Quand l’Union Berlin était “pauvre mais sexy”

La structure associative et participative des clubs allemands est souvent vantée et citée, de façon excessive, comme un modèle d’authenticité. Tiraillés entre modernité et tradition, quelques clubs “cultes” entretiennent le mythe d’un football différent, à l’image de l’Union Berlin. Mais pour tenir dans l’élite, il rentre progressivement dans le rang.

Durant l’été 2025, l’Union Berlin a signé un nouveau partenariat avec Raisin, une entreprise de la tech berlinoise spécialisée dans l’épargne en ligne. C’est un nouveau pas dans le processus d’adaptation du club aux exigences économiques du football moderne. Comme une dernière couche de vernis “éthique”, les dirigeants insistent sur le fait qu’il s’agit d’une “entreprise locale”. Mais ce choix de sponsor symbolise le glissement d’un club qui a toujours eu une forte identité sociale et communautaire vers un réalisme capitaliste de plus en plus assumé.

À l’occasion de la montée historique en Bundesliga en 2019, la communication rassurante de la direction ne l’avait pas empêché d’abandonner quelques pans de l’éthique du club en chemin. Comme un des premiers symboles de ces concessions: le renforcement du partenariat avec Aroundtown (déjà liée au club depuis 2017) promu sponsor maillot de l’équipe-fanion. Le choix de cette société immobilière luxembourgeoise – filiale de Grand City Properties responsable de l’inflation des loyers à Berlin – a forcément fait grincer des dents parmi les fans de la première heure.

La réunification et le temps de la survie

Sans le sou au début des années 2000, l’Union Berlin a longtemps cultivé l’image d’un club imaginatif, habitué à faire beaucoup avec peu. Son image populaire ne vient pas de nul part. Club préféré de la classe ouvrière de Berlin-Est, il tient son surnom d’Eisern Union (l’Union de Fer) aux métallos de Treptow-Köpenick. L’arrondissement est connu pour avoir été un repaire de la résistance au nazisme dans les années 30, époque où le club était connu sous le nom de SC Olympia 06 Oberschöneweide.

L’hymne, chanté par l’icône punk Nina Hagen, proclame qu’il ne “se laisse pas acheter par l’Ouest”. Et pourtant, la nostalgie de l’ère stalinienne n’est pas le genre de la maison. Dans ses tribunes, l’hostilité envers la RDA, son régime policier et son capitalisme d’État, était palpable. Le football est-allemand était dominé par son puissant voisin, le Dynamo Berlin qui avait les faveurs d’Erich Mielke, chef de la Stasi. “Il n’y avait pas d’opposition politique explicite, mais si vous étiez un jeune homme qui voulait ressentir la liberté et vivre sa vie, vous alliez à l’Union”, raconte Christian Arbeit, figure historique du club.

Son nom actuel, le 1.FC Union Berlin ne l’a adopté qu’en 1966, cinq ans après la construction du Mur qui a longtemps séparé la ville. Une époque où les tribunes de l’Union chantait “Le Mur doit tomber, le Mur doit tomber” quand l’équipe adverse obtenait un coup franc. La chute du Mur n’a pas été pour autant synonyme de jours heureux. La réunification a réservé un sort défavorable aux équipes de l’ex-RDA, pour la plupart affectées au 3ème niveau. La transition vers ce football occidental en pleine mutation libérale a été délicate.

(©FC Union Berlin)

Une longue période d’errance dans les divisions inférieures s’est alors ouverte pour l’Union Berlin qui aurait pu mourir plusieurs fois. Dans une situation financière catastrophique, le club ne devra sa survie qu’à l’engagement de ses fans, une première fois décisif en 2004 avec la campagne “Bluten für Union”, appelant à donner son sang pour récolter des fonds. Quatre ans plus tard, ils seront encore près de 2500 à participer à la rénovation de leur stade délabré, pour l’équivalent de plus de 140 000 heures de travail. Christian Arbeit l’assure: “c’est cette saison-là que l’ascension de l’Union a commencé”.

Rentabilité du “conte de fée”

Durant ces trois décennies de galère, le ciel de l’Union – alors en D3 – sera égayé par une finale de la Coupe d’Allemagne lors de la saison 2000/01, ce qui lui offrira une qualification improbable en Coupe de l’UEFA. Avant de réaliser l’exploit de grimper en Bundesliga en 2019, soit trente ans après la chute du Mur, l’Union Berlin a longtemps cultivé l’image d’un club “pauvre mais sexy”, pour reprendre le fameux slogan municipal popularisé par Klaus Wowereit. Le football moderne est avide de ce type de storytelling et autres “contes de fée”.

“Être cool est une épée à double tranchant”, ajoute Kit Holden. Le genre de cachet qui expose à la gentrification, du genre de celle qui a dévoré une grande part des quartiers de Berlin-Est. Alors qu’en 2010 l’Union comptait 6 500 adhérents, ils sont près de 70 000 en 2024. Ce qui fait trois fois la capacité de son stade! Certains billets se monnayent à des prix indécents au marché noir. A mesure de sa montée en puissance, et de l’exposition médiatique qui l’a accompagné, l’Union Berlin a trouvé un public séduit par l’atmosphère authentique du stade An der Alten Försterei.

La presse manque de mots pour parler de la “progression insensée” de l’Union Berlin. De petite équipe “exotique” de deuxième division, l’Union est devenue une tête d’affiche de la Bundesliga. Certains adhérents historiques se méfient de ce narratif romantique qui attire les touristes. Pour la première campagne de Ligue des Champions, les dirigeants de l’Union feront le choix de jouer les matchs à l’Olympiastadion, l’enceinte plus grande du Hertha rival. Une décision prise sans réelle consultation des fans, en partie guidée par l’appât de recettes potentiellement triplées.

“Merde, on va monter!”

Quatre ans après la montée, un drôle de sentiment traversait les tribunes quand le club s’est qualifié pour cette Ligue des Champions après une victoire 4-2 face à Fribourg. “So ne Scheiße, So ne Scheiße, Champions League” avaient alors entonné les supporters (“Quelle merde, quelle merde, la Ligue des champions!”). Beaucoup d’autodérision pour exprimer une sensation de vertige face à ce nouveau changement de dimension. “Le succès n’a jamais fait partie de l’ADN de l’Union”, rappelle Kit Holden, auteur du livre Scheisse! We’re going up! qui retrace l’incroyable ascension du club.

Avant même d’atteindre ces sommets, les supporters se souviennent que la simple idée d’accéder à l’élite était déjà source d’inquiétude. La question était déjà celle du prix à payer pour évoluer dans la catégorie reine. Après s’être stabilisé en D2, ce grand saut faisait craindre aux supporters de voir l’âme du club se dissoudre dans le bazar commercial de la Bundesliga. Le slogan “Merde, on va monter!”, exhibé une première fois lors de la saison 2016/17 où l’Union avait finalement échoué au pied du podium, résume cette mentalité originelle des amoureux du club.

L’Union Berlin donne à voir un des meilleurs exemples des contradictions qui traversent un club associé par ses fans à des valeurs alternatives et progressistes. Dans le football moderne, être compétitif sans rien céder à la logique commerciale est illusoire. A l’aube de la montée de l’Union Berlin dans l’élite, le média Textilverhegen – consacré à l’actualité du club – appuyait avec honnêteté cette évidence: “Notre identité ne signifie pas que nous ne sommes pas du tout commerciaux, bien sûr que nous le sommes. C’est le football. Nous prenons l’argent des sponsors pour payer nos joueurs et nous faisons des affaires, vous ne pouvez pas survivre sans cela”.

L’Union Berlin compose désormais avec les logiques du marché qu’il a longtemps prétendu tenir à distance, faute de s’y confronter. Le club doit faire avec un présent où le succès se finance. Tout dépend de ce qu’on met derrière. Les supporters restent vigilants. En mai 2023, sur une de leurs banderoles protestant contre l’acquisition d’une partie des droits de diffusion de la Bundesliga par un fonds de capital-investissement, on pouvait lire: “Si être compétitif signifie perdre ses valeurs, nous préférons ne pas l’être. Ceux qui ne comprennent pas n’ont qu’à aller au Hertha”.

 

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