Roberto De Zerbi, un idéal populaire dans le football capitaliste

Qui est Roberto De Zerbi, ce personnage singulier, dont la vision du football croise celle de la lutte des classes? Salim Lamrani lui a consacré une biographie, Le Football selon Roberto De Zerbi, (Marabout, 2025) qui retrace le parcours ce maitre du jeu offensif, qui a bâti au fil des années une pensée footballistique exigeante. Portrait d’un entraîneur qui a trouvé à Marseille une ville à son image.

Je suis venu ici pour le Vélodrome et pour battre le PSG, l’équipe qui représente le pouvoir. Moi, le pouvoir, je n’aime pas ça”, déclarait Roberto De Zerbi, entraîneur de l’Olympique de Marseille après la victoire de son équipe 1-0 contre le rival parisien, le 22 septembre dernier. Si cette réaction avait provoqué l’émoi d’une partie de la classe médiatique et des suiveurs de Ligue 1, c’est bien pour son caractère unique dans un milieu marqué par la pauvreté de la parole politique. En effet, se font de plus en plus rares les personnages aussi exposés qui se permettent de telles sorties, en rupture avec les discours formatés et éléments de langage habituels. Si RDZ invoque ici la lutte des classes comme allégorie de son opposition du soir, faut-il y voir une prise de position révolutionnaire pour autant?

De Zerbi est avant toute chose un amoureux de football et de romantisme, comme il en existe peu. Salim Lamrani, son biographe, le compare à Marcelo Bielsa, icône du football sud-américain, passé lui aussi par le banc olympien. Moins adepte de la caisse réfrigérante, RDZ partage avec El Loco la passion, le caractère volcanique, et tous deux accordent une grande importance aux idées de code d’honneur et de parole donnée. Un trait de sa personnalité expliqué par son enfance, très influencée par les codes populaires de rue et le milieu ultra italien, surtout Bresciani.

Les deux techniciens pratiquent un jeu inlassablement offensif, prêt à prendre tous les risques pour créer du jeu et donc de l’émotion chez le spectateur, souvent prolétaire. Certains comparent Roberto de Zerbi à un « Robin des Bois », capable de donner de la joie et du bonheur à des gens qui en sont globalement privés par leur condition matérielle. Cela a guidé son choix de venir à l’OM, malgré des propositions plus juteuses dans des championnats plus excitants, sans faire injure à notre Ligue 1.

À son arrivée dans le club phocéen, le natif de Brescia a très vite expliqué qu’il était ici avant tout pour la ferveur populaire du Vélodrome, cœur battant d’une ville ayant reçu une forte immigration et où le taux de pauvreté atteint dans certains quartiers 50%. Le football mis au service des classes populaires, c’est ça qui l’intéresse, c’est ce qui le pousse.

Un fils du peuple en zone technique

‘Roby’ doit son attachement à la culture ultra, autant à ses origines sociales qu’à son contexte familial. Son père, responsable des tifosi de Brescia, lui a inculqué ces codes en le faisant participer dès l’enfance aux animations et tifos dans les tribunes du stade Mario-Rigamonti. Cette histoire a aussi facilité son adaptation à l’OM et au Vélodrome, porte d’entrée du mouvement ultra en France. Le 4 octobre dernier, à l’occasion du déplacement sur la pelouse messine, RDZ est apparu “looké”, avec la fameuse Goggle Jacket, veste à lunettes de chez CP Company, devenue au fil du temps vraie pierre angulaire du dressing d’un ultra, au Royaume-Uni mais surtout chez les tifosi transalpins.

Au-delà de l’aspect footballistique, le coach phocéen a déjà exprimé publiquement ses positions politiques, ce qui reste rare à ce niveau. Dans un des entretiens ayant eu lieu pour la rédaction de sa biographie, il déclare “J’ai toujours détesté l’injustice. Je n’ai jamais accepté ceux qui se montrent forts avec les faibles. C’est une ligne rouge pour moi. Il faut se montrer fort avec les puissants, avec ceux qui ont le pouvoir, ou bien se taire. S’en prendre aux plus faibles est d’une lâcheté sans nom. Je sais ce que c’est que de se retrouver en situation de faiblesse”.

Issu d’un milieu modeste, RDZ a connu la violence sociale étant jeune, notamment suite au licenciement abusif de son père ouvrier. C’est ce qui le poussera à vouloir faire du football sa profession, pour gagner son pain et sortir de la misère mais aussi pour rendre fier son père. Nous avons déjà compris son idée de transmettre aux gens qui souffrent, aux travailleurs, de la joie par le biais du football mais cette idée va en réalité plus loin. Grand admirateur de Diego Maradona, joueur du peuple et défenseur des opprimés, RDZ veut “rendre aux classes populaires leur dignité”, dignité volée par le capitalisme et l’exploitation. Ce qui lui fait un point commun avec la mère de Daniele De Rossi (sic!), qu’il a demandé à rencontrer suite à ses prises de paroles sur les réseaux sociaux se revendiquant ‘communiste’ et pour une répartition des richesses plus juste.

Face aux contradictions du football moderne

Sans pour autant lire Lénine ou s’investir dans des groupes révolutionnaires, De Zerbi fait un peu figure d’OVNI politique dans le monde du football. Même si ses sorties ne sont pas très fréquentes, ni aussi radicales qu’on pourrait l’espérer, le technicien incarne un contre-modèle, une rupture avec les prises de paroles lisses, aseptisées et frileuses auxquelles les acteurs du football nous ont habitués. Ceci étant dit, difficile de ne pas souligner les contradictions du coach marseillais. Comme lorsque le Bresciani a entraîné le Shaktar Donetsk, propriété de l’oligarque Rinat Akhmetov. Les propriétaires des clubs sont rarement des camarades diriez-vous, peut-on vraiment entraîner au très haut niveau sans avoir à travailler pour un milliardaire ou un fond d’investissement, tout aussi peu recommandable?

Et que penser du fait que Mason Greenwood, accusé de violences conjugales et tentatives de viols par son ex-compagne Harriet Robson, ait été sa cible prioritaire pour son premier mercato à la tête de l’OM? Même si le joueur n’a pas été condamné, les vidéos sur internet et le rejet d’une grande partie des supporters des Three Lions quant à son retour en sélection en disent suffisamment sur le personnage. RDZ peut-il se permettre à un tel niveau de pression économique et sportive de se priver d’un joueur comme Greenwood? N’est-ce pas plutôt l’état-major olympien qui est à blâmer pour avoir laissé un tel joueur incarner l’institution sur le terrain?

Mais alors, faut-il voir dans la posture de De Zerbi une opération de communication hypocrite? Difficile à dire, mais cela pose une question plus large: est-ce possible d’être de gauche aujourd’hui dans le football professionnel sans entrer en contradiction avec ses propres convictions, sans renoncer à ses idéaux?

On peut conclure en citant Salim Lamrani: “Même s’il appartient à une classe ultra privilégiée, il est resté fidèle aux siens”. De Zerbi a, autant que possible, conservé un regard politique, une approche sociale, une mentalité ultra, dans ce milieu ultra-compétitif et hypocrite qui ne se préoccupe que très peu des intérêts des travailleurs et des minorités alors que l’odeur de l’argent devient nauséabonde. Sans en gommer les paradoxes, nous ne pouvons que saluer les prises de paroles rafraîchissantes du coach italien. Elles ont le mérite d’exister dans un océan de politiquement correct et de prétendu apolitisme.

 

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