Après bientôt un mois d’arrêt total des compétitions en raison du coronavirus, les clubs de football ne rentrent plus d’argent. Face à la crainte de pertes plus importantes à venir, la plupart cherchent à réduire le poids de la masse salariale. En Italie, où la Série A fait face à un endettement record, le syndicat des joueurs ne cède pas, pour le moment, aux demandes des dirigeants.
C’est toujours un sujet délicat que celui du salaire des joueurs. Dans le football moderne, depuis les années 90, les salaires ont explosé. Pour Damiano Tommasi, ex-joueur de la Roma et président de l’Associazione Italiana Calciatori (AIC), en première ligne dans les négociations actuelle autour des salaires des footballeuses et des footballeurs d’Italie, « Depuis sa création en 1968, l’AIC a la réputation d’être le syndicat des nababs. L’image du joueur vu comme celui qui gagne trop est un discours très populaire. La baisse des salaires, liée à la nécessité de gérer la crise, est devenue un sujet un peu trop facile, assaisonné de beaucoup de démagogie. » Un climat sur lequel le Ministre des Sports, le populiste Vincenzo Spadafora n’hésite pas à surfer en s’en prenant aux clubs de Serie A qui « vivent dans une bulle, au-dessus de leurs moyens, à commencer par les salaires de millionnaires des joueurs ».
L’AIC repousse le gel de quatre mois de salaire
De nombreux clubs de l’élite italienne sont dans le rouge et la Série A accuse un déficit cumulé de 2,482 milliards d’euros (plus de la moitié auprès des banques), selon la presse italienne. Un déficit en partie creusé par une nouvelle augmentation de la masse salariale globale. Ce qui justifierait aux yeux de beaucoup les coupes salariales, et pourrait rendre délicat auprès de l’opinion le refus des joueurs de céder une part de leur salaire. La multiplication des dons et autres gestes de générosité de la part de footballeurs, aux hôpitaux ou encore aux employés plus modestes de leur club va sûrement dans ce sens, mais ça ne désamorce pas vraiment la pression qui est mise sur eux.
Les clubs de football sont des entreprises. En période de crise, ils agissent comme des entreprises qui cherchent à faire des économies, en s’attaquant à la masse salariale qui est généralement leur principal « poste de dépense », comme on dit. En France, ces économies – même si à écouter les patrons de club, elles ne suffiront pas – passent par le recours au chômage partiel. Les joueurs touchent ainsi 84 % du salaire net, amorti à hauteur de 5500€ par une aide de l’État.
Le club transfère mécaniquement le coût de cette crise sur le dos des salariés en procédant à des coupes. Pour ça, l’accord des joueurs est nécessaire. En Suisse, neuf joueurs du FC Sion ont été licenciés sur le champ après avoir refusé le passage au chômage partiel. En Slovaquie, le MSK Zilina a été placé en liquidation judiciaire, ne manquant de préciser au passage que les joueurs n’ont pas accepté de baisser leur salaire pour aider le club, manière de leur faire porter en partie la responsabilité. Le club paye surtout une stratégie de financement basée sur la vente de joueur lors du mercato estival qui s’annonce au point mort.
Alors que personne n’est en mesure de prédire quand les compétitions vont pouvoir reprendre en Italie (les entraînements restent pour le moment suspendus jusqu’au 13 avril), des négociations ont été entamées par les instances dirigeantes pour obtenir un gel du salaire des joueurs pour les quatre prochains mois. Opposé à plus d’un mois de gel, logiquement le syndicat refuse de céder. « Il est clair que les joueurs prendront leur part, mais nous devons comprendre ce que vont faire les instances, des Ligues à la Fédération, jusqu’à l’UEFA et la FIFA. Car nous l’avons déjà dit : il n’y a pas que les joueurs de haut-niveau, mais aussi les joueurs de Lega Pro, les amateurs, les féminines et il y a un risque que cette partie disparaisse. Aujourd’hui la partie haute doit penser à la base de la pyramide » a ajouté Tommasi dans une interview donnée sur Canale Italia.
La Juventus prend les devants
En Italie, des clubs n’ont pas attendu le résultat des négociations avec l’AIC. La Juventus d’Andrea Agnelli, patron de la FIAT, a été le premier club à trouver un accord avec les joueurs sur un « gel » des salaires pendant quatre mois, dont 2,5 leur seront remboursés ultérieurement. Ces quatre mois représenteraient environ 30 % de leur salaire annuel et équivalent à une économie de 90 millions d’euros pour le club, bienvenue au regard de l’endettement cumulé du club (576 millions d’euros). Cet accord interne à la Juventus permet aux autres de mettre la pression sur l’AIC. Mais la situation de la Juventus n’est pas celle de tous les clubs italiens.
Habitués aux relations pacifiées, les syndicats de footballeurs ne sont pas des foudres de guerre. Mais dans la crise actuelle, l’AIC semble tenir bon. Face à la menace réelle de faillite et de licenciement qui risque de laisser du monde sur le bas-côté, l’AIC se fait ici le porte-voix des joueurs moins bien lotis que le gratin, notamment en Lega Pro (3e division) où des négociations sont aussi menées. « Dans les ligues mineures, il y a deux aspects à prendre en compte : le niveau des salaires, qui n’est certainement pas ce que les gens imaginent, car il s’agit de salaires normaux pour vivre, et la survie des clubs liés à des entreprises de référence dont les propriétaires devront se demander s’ils doivent se consacrer uniquement à leurs activités et non plus au football » poursuit Damiano Tommasi.
L’AIC continue de vouloir se montrer « constructive » et ouverte au dialogue, mais le ton s’est durci à la faveur de la crise et de l’incertitude qui en découle. Aujourd’hui beaucoup de choses dépendent encore d’une reprise ou non des compétitions. L’AIC a posé trois conditions à un retour des footballeurs sur le terrain: que l’urgence sanitaire soit levée, que la fin de la saison soit repoussée après le 30 juin en raison du nombre de matchs qu’il reste à jouer, enfin que la sécurité soit réellement assurée pour tout le monde lors des matchs, au-delà des seuls joueurs. Priorité à la santé. Mais, pour l’instant, le flou règne encore.
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