11 avril 2017: Attaque du bus du Borussia Dortmund, un attentat capitaliste

A quelques heures du 1/4 de finale aller de Ligue des Champions qui doit opposer le Borussia Dortmund à l’AS Monaco, c’est la stupeur. Le bus transportant les joueurs du club allemand a été visé par une attaque à l’explosif. Dix jours plus tard, la police allemande tient le principal suspect, un petit spéculateur boursier pariant sur l’effondrement des actions du Borussia via la mort de joueurs du club. Pourtant, on n’entendit guère parler de terrorisme capitaliste.

Trois bombes avaient été placées sur le chemin emprunté par le bus à la sortie de l’hôtel où résidaient les joueurs avant de se rendre au Westfalenstadion (aujourd’hui nommé Signal Iduna Park). De l’avis d’experts, si le bus n’avait pas été équipé d’un blindage, les bombes auraient pu provoquer un carnage. Le défenseur catalan Marc Bartra a été blessé dans l’explosion. Cet attentat a logiquement conduit au report du 1/4 de finale de Ligue des Champions face à Monaco… mais seulement le lendemain. Les impératifs de calendrier étant prioritaires aux yeux de l’UEFA et de ses froids calculs. Un report plus lointain était inenvisageable. Alors qu’on vient d’éviter un drame, l’origine de l’attentat ne va pas rester longtemps un mystère.

La bourse ou la vie

Le Borussia Dortmund a été le premier club allemand à être côté en bourse. Il est encore à ce jour le seul, pour une vingtaine de clubs en Europe. Le Borussia y a fait son entrée en 2000, surfant sur ses succès des années 90 (Champion d’Allemagne 95 et 96, Ligue des Champions 97 et Coupe Intercontinentale 97). C’était, pour le président de l’époque Gerd Niebaum, l’étape suivante pour commercialiser la marque “Borussia Dortmund” à l’international et générer de nouveaux profits. Nous sommes alors dans les années Schröder, celles des premières lois Hartz durcissant la condition des chômeurs et des réformes libérales menées par ce gouvernement issu de la gauche social-démocrate.

Cette cotation en bourse censée attirer de nouveaux capitaux pour permettre à Dortmund de concurrencer le pouvoir économique du Bayern, a été soutenue à l’époque par une bonne partie des supporters, dans un remake du mariage de la carpe et du lapin: celui entre la culture ouvrière des tribunes et le capitalisme financier. D’aucuns préfèreront la métaphore du renard dans le poulailler. Dès le début, il y eut bien quelques sceptiques pour se méfier de cette opération boursière. Dans tous les cas, sur le plan strictement économique, les actionnaires furent déçus dès le premier jour. Cotée autour de 11 euros, l’action était déjà tombée à 10,50 puis a continué à baisser. En 2002, quand Dortmund a de nouveau été champion d’Allemagne, elle a connu un regain, mais qui a été seulement passager. En 2005, les dettes du club atteignaient 118 millions d’euros et les succès sportifs semblaient de lointains souvenirs. Le club était alors aux bords de la faillite. La nouvelle direction, avec Reinhard Rauball à la présidence et Hans-Joachim Watzke comme directeur administratif, engagea un plan dit “d’assainissement financier” via la vente des meilleurs joueurs, comme Tomas Rosicky par exemple.

Depuis, on a assisté au rétablissement sportif et économique du club, avec deux nouveaux titres de champion (2011 et 2012) et une finale de Ligue des Champions en 2013. Malgré ça et le maintien depuis au plus haut niveau européen, la valeur de l’action du Borussia n’atteint que la moitié de sa valeur au lancement en 2000. Être actionnaire du Borussia, visiblement ce n’est pas le jackpot. Alors pour essayer de s’enrichir, quoi de mieux qu’un petit pari truqué et spéculer sur une baisse. C’était le plan macabre de Sergueï Wenergold, le boursicoteur sanguinaire. Il avait auparavant acquis trois produits financiers dérivés appelés “put-options”, pour lesquels il a pris un crédit à la consommation d’une valeur de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Il aurait pu, selon la police fédérale, engranger près de 4 millions d’euros avec cette opération. Poussant la mise en scène jusqu’à laisser à proximité du bus des tracts de l’État Islamique, il misait sur un effet de panique chez les actionnaires. Résultat des courses, la valeur boursière du Borussia n’a pas été impactée, augmentant même de 1,8 % le lendemain. C’est finalement l’élimination de la compétition qui a provoqué une baisse de 3,5 %. Quant à Wenergold, malgré sa tentative grossière d’orienter les enquêteurs vers la piste djihadiste, il a été arrêté une dizaine de jours plus tard. Et, en 2018, il a été condamné à 14 ans de prison.

Les médias te diront quel terroriste tu es

Ces temps-ci, généralement quand il y a une attaque ou un attentat, la machine médiatique a peu de doutes. Même si elle y met les formes, c’est forcément un coup des islamistes de Daesh ou d’autres ennemis sacrés du “monde libre” des démocraties capitalistes. Personne d’autre n’est assez barbare pour s’attaquer au bus d’un club de football, n’est-ce pas? L’extrême-droite allemande a voulu profiter de la confusion pour orienter les soupçons vers les milieux gauchistes. En balançant la fausse revendication de l’attentat par un groupe antifasciste, elle s’est offert un numéro de cirque pour pas cher. Le site internet du Secours Rouge a rapidement communiqué sur la manipulation de cette fausse revendication qui avait été publiée initialement sur Indymedia, avant d’être retirée par les modérateurs, puis reprise après coup sur un site d’extrême-droite qui s’est chargé d’en faire la publicité.

Mais ça n’a pas empêché le journal L’Équipe, dont le recul critique n’est pas la marque de fabrique, de le relayer tel quel. Et puis après tout, un groupe antifa qui commet un attentat au pays de Meinhoff et Baader, ça reste vendeur. Néanmoins, un acte venant de la scène antifasciste semblait bien curieux à quiconque connaît un tant soit peu l’antiracisme historiquement présent au sein du “Mur Jaune” de la Südtribune, même si ces derniers temps des groupes nationalistes tentaient de s’y implanter. Alors que quelques heures plus tard le parquet allemand jugeait peu sérieuse cette piste, le site L’Équipe ne prit pas la peine de se fendre d’un démenti ni même de modifier l’article. Finalement, le monde médiatique revenait très vite à sa marotte: la menace islamiste. Alors quand les motivations de l’auteur présumé ont été rendues publiques, les médias allaient vite passer à autre chose. Ceci dit, et c’est notable, le site Capital.fr a titré à propos de cette affaire: “Premier attentat boursier de l’Histoire“. C’est bien la seule fois qu’on sera d’accord.

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