Hors de Grèce le nom de Spiros Kontoulis ne dit peut-être pas grand-chose. Il fait partie de ces dizaines de sportifs grecs à s’être engagé dans la résistance contre le nazisme, jusqu’à y laisser sa peau. Spiros était footballeur et il effectua l’essentiel de sa carrière durant les années 30, à l’AEK Athènes, club dont les principaux groupes de supporters sont toujours réputés pour leur antifascisme.
Les statistiques établissent que Spiros Kontoulis a joué 83 matchs officiels sous les couleurs jaunes et noires. Il reste aujourd’hui un symbole fort de la mémoire du club et de ses supporters qui en font un emblème de courage et de résistance. Spiros Kontoulis ne fut toutefois pas le seul joueur de l’AEK à s’engager dans la Résistance. On dit que plus de la moitié de l’équipe a participé aux combats contre l’occupation par l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste et la Bulgarie de 1940 à 1945.
Le passage de Spiros Kontoulis d’une carrière de footballeur professionnel à la première ligne du combat contre l’occupation du pays, illustre l’engagement dans la résistance de tout un contingent de sportifs de gauche ou sympathisants communistes. Dès les premières heures de la Guerre italo-grecque en 1940, l’Association des Athlètes Grecs (νωση Ελλήνων Αθλητών) est créée en vue d’organiser politiquement les sportifs. Proche du KKE, l’imposant Parti Communiste grec, l’Association se joindra au Front de Libération, EAM (Εθνικό Απελευθερωτικό Μέτωπο). Ce front est contrôlé par le Parti tout comme sa branche armée l’ELAS, (Εθνικός Λαϊκός Απελευθερωτικός Στρατός) principale organisation de partisans, qui fut officiellement créée en février 1942, avec à sa tête Áris Velouchiótis.
De la génération des premiers titres de l’AEK
Spiros Kontoulis est né en 1915 au Pirée, le plus grand port de Grèce. En raison de l’absence de registre à cette époque, nous ne connaissons pas sa date de naissance exacte, seulement l’année. C’est vers l’âge de 16 ans, au sein d’un club de sa ville, l’Amyna Piraeus, qu’il a commencé à jouer au foot en 1931. Son talent et ses qualités au poste de défenseur s’y font rapidement remarquer par l’AEK Athènes qui le recrute en 1935. Le club n’a alors qu’une dizaine d’années et ne compte qu’une Coupe de Grèce, remportée en 1932, à son palmarès. L’AEK c’est le club historique de la communauté des grecs revenus d’Asie Mineure, avec le rebetiko dans les bagages, suite à la défaite de l’armée grecque lors de la guerre greco-turque en 1922. Plus d’un million de grecs furent alors priés de quitter la Turquie d’Ataturk en 1923, de même qu’environ 500 000 Turcs de Macédoine firent le chemin inverse. Cette défaite et ce qu’elle engendra est connue dans l’histoire de la Grèce moderne sous le nom de « La Grande Catastrophe ». Elle a abouti à la chute de la monarchie et à l’avènement de la Deuxième République en 1924. Le club arbore un aigle bicéphale (Dikefalos Aetos – Δικέφαλος Αετός) comme emblème, qui rappelle sa culture byzantine. Une identité partagée avec le PAOK, club de Thessalonique.
Spiros Kontoulis a 20 ans quand il enfile pour la première fois le maillot jaune et noir de l’AEK. Le club est installé depuis sa création en 1924 dans le quartier de Nea Filadelfia où son stade historique sera construit en 1928. Spiros Kontoulis est donc de la génération qui remportera les premiers titres de Champion de Grèce de l’histoire du club en 1939 et 1940, ainsi que le premier des deux seuls doublés Coupe/Championnat en 1939 (l’autre eut lieu en 1978). La période de domination du club fut alors interrompue par la guerre. Période durant laquelle l’AEK remporta aussi le championnat de guerre athénien en 1940. Le championnat grec n’a repris ses droits qu’en 1945.
L’engagement dans la résistance
Spiros Kontoulis s’engage dans la résistance dans la foulée du déclenchement de la Guerre italo-grecque, le 28 octobre 1940. Mussolini, via l’ultimatum posé par l’ambassadeur Emanuele Grazzi, exigeait alors de la Grèce qu’elle laissât passer ses troupes afin d’occuper des points stratégiques. Il faut savoir que depuis 1936 la Grèce est déjà sous le joug du régime pro-fasciste de Metaxas. Pourtant celui-ci, se sentant menacé par une pression populaire acquise aux idées communistes, refusa l’ultimatum. La mobilisation et la résistance s’organisent sans attendre et Spiros Kontoulis rejoint l’Association des Athlètes Grecs.
Par la force des choses, durant la guerre les événements sportifs se font très rares. La plupart des compétitions sont suspendues et un grand nombre de sportifs sont mobilisés dans l’armée pour faire face à l’invasion italienne. La dictature de Metaxas en profite pour mettre les instances du football sous tutelle, tout comme les directions de la majeure partie des clubs. Une opportunité que le régime s’empresse de saisir, d’autant que certains clubs se caractérisaient par leur proximité avec la gauche républicaine grecque comme le Panathinaïkos mais aussi l’AEK Athènes, le PAOK Salonique, le Panionios ou encore l’Apollonas. La dictature avait d’ailleurs pris soin d’interdire toute « politisation » des clubs de football. Grâce aux archives, les historiens disposent d’articles mentionnant l’engagement de certains de ces sportifs sur le front albanais auprès de l’armée grecque, dans un premier temps. Comme le footballeur Kostas Valavanis, lui aussi membre de l’AEK, grièvement blessé par un obus dans les massifs montagneux d’Albanie, théâtre de nombreux combats qui permirent de repousser un temps les troupes mussoliniennes. Une des figures de l’Olympiakos, grand rival de l’AEK, Alekos Xatzitaurodis connut le même sort alors qu’il combattait dans le district de Tëpëlenë en Albanie. La Grèce ne capitula finalement qu’en avril 1941, sous les coups de boutoirs conjugués des armées italiennes et allemandes, qui purent alors occuper le pays.
Enfermé au camp de Chaïdári
Spiros Kontoulis connut lui une issue plus tragique. Il avait survécu au front où il avait également été blessé. Une blessure suffisamment légère pour qu’il envisageât de reprendre sa vie de footballeur à l’issue de la guerre. Revenu à Athènes, occupée par les nazis, il devait veiller à ce que chacun de ses déplacements soit savamment pesé pour éviter les risques d’interpellations dans un contexte où les résistants communistes, qui contrôlaient depuis 1943 plusieurs zones montagneuses du pays, étaient traqués dans les villes occupées. Spiros Kontoulis fut malgré tout « cueilli » après avoir rendu une visite à sa mère dans la banlieue ouvrière de Nea Kokkinia (aujourd’hui Nikaia) près du Pirée. Il fut localisé par les services de renseignement nazis et interpellé dans la foulée, une nuit d’avril 1944, avant d’être envoyé dans le camp de Chaïdári en banlieue d’Athènes. Là-bas, il retrouva son frère Vassilis Kontoulis, qui sera exécuté peu après, ainsi que son coéquipier de l’AEK, Kostas Christodolou qui sera lui torturé. A la mi-juin 1944, après deux mois d’incarcération, les allemands décidèrent de déplacer Spiros. Mis dans un camion en compagnie d’autres prisonniers en direction de Kaisariani, pour y être exécutés. Le même sort avait été réservé quelques semaines plus tôt, le 1er Mai, à deux cent communistes, en représailles à la mort d’un général nazi pris dans une embuscade. La guerre allait prendre fin quelques mois plus tard, le 12 octobre 1944, date à laquelle les troupes nazies furent chassées par les partisans de l’ELAS qui allaient bientôt devoir reprendre les armes contre les troupes anglaises du général Scobie qui n’aimaient pas trop l’idée d’une Grèce entre les mains de partisans communistes. L’appareil stalinien du KKE n’allait pas tarder à trahir les partisans, lors des accords de Várkiza imposant le désarmement des milices. Un air de déjà vu…