « Orange Vélodrome » à Marseille, cette pratique publicitaire qui consiste pour une marque à accoler son nom celui d’un stade ou d’une compétition, s’est étendue. Au grand dam des quelques résistants opposés au football moderne qui font entendre leur voix. La suite logique est de voir débarquer les grands noms de l’économie des plateformes. Uber a d’ailleurs déjà un pied au Red Star depuis octobre 2018, non sans avoir déclenché la colère des fans les plus fidèles dénonçant une « collaboration contre-nature » avec une entreprise « qui a fondé son modèle sur le contournement du droit du travail ».
En attendant, Uber Eats devient partenaire officiel de la L1 pour la saison à venir et lorgnerait même sur le maillot de l’OM pour devenir sponsor principal. Même si le contrat ne porte que sur deux saisons, Uber Eats rentre de façon fracassante dans la L1 pour une somme avoisinant, selon les médias, 15 millions d’euros par an. Soit deux fois plus que le partenariat actuel avec Conforama. De la bouche de son manager général, Uber Eats travaillerait déjà à la mise en scène des protocoles d’avant-match avec l’idée saugrenue que le ballon du match soit livré.
On ne peut pas s’empêcher de penser aux milliers de forçats du bitume qui pédalent comme des galériens pour remplir leur frigo. Un sac cubique sur le dos, aux couleurs de la plateforme qui les exploite, transformés par la même en encarts publicitaires ambulants, et pour pas un sou de plus. Le 17 janvier 2019, Franck Page, un jeune livreur de 18 ans mourrait, percuté par un camion, à côté de Bordeaux. Bossant pour Uber Eats, il est le premier livreur de ces plateformes à mourir au travail en France. Une tragédie malheureusement prévisible tant les plateformes de livraison jouent avec la vie de leurs livreurs depuis l’essor incontrôlable de ce secteur ces trois dernières années. Fin 2019, c’est Karim, un autre livreur Uber Eats de 19 ans, fauché par une voiture à Champs-sur-Marne qui meurt après plusieurs jours de coma. Le nombre de morts est en constante augmentation, 15 morts en 13 mois dans le monde, et nous ne parlons même pas des accidentés et blessés quotidiens. Non, ce ne sont pas les risques du métier. Cette situation découle directement du modèle d’exploitation que les entreprises comme Uber ont institué.
Avec des livreurs généralement payés « à la course » et au lance-pierre, ces enseignes ont réintroduit le travail à la tâche, ayant parfaitement mis à profit l’arnaque du statut d’auto-entrepreneur que les livreurs sont contraints d’avoir. Ainsi individualisés, ces derniers se retrouvent mis en concurrence les uns et les autres, ce qui conduit à une prise de risque toujours plus grande. Inévitablement, les accidents se multiplient. Et avec l’ubérisation, les livreurs n’ont pas de congés payés et ne peuvent bénéficier ni d’arrêts maladie, ni d’accidents du travail. Les plateformes ont beau chercher à se dédouaner avec leurs appels réguliers à la prudence, les « Ride safe ! » envoyés par texto sonnent comme du foutage de gueule pour des livreurs bombardés de commandes et qui luttent pour arracher le paiement de la moindre prime « intempérie ».
En s’acoquinant avec Uber Eats, la LFP s’apprête à s’engraisser grâce à l’argent généré par ce modèle d’exploitation qui produit des travailleurs précaires à la pelle. L’arrivée d’Uber Eats dans le monde du football est tout sauf anodin. Les soirs de matchs sont des pics de cadences. Les livreurs ne s’y trompent pas. Ils ont tenté de déclencher une grève massive lors de la Coupe du Monde 2018. Dans les pays voisins, les luttes victorieuses doivent les inciter à mener la vie dure aux plateformes de livraison, pour arrêter de trinquer à chaque coup de pédale.
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