Parler de “loterie” relève en général de la communication quand on a perdu une séance de tirs au but. Utiliser cette expression-pirouette laisse la fâcheuse impression de dénigrer les dimensions techniques et psychologiques de l’exercice. Reste que personne n’a trouvé la recette pour gagner à tous les coups.
«Les penaltys… on ne va pas épiloguer là-dessus, c’est la loterie. Mais on doit gagner le match avant.» Hérésie! Valentin Rongier a remis une pièce dans la machine et déclenché une pluie de commentaires. Après Hugo Lloris lors du Mondial 2022, puis plus récemment Bruno Genesio, le milieu marseillais a eu recours à cette formule thierry-rolandesque pour expliquer l’élimination de l’OM en 1/4 de finale de Coupe de France par le FC Annecy, pensionnaire de Ligue 2. Manière de minimiser? besoin de relativiser? Ça fait toujours un peu tâche d’invoquer la loterie dans les déclarations d’après-match, comme si la qualification avait été jouée à pile ou face, comme c’était le cas avant les années 70. Une injustice que l’instauration des tirs au but prétendait justement corriger.
Pour autant, tomber à bras raccourcis sur les adeptes du joker “loterie” revient parfois à laisser penser qu’une approche scientifique des séances de tirs au but permettrait d’en évacuer la part d’aléa et de chance, inhérente au football. Si penser l’inverse condamne à l’échec, répéter à l’envi qu’il s’agit d’un “exercice technique”, et la conscience de cette réalité, ne garantit pas la victoire. On peut toujours chercher à optimiser ses chances, on aura toujours en face de soi, un adversaire, préparé lui aussi. D’autres paramètres entrent en ligne de compte dans ce qui s’apparente à un nouveau match qui commence, un moment où une équipe dominée pendant le temps réglementaire, ou inférieure sur le papier, peut arracher la qualification. D’où parfois l’amertume qui s’exprime après une élimination.
Le geste technique indissociable du contexte
La place prise par les tirs au but dans toutes les compétitions à élimination directe du football moderne interdit de les prendre à la légère. D’autant que la suppression des prolongations dans de nombreux cas (comme en Coupe de France), ainsi que la suppression de la règle du but à l’extérieur en Coupe d’Europe, ont clairement augmenté les probabilités d’avoir à passer par là pour se qualifier. «Qu’est-ce que ça veut dire “préparer” une séance de tirs aux but ?» avait lancé Bruno Genesio, assurant que les tireurs du Shakhtar avaient évidemment été étudiés. «Il n’ont pas tiré là où ils avaient tiré avant.» L’analyse vidéo est bien sûr un outil incontournable pour préparer une séance. Mais encore? D’autres réfléchiront jusqu’à l’ordre des tireurs pour ne pas laisser de place à l’improvisation. La répétition du geste à l’entraînement ne convainc pas tous les techniciens.
On se rappelle le parti pris surprenant de Didier Deschamps sur la non-préparation des séances au moment de l’Euro 2016. Le sélectionneur estimant que « tirer des penalties à l’entraînement en toute décontraction et en match avec une énorme pression, ça n’a rien à voir». La suite est connue avec l’élimination par la Suisse aux tirs but. A l’inverse, avant le Mondial 2022, Luis Enrique défendait qu’un geste réalisé des milliers de fois aide justement à aborder au mieux ce « moment de tension maximale où il faut montrer son sang-froid ». Cette approche n’a pas plus souri à la Roja, éliminée par le Maroc en 1/8 de finale.
Après avoir fatalement parlé de loterie après l’élimination en Coupe d’Europe, le coach du Stade Rennais est revenu à froid sur ses propos. «Quand on dit que c’est un exercice technique, évidemment! Mais le geste technique il dépend de la pression, de la fatigue, de l’émotion.» L’impact du scénario du match sur la séance de tirs au but est moins facile à évaluer statistiquement, mais il s’agit d’un élément à prendre en compte. Les Rennais, rejoints sur le fil par l’improbable but du Shakhtar Donetsk à la 119e minute marqué par le jeune Belocian contre son camp, ont abordé la séance encore abasourdis. Plus qu’une excuse, les joueurs ont là un vrai axe de progression.
Avantage à l’équipe qui ouvre la séance?
Les défaites aux tirs au but semblent parfois plus dures à encaisser. A la sensation d’être “passé tout près”, s’ajoute une forme de sentiment d’injustice. Contrairement à certains matchs classiques, on entend rarement un joueur reconnaître que l’adversaire a mieux abordé la séance de tirs au but ou simplement qu’il mérite sa victoire. On préfère se rassurer en réduisant cet échec à un vulgaire sort hasardeux. Au début d’une séance, même si l’incertitude du résultat est sans conteste plus grande qu’au début d’un match, les tirs au but laissent pourtant peu de place au hasard. Son format “à armes égales”, le temps d’une série de cinq tirs chacun, atténue la différence de niveau perceptibles dans le jeu. Quand on perd, c’est simplement qu’on est tombé, à l’instant T, sur meilleur que soi.
L’équité d’une séance de tirs au but n’est malgré tout pas parfaite. Il est par exemple établi statistiquement que tirer en premier offre un avantage stratégique. Selon des chercheurs de la London School of Economics, l’équipe qui ouvre la séance l’emporte dans 60% des cas (à noter qu’une étude de l’institut InStat réduit cette part à 51,5%). Une pression supplémentaire pèserait sur l’équipe qui tire en second, amenée à “courir après le score”. L’ultra majorité des équipes gagnant le toss choisissent de facto de tirer en premier. Une des dernières part de hasard réside donc le pile ou face qui détermine quelle équipe va commencer. Pour enrayer cet avantage psychologique, certains avaient suggéré de s’inspirer des services lors d’un tie break au tennis. Une idée classée sans suite.
Le rendez-vous des “gardiens spécialistes”
Dans un exercice où le tireur sort victorieux dans plus de 75% des cas, la progression des gardiens est une des clés. Alors qu’on a tendance à focaliser sur les loupés, il y a de plus en plus de chance que le facteur x de la séance soit dans les buts. Les pénaltys manqués se répartissent entre 18% d’arrêts de gardien et 7% de non cadrés. La norme se situe donc entre un et deux échecs par série. La capacité du gardien à mettre les tireurs en échec au-delà de cette moyenne donne un avantage considérable. Certains gardiens ont développé de réelles aptitudes – en France, on cite souvent Alban Lafont ou Mike Maignan – au point d’être considérés comme des spécialistes. Une capacité d’analyse supérieure à la moyenne mise au service de leur explosivité qui leur permet sur la durée d’avoir un léger ascendant psychologique sur les tireurs qui savent à qui ils font face. Ce profil de spécialiste, à même de “rentrer dans les têtes des tireurs” à la manière d’un Dibu Martinez au Mondial 2022, reste rare.
Pour tenter un coup et déstabiliser l’adversaire, certains coachs changent de gardien juste avant la séance de tirs au but. L’exemple le plus emblématique reste le remplacement payant opéré par Louis Van Gaal lors du 1/4 de finale du Mondial 2014 face au Costa Rica. Un gain majeur pour une situation marginale à l’échelle d’une saison. Les clubs ou les sélections ne sont potentiellement confrontés aux tirs au but que dans les coupes. Le coach hollandais n’a pas la paternité de ce “moove”. L’histoire du club nigérian Enyimba, vainqueur de la Ligue des Champions CAF 2004 en remplaçant Vincent Enyeama par le spécialiste Dele Aiyenugba, est souvent rappelé. Plus récemment, la victoire du Velez Mostar en utilisant la même technique en Coupe de Bosnie 2022, ou encore la qualification de l’Australie pour le Mondial au Qatar, grâce à l’entrée fracassante d’Andrew Redmayne pour les tirs au but face au Pérou, ont marqué les esprits. Pas de quoi tenir une martingale, mais sûrement quelques ingrédients de la recette.
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