En 2014, à l’aube d’une Coupe du Monde au Brésil ayant provoqué l’une des plus grosse révolte sociale contre un évènement sportif, les éditions Fakir, rattachées au journal alternatif de gauche du même nom, publiaient Comment ils nous ont volé le football, petit bouquin de 123 pages, sous la direction de François Ruffin et du regretté Antoine Dumini. Mais nous a-t-on vraiment volé le football?
D’Antonio Gramsci à Albert Camus en passant par Eric Hobsbawn qui le définissait ni plus ni moins comme “la religion laïque du prolétariat”, mais aussi Pasolini ou Eduardo Galeano, les intellectuels issus de la grande famille de la “gauche” qui ont manifesté un intérêt pour le football, sont beaucoup moins marginaux qu’on pourrait le penser. En France, le football a longtemps eu mauvaise presse dans les milieux d’extrême-gauche où il est parfois encore mal vu. Des restes sûrement, de l’influence qu’ont pu avoir à une époque les théories de critique du sport, principalement issu courant dit “freudo-marxiste”. Mais les choses évoluent.
Rappel des origines bourgeoises du football
Dans Comment ils nous volé le football, les auteurs s’essayent, de façon très accessible, à raconter la mondialisation à travers le football, ou l’inverse. Nous l’avons lu. Nous y avons retrouvé des thèmes, des figures, des symboles et des épisodes que nous aimons aussi mobiliser sur notre blog. Nous y avons aussi trouver quelques limites. La discussion est ouverte.
Avec son titre évocateur ce livre écrit à plusieurs mains nous met d’emblée devant l’idée qu’il a existé un football institutionnel non-marchand. Bien sûr ce n’est pas affirmé de cette manière, car les auteurs savent très bien que c’est faux. Ils n’ignorent certainement pas que le football, né dans la deuxième moitié du 19e siècle en Angleterre, est un produit du capitalisme industriel. Ce n’est qu’après quelques années d’une pratique réservée aux fils de bourgeois dans les écoles élitistes, que le football gagne la classe ouvrière. Les valeurs d’effort, de compétitivité et de rendement véhiculées par ce sport, offrent au patronat anglais un parfait outil de disciplinarisation des ouvriers, finançant les clubs selon l’idéologie paternaliste. Nous faisons volontairement court, mais autant dire que le fruit n’a cessé de pousser avec le ver capitaliste en son sein. A partir de là, le football n’avait aucune raison d’échapper à la restructuration de l’économie et à la libéralisation des marchés. Comment ils nous volé le football, la formule frappe, et pourrait être efficace, mais elle repose sur une illusion. Quel football a déjà bien pu nous appartenir ? Celui qui, confisqué par les élites, excluait les ouvriers ? Celui qui s’est développé dans le cadre de l’entreprise ? Celui qui existait avant l’arrêt Bosman qui a libéralisé la circulation du “joueur-marchandise” européen dans les championnat de l’U.E. ?
Les limites du discours anti-mondialisation
Ce livre, par ailleurs assez agréable à lire, a le mérite d’essayer de mettre des mots sur une contradiction assumée mais qui flirte avec la schizophrénie : être critique du capitalisme et aimer le football. La principale limite de ce livre réside dans le fait de n’analyser le football que dans son évolution ces trente dernières années. C’est à dire de son basculement progressif d’une économie paternaliste et plus locale, reposant le plus souvent sur l’appui de la grosse entreprise du coin1 et sur des subventions municipales, vers un football ouvert aux fonds d’investissement et à l’actionnariat. Cet angle d’approche relativement nostalgique, a une fâcheuse tendance à idéaliser un football qui n’existe plus, mais qui n’en était pas moins déjà un instrument des pouvoirs politique et patronaux. Le propos global du livre s’inscrit alors dans une critique plus que partielle du capitalisme consistant à cibler la finance comme principale ennemie. Ce qui revient à dire en gros que le problème n’est pas le mode de production reposant sur l’exploitation de l’homme par l’homme, mais les banques. C’est la ligne de la plupart des courants citoyens, des Indignés voire d’une partie de l’extrême-gauche réformiste, qui revient à mi-mot à revendiquer un capitalisme plus humain.
Un autre football est-il possible ?
Emmêlés dans cette contradiction, il est logique de rêver à un autre football. Mais la compatibilité de cet autre football avec le monde capitaliste, dans le sport et au-delà, est beaucoup plus improbable pour ne pas dire plus. Autrement dit, imaginer une équipe compétitive, qui participerait aux meilleurs championnats sans avoir de moyens financiers conséquents, est aujourd’hui impossible. Le football demande des moyens, des investissements et exige un certain taux de profits. Dans ce contexte, sur le modèle de ce qui peut se faire dans le monde de l’entreprise, ont commencé à émerger ces dernières années des alternatives, des clubs d’initiative populaire, structurés comme des sortes de coopératives2. Il s’agit souvent de clubs qui ont fait faillite et qui ont été repris de façon collégiale sur la base d’un actionnariat populaire demandant une petite cotisation, comme c’est le cas d’une dizaine de clubs en Espagne, dont les meilleurs évoluent entre la 3e et la 4e division. Mais aussi de clubs créés à l’initiative de supporters opposés à la direction prise par leur club, comme c’est le cas pour l’AFC Wimbledon ou le United of Manchester à qui un petit encart est consacré. Ce modèle oppose à “l’argent-roi” de propriétaires milliardaires, une passion populaire. Ce mouvement pour un autre football ouvre un débat avec tous les supporters et amateurs de football qui se sentent dépossédés de quelque chose… même si ce quelque chose ne nous a jamais appartenu. Au risque de passer pour les pessimistes de service, malgré ces initiatives, la logique économique de l’industrie du football ne changera pas, pire elle s’aggravera. La course à l’armement des clubs les plus riches va se poursuivre, l’écart avec les moins riches va continuer à se creuser. Tout simplement car le football épouse la dynamique du capitalisme de recherche frénétique de profit. La transformation voire la révolution du premier implique nécessairement la destruction du second.
D’ici là, heureusement qu’il nous reste les parties endiablées qu’on joue avec ses potes au city-stade ou sur n’importe quel bout de gazon bosselé. Vu qu’il ne génère pas de profit, on risque pas de nous le voler.
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Notes:
1 Comme Peugeot pour le FC Sochaux-Montbelliard ou Casino pour l'AS Saint-Étienne. 2 Tentative d'apport critique aux discours élogieux sur les SCOP et autres formes de gestion alternative sur le site Tantquil.net
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