Tribune | Entre août et octobre 2023, quatorze supportrices de clubs qui avaient affronté le Havre Athlétic Club au Stade Océane ont annoncé le dépôt d’une plainte pour agression sexuelle à la suite de fouilles invasives et humiliantes à l’entrée de la tribune visiteurs. Toutes dénonçaient des palpations particulièrement poussées, notamment au niveau de la poitrine et du sexe.
Les plaintes viennent d’être classées sans suite par le procureur, et la direction du HAC s’est empressé de publier un communiqué lapidaire. Dans un premier temps, le club prend acte du classement sans suite. Puis, à la deuxième et dernière phrase, le HAC regrette « le traitement médiatique de cette affaire », à savoir la publication d’articles relayant la version des supportrices au moment des dépôts de plaintes. Après lecture de ce communiqué, nombre de supportrices et de supporters havrais ont fait part sur les réseaux sociaux de « la honte » ressentie. Dorénavant, il sera difficile de prendre au sérieux les campagnes marketing affichant l’attachement de la direction du club à l’égalité entre les hommes et les femmes, et sa volonté de créer un environnement accessible à toutes et tous.
Certes, d’un point de vue strictement juridique, la décision du procureur est compréhensible. Pour qu’un délit soit constitué, il ne s’agit pas seulement de constater un fait (la commission des gestes en question), mais aussi de prouver l’intentionnalité (en l’occurrence, la motivation sexuelle dans l’esprit de la personne accusée). Dans le cas présent, il n’est pas prouvé que l’employée mise en cause ait été guidée par une intention sexuelle. Récemment, dans un cas plus grave, celui d’un jeune homme rendu infirme par l’introduction d’une matraque dans l’anus, la même logique a poussé un tribunal à condamner les policiers pour « violences » tout en écartant la qualification de viol. Pour autant, la réflexion ne saurait se borner à l’aspect légal. D’ailleurs, en dénonçant le traitement médiatique et le relai de la parole de supportrices choquées par les « palpations » subies, le HAC, lui non plus, ne se limite pas à la seule dimension judiciaire. En réagissant ainsi, le club, en plus de se fermer à la parole de femmes qui dénoncent un manque de respect de leur corps, tente de refermer tout débat sur les pratiques sécuritaires imposées à l’intérieur et autour des stades.
Les gestes dénoncés ne concernent pas seulement le Stade Océane, et des faits similaires ont été constatés dans d’autres villes de France et d’Europe. Aussi, ces comportements humiliants sont à relier aux restrictions toujours plus importantes de déplacement et d’expression qui visent les supporters et les supportrices, aux politiques d’intimidation mises en place par le gouvernement, les clubs, les préfectures, les policiers et les sociétés de sécurité privée. Lorsque les déplacements ne sont pas purement et simplement interdits, les fouilles particulièrement poussées, comme les longues attentes à l’entrée et à la sortie des tribunes, ou encore les interdictions de circuler en ville en arborant les couleurs de son club, visent à générer stress et résignation. Didier Fassin, anthropologue qui avait observé les pratiques de la Bac dans les quartiers populaires, affirmait que « l’habitude de l’humiliation » avait pour but de produire « l’habitus de l’humilié. ». Toute proportion gardée, cette remarque peut s’appliquer aux brimades que nous constatons à l’entrée des stades.
Pour justifier ces humiliations, les catégories de population qui les subissent doivent être diabolisées dans certains discours médiatiques. Pendant que le HAC s’indigne que les voix de supportrices soient relayées dans quelques médias, d’autres commentateurs dramatisent à longueur d’antenne chaque craquage de fumigène en tribune et toute forme d’indiscipline émanant des classes populaires. Le sociologue Pierre Douillard, qui fut lui-même éborgné par un tir de flash-ball lors d’une manifestation lycéenne, a analysé « la construction médiatique d’un ennemi intérieur » qui vise à justifier les humiliations dont sont victimes « des populations sur lesquelles il est acceptable de taper : les habitants des quartiers, les Zadistes, les supporters sportifs. » Parce qu’elle s’insère dans ce contexte sécuritaire et médiatique, la publication par le HAC d’un communiqué qui, en plus de justifier le traitement dont les supporters et les supportrices sont l’objet, reproche à des journalistes d’avoir donné la parole à ces dernières, avait toutes les raisons de choquer.
Vivian Petit, supporter du HAC, auteur de « Ciel et marine » (Médiapop, 2023)
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