
Sport longtemps dénigré aux États-Unis, le soccer jouit d’une image plutôt progressiste. Certaines tribunes se démarquent par leur aversion pour le nationalisme, le suprémacisme blanc et l’homophobie. Au pays de Donald Trump, poste avancé de l’internationale réactionnaire, les supporters prennent leur part de résistance.
Suite à l’assassinat de Charlie Kirk, un influenceur ultraconservateur et agitateur trumpiste, l’extrême droite américaine pointe du doigt la gauche radicale. Dans une sortie dont il est coutumier, Donald Trump a désigné – sur sa plateforme Truth Social – le mouvement antifasciste comme “organisation terroriste”. Un remake de 2020 où il avait déjà émis cette idée au moment des émeutes qui avaient suivi la mort de George Floyd, tué par un policier de Minneapolis. Cet effet d’annonce dit beaucoup du climat fascisant imposé par les adeptes de la mouvance “Make America Great Again”.
Ce que Trump appelle “Antifa” ne désigne évidemment aucune organisation précise, mais cela permet de mettre sous pression toute forme d’opposition sociale à sa politique autoritaire et xénophobe. À moins d’un an de la prochaine Coupe du Monde, coorganisée avec le Canada et le Mexique, il ne se prive pas d’utiliser le football comme un champ de bataille politique. Mais il s’engage sur un terrain où les minorités opprimées, qu’il maudit tant, ont du répondant. L’opposition au trumpisme se fait régulièrement entendre dans les stades de Major Soccer League (MLS), de United Soccer League (USL) et de National Women’s Soccer League (NWSL).
Les premières flèches à Portland et Seattle
La Timbers Army et le Rose City Riveters à Portland, les Emerald City Supporters et le Gorilla FC à Seattle, font partie des fers de lance de cette culture antifasciste autour du soccer. En 2019, ces quatre groupes ont été à l’origine d’une mobilisation victorieuse contre l’interdiction par la MLS des drapeaux ou banderoles ornées du logo anti-nazi des “Three Arrows” (les “Trois Flèches”). Apparu dans les années 30, ce qui était d’abord un visuel lié à la peu recommandable social-démocratie allemande et au “Front de Fer” – qui prétendait s’opposer autant au parti hitlérien qu’au KPD communiste d’Ernst Thällman – symbolise aujourd’hui le combat contre le fascisme, le racisme et le capitalisme. Les huiles de la MLS s’étaient retranchées derrière “l’interdiction des manifestations politiques” dans les stades. Derrière ce refrain classique de la bourgeoisie sportive, l’enjeu était surtout de canaliser l’influence gauchiste dans les virages. L’Independent Supporters’ Council a ajouté sa voix à ce mouvement visant à faire plier la MLS et son code de conduite prônant l’apolitisme des tribunes. La légende de la NBA, Kareem Abdul-Jabbar a également apporté son soutien.
Présenté comme un symbole extrémiste par les tenants de l’ordre, ce drapeau a aussi été utilisé dans les manifestations de Black Lives Matter de 2020. Le monde du soccer et ses tribunes n’étaient pas restés à l’écart. De nombreux supporters avaient soutenu ou pris part aux manifestations locales de BLM comme la Northern Guard de Detroit SC, mais aussi à Oakland, Seattle, Portland, Louisville et Los Angeles. Pour le tout premier match à domicile de leur équipe en MLS, les supporters d’Austin se sont rendus au stade derrière une grande banderole “Black Lives Matter”. Le hasard l’avait programmé le jour du Juneteenth, journée antiraciste de commémoration de la fin de l’esclavage que la MLS a intégré à son calendrier.
Durant le mois de juin 2025, les tribunes antifascistes ont largement relayé et appuyé la révolte populaire contre les raids policiers de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement): banderoles, grèves des encouragements, collectes solidaires. Dans la même période, le pays accueillait la Coupe du Monde des clubs de la FIFA transformée par Trump et son fidèle allié Gianni Infantino en mini-répétition en vue du Mondial 2026. Pendant que le président américain fanfaronnait dans le bureau ovale devant une délégation de la Juventus avant le match d’ouverture, les rues s’embrasaient contre les rafles de travailleurs immigrés. Les agents fédéraux se sont vus fixer l’objectif d’arrêter et d’expulser 3000 personnes par jour, soit un million par an! En réaction, les manifestations et les émeutes se sont multipliées et se sont encore intensifiées après l’envoi de la Garde nationale.
Dans les rues comme dans les stades: “Abolish ICE”
L’hostilité contre l’ICE a gagné les stades, à Austin, à Chicago, à Seattle et dans d’autres villes. L’épicentre de la contestation a été Los Angeles. La ville a une longue tradition antiraciste et de solidarité avec les travailleurs immigrés. La communauté latino-américaine représente la moitié des 10 millions d’habitants du comté. The 3252 – groupe de supporters du LAFC réputés pour leur ferveur – a organisé une grève des encouragements lors d’un match face à Kansas City. Dans leur secteur on pouvait lire les messages “Abolish ICE” (“Abolir l’ICE”) et “Immigrants are the heartbeat of Los Angeles” (“Les immigrés sont le cœur battant de Los Angeles”). A la 78e minute, le kop s’est mis à scander: “What do we want? ICE out. When do we want it? Now!” (“Que voulons-nous? Plus d’ICE! Quand? Maintenant!”). A l’issue du match, le coach Steve Cherundolo a rappelé la force du lien communautaire entre l’équipe et ses supporters, incarné par la devise “Shoulder to Shoulder” (“Côte à Côte”).
Lors du derby LAFC – LA Galaxy le 20 juillet, les supporters de LAFC ont déployé un tifo proclamant “Los Angeles unidos jamás será vencido” (“Los Angeles uni ne sera jamais vaincu”). Le Los Angeles FC a été le seul club de MLS à communiquer son soutien officiel aux victimes de la chasse aux immigrés. Chez les féminines, l’Angel City FC a édité un t-shirt, porté par les joueuses et distribué aux fans, avec l’inscription “Immigrant City Football Club” et “Los Angeles is for everyone” (“Los Angeles est pour tout le monde”) en anglais et en espagnol au dos.
Côté LA Galaxy, l’Angel City Brigade s’était distinguée quelques semaines plus tôt avec un tifo “Fight ignorance, not immigrants” (“Combattez l’ignorance, pas les immigrés”). A l’extérieur du stade, les membres du groupes affichaient plusieurs messages: “Stop the Raids”, “Smash ICE” ou encore “No One is Illegal”. Le groupe fondé en 2007 est aussi monté au créneau pour dénoncer le silence de la direction du LA Galaxy. À la 12ᵉ minute du même match, l’Angel City Brigade a quitté sa tribune en signe de protestation. D’autres groupes comme les Galaxians et les Galaxy Outlawz se sont joints à l’action en restant silencieux, tout comme le groupe Riot Squad, situé de l’autre côté du stade, qui a sorti une banderole: “We like our Whiskey Neat, and our Land and People Free” (“Nous aimons notre whisky pur, notre terre et notre peuple libres”).
La peur des rafles aux abords des stades
Durant la Coupe du Monde des clubs, la police avait prévenu qu’elle ciblerait les abords des stades, créant un climat de terreur parmi les supporters issus de l’immigration. Selon ses propres enquêtes à visée commerciales, la MLS estime qu’environ 30% des supporters sont d’origine hispanique, soit beaucoup plus que dans les autres sports US. Cette dimension se visualise à travers certains groupes de supporters comme Los Bandidos à Phoenix, La Brigada de Oro à Nashville ou La Barra Brava à Washington. Cela n’intéresse visiblement la MLS que lorsqu’il s’agit de draguer une clientèle. Quand ces mêmes supporters sont directement menacés par les rafles policières, l’instance s’avère beaucoup plus frileuse.
De nombreux groupes de supporters ont partagé ce sentiment d’insécurité. A Nashville, la multiplication des raids anti-immigrés a notamment poussé la Brigada de Oro à suspendre temporairement son rituel festif d’avant-match. Certains membres ont même arrêté de venir aux matchs de peur d’être raflés, après qu’un des leurs ait été expulsé du territoire. “On subit un profilage racial spécifique, parce que l’ICE du Tennessee n’arrête personne d’autre. Ça se passe uniquement dans les quartiers à forte population latino”, souligne Abel Acosta, fondateur de la Brigada de Oro. Lors de la réception de Charlotte en mai 2025, les supporters présents ont eu une pensée pour leurs camarades absents, avec des banderoles en anglais et en espagnol annonçant: “Nous ne sommes pas tous là”.
Comme la grande majorité des clubs, le Nashville SC a choisi de rester en retrait. Un manque de courage criant pour un club qui a largement construit sa popularité sur la passion de la communauté latino-américaine. L’influence trumpiste n’est jamais loin: le sénateur républicain Bill Hagerty et ses enfants détiennent une participation minoritaire au Nashville SC. Une campagne de supporters réclame d’ailleurs son départ, en raison de son implication directe dans un projet de loi visant à priver d’aides les associations aidant les sans-papiers. L’administration Trump mène une guerre de classe au prolétariat immigré et entend militariser le rapport de force. Les supporters antifascistes ont montré qu’ils ne regarderont pas ailleurs.
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