Quand le sport se met au service du pouvoir rwandais: cyclisme, basket, football

(©Village Urugwiro/New Times)

Le rideau est tombé sur les championnats du monde de cyclisme, disputés à Kigali. Sans nous attarder sur le bilan sportif, ils incarnent l’apogée du grand projet de blanchiment par le sport de Paul Kagame, président du Rwanda depuis l’an 2000.

Paris SG, Arsenal, Atletico de Madrid: vous l’avez probablement remarqué, ce projet de sportswashing est aussi passé par le sport roi et les partenariats signés avec le gratin du football européen qui arbore désormais fièrement le logo “Visit Rwanda”. Les Gunners ont inauguré ce partenariat, estimé à environ 10 millions de livres sterling par an, en 2018. Le PSG a suivi en 2019, affichant “Visit Rwanda” sur les panneaux publicitaires du Parc des Princes ou encore son maillot d’échauffement. Le contrat, rapportant 15 millions d’euros par an, a été prolongé jusqu’en 2028. Le club parisien a également ouvert un centre de préformation à Huye où certains joueurs de l’effectif se sont déjà rendus.

Cet été, sous la pression de ses supporters et de Vincent Kompany, d’origine congolaise, le Bayern Munich a fini par annoncer cet été la révision de ce partenariat – prévu jusqu’en 2028 – et son recentrage autour de l’académie que le club a fondé à Kigali. Ainsi le club bavarois ne fera plus la promotion de “Visit Rwanda” sur ses maillots ni autour du terrain. Faut-il y voir une brèche vers une prise de conscience plus large?

L’objectif du gouvernement rwandais – via le Rwanda Development Board (RDB) – est de promouvoir le pays comme une destination touristique de premier plan. Ce sportswashing s’exprime à travers des investissements dans d’autres sports: le basket (signature d’un partenariat avec la NBA, avec la FIBA, accueil de la Ligue Africaine de Basket), la Formule 1 (candidature pour l’organisation d’un Grand Prix), et donc le cyclisme (Tour du Rwanda, Championnats du monde). En cumulé, 250 millions de dollars ont été investis ces dix dernières années dans la construction d’infrastructures sportives haut de gamme. Pour un pays qui, comble du cynisme, dissimule derrière le mirage de sa croissance (7-8% sur les dernières années), un accès à l’enseignement des plus faible en Afrique, une qualité de la nutrition dégradée, un taux de sous-développement de l’enfant inquiétant… Bref, l’hypocrisie règne.

Si Paul Kagame et l’élite gouvernementale et économique rwandaise investissent autant dans le sport, c’est en partie pour mettre en avant la “réconciliation nationale” après le génocide, mais surtout pour normaliser son image à l’échelle internationale. En effet, le gouvernement rwandais soutient, les troupes du Mouvement du 23 mars (M23) qui occupent depuis 2022 et dans un relatif anonymat une partie du Nord-Kivu, convoité pour ses ressources minières précieuses dans la chaîne de production mondiale. Cette opération se déroule malgré les appels de détresse répétés de Kinshasa qui exhorte les clubs européens à mettre un terme à ces partenariats cyniques et impunis. Pourtant, à quelques centaines de kilomètres du tracé de la course qui a sacré Tadej Pogacar, le groupe M23 commet des crimes de guerres atroces, sanglants, comme la récente exécution de 140 civils, sans que ça ne compromette à aucun moment la tenue de l’épreuve.

L’État rwandais est un état bourgeois, dominé par le même homme et ses proches depuis 25 ans qui défendent leurs intérêts de classe au mépris des conditions de vie de la population. Paul Kagame a largement tiré profit du ‘crédit’ alloué au Front Patriotique Rwandais par la communauté internationale pour avoir mis fin au génocide. Les ONG et organisations internationales ont fait preuve d’une complaisance inouïe, pour permettre la reconstruction du pays, en fermant les yeux sur l’autoritarisme de Kagame, les exactions du régime au Congo ou les violations de droits humains à l’intérieur même du pays. La dernière leader d’opposition, Victoire Ingabire, a été arrêtée en juin dernier, et cinq membres de son parti ont été tués ou sont portés disparus.

En France, quatre députés La France Insoumise ont toutefois présenté une proposition de résolution, portée par Carlos Martens Bilongo, en soutien à l’intégrité territoriale de la RDC et condamnant le soutien du gouvernement rwandais au M23. Le texte a été adopté définitivement le 7 juillet dernier, sans avoir été soumis au vote de l’Assemblée et dans sa version telle que modifiée par la commission des affaires étrangères. Ce texte n’est pas contraignant, et ne crée aucune obligation juridique pour l’Etat Français, il joue uniquement un rôle symbolique.

Tadej Pogačar, sacré champion du monde à Kigali le 28 septembre dernier.

En amont des Championnats du Monde de cyclisme, les autorités rwandaises ont opéré un nettoyage social, arrêtant et incarcérant des travailleuses du sexe, des sans-abris et d’autres ‘indésirables’, jugés nuisibles. Certains habitants ont aussi été contraints de repeindre leur toit, et de frotter les arbres avec du savon et des brosses pour que les images soient “bien propres” (sic). Les institutions engagées dans ces partenariats – la NBA, l’UCI, l’UEFA ou les clubs sponsorisés – n’ont bien entendu jamais pris la parole pour assumer leur responsabilité sur un enjeu politique aussi sensible. Aucune mention de la disparition des opposants politiques, ni de la surveillance généralisée, ni de l’invasion sur le sol congolais. Rien. En revanche, nous avons eu droit à des articles sur le soutien de Kagame à Arsenal ou son goût pour le basket (sic, encore).

Le Rwanda n’est qu’un exemple parmi d’autres de blanchiment par le sport, destiné à redorer l’image entachée du pays. Le sport est un objet économique, politique, de la plus haute importance pour les capitalistes qui ont toujours utilisé sa portée, de tout temps et partout. Le sportswashing est un moyen de dissimuler une réalité matérielle : l’exploitation des ressources congolaises et les convoitises du Rwanda sur ces territoires. L’autoritarisme et l’atrocité des opérations menées rendent cette stratégie moralement insoutenable. C’est aussi cette violence impunie que les manches de certains grands clubs européens valident en mettant en valeur la marque “Visit Rwanda”.

Le Rwanda fait partie intégrante de la division internationale du travail: c’est un sous-traitant militaire et politique des puissances occidentales. La violence y est déléguée pour préserver cet ordre néocolonial et garantir à l’Europe l’accès aux ressources de la région des Grands Lacs, sans avoir à se compromettre. On retrouve en miroir de ce sportwashing rwandais cette duplicité et cet opportunisme occidental. En dépit de dénonciations de façade, aucune sanction réelle n’a été prise à ce jour à l’encontre de Paul Kagame et de son gouvernement.

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