17 juin 1985: Une contre-attaque des “excités du football”, signée Os Cangaceiros

Récit d’une petite visite de courtoisie rendue par le groupe autonome Os Cangaceiros, au siège du syndicat des journalistes sportifs français. Une petite expédition éclair menée en solidarité avec les hooligans de Liverpool, cibles d’une campagne répressive sans précédent de la part du gouvernement Thatcher, appuyée par une presse européenne unanime.

Il est environ 15h quand trois individus rentrent calmement dans les locaux de l’Union Syndicale des Journalistes de Sport en France (USJSF), situés au 35 rue Bergère, dans le 9e arrondissement de Paris. Ils y déversent ammoniac, peinture et excréments un peu partout. Seul Jacques Marchand, un des responsables du syndicat, est présent pour les recevoir. Une clé de bras plus tard, celui-ci assiste impuissant à cette action symbolique. Mais ce petit bazar n’est pas gratuit, il s’agit d’une action de solidarité avec les hooligans de Liverpool, nouvelle cible de Margaret Thatcher, suite au drame du Heysel survenu un peu plus de quinze jours plus tôt. S’en allant de leur petite action de représailles, les joyeux drilles laissent un tract signé « Os Cangaceiros », où ils affirment leur solidarité, ponctué d’un vibrant «Vive les excités du football !»

Ces loulous “autonomes” qui s’intéressent au football

Au Heysel, le fragile cordon de police ne résistera pas à la charge des hools de Liverpool qui cherchent à en découdre avec les ultras de la Juventus.

Os Cangaceiros est un groupe politique des années 80, rattaché au courant autonome, et qui se présente volontiers comme une association de délinquants ou de rebelles sociaux. Ils n’ont pas pris le nom de “Cangaceiros” par hasard, puisqu’il s’agit d’une référence au banditisme social qui a existé dans le nordeste brésilien jusqu’au début du 20e siècle. Le groupe édita une revue qui connut trois numéros entre 1985 et 1987, réédités en 2010 sous forme d’un livre, dans lequel on trouve une reproduction du fameux tract, ainsi qu’un court article relatant l’action, paru dans L’équipe du lendemain. Intitulé « Les “excités du football” contre-attaquent », on peut y apprécier le ton d’une corporation quelque peu vexée mais qui essaye de rester fair-play. Ne faut-il pas y voir un aspect de ce fameux « esprit du sinistre Coubertin » que la presse sportive a coutume de nous vendre à bas prix? En tous cas, sans rancune! Aucun de ces trois cangaceiros parisiens ne fut interpellé.

Le drame du Heysel et ses suites

L’équipe mentionne aussi un tract, laissé sur place par le commando à mains nues pour expliquer l’action et affirmer sa solidarité envers les hooligans de Liverpool. Ce tract revient sur « l’hystérie collective » et l’offensive déclenchée contre le hooliganisme suite au drame du Stade du Heysel à Bruxelles. Le 29 mai 1985, quelques heures avant le début de la finale de la Coupe d’Europe entre Liverpool et la Juventus de Turin, une charge des hooligans anglais avait provoqué la mort de 39 personnes – pour la plupart des tifosi de la Juventus, morts écrasés suite à l’effondrement d’un muret dans la tribune Z – et près de 500 blessés. Les images de corps inanimés, diffusées en mondovision, font froid dans le dos. S’en suit une condamnation politique unanime avec Thatcher à la baguette. L’UEFA embraye et exclut pour cinq ans les clubs anglais de toutes compétitions continentales. Le temps pour le gouvernement britannique d’enclencher une série de mesures sécuritaires, dans un contexte de guerre sociale. Qu’on soit émeutier de Toxteth, mineur en grève du Yorkshire ou hooligan de Liverpool, le même sort est promis par Thatcher et sa clique : l’écrasement. « Le gouvernement Thatcher a décidé de s’attaquer aux hooligans du foot: après les émeutiers de 81 et les mineurs grévistes de 84 – parce que ce sont les mêmes prolétaires indisciplinés qui, écrasés d’un côté, se vengent d’un autre. » lit-on à juste titre dans le tract d’Os Cangaceiros.

Casual style

La verve provocatrice et l’apologie de la violence du tract déposé rue Bergères, sont typiques des productions autonomes des années 80, qui partage les codes, le désarroi et les révoltes de la jeunesse ouvrière jusqu’aux abords des stades. La « bonne baston entre supporters » est un élément central de la culture hooligan. Un rituel pour les prolos se rendant au stade une fois le samedi venu. Il s’agit d’une transgression au cœur de l’industrie du loisir dans laquelle rentre le match de foot qui devient prétexte à la confrontation avec les bobbys, et le plus souvent avec les supporters adverses. Au nom parfois d’une rivalité de quartier, ou d’un vieux contentieux, la bagarre est l’occasion de se mesurer, d’affirmer sa suprématie. C’est à la fois un défouloir, un amusement et un pied de nez hebdomadaire aux ambitions disciplinaires des autorités qui attendent qu’on assiste sagement au match. « Qui d’autre qu’un con de gauche peut s’étonner que des prolétaires se battent entre eux pour s’amuser ?! » questionne Os Cangaceiros. Un peu comme ces parties de soule que les pouvoirs médiévaux n’eurent de cesse de vouloir interdire sans y parvenir.

Reproduction de l’article paru dans L’équipe le 18 juin 1985.

Même s’il est vrai que « des gens meurent tous les jours sur les routes », ça ne vaut pas plus le coup de mourir dans un stade. Et ça les supporters de Liverpool le savent mieux que quiconque, eux qui ont encore gravé dans leur chair, la mort de 96 d’entre eux, quatre ans après le Heysel, lors de la tragédie d’Hillsborough en 1989. Tragédie pour laquelle la police été officiellement reconnue coupable en 2016, après de nombreuses années à faire porter le chapeau aux supporters des Reds. Si le tract relativise le drame du Heysel, ce n’est qu’un faible contre-poids face à l’unanimisme du déferlement, politique, médiatique et policier. Cette action de solidarité menée dans les locaux de l’USJSF a du être appréciée à sa juste valeur outre-Manche. En cela, cette archive est originale à plus d’un titre. Il s’agit d’une des très rares voix à s’être élevée contre le consensus anti-hooligans qui a suivi le Heysel, à un moment où toute l’Europe soutenait la volonté thatcherienne de les éradiquer. Il y a fort à parier que ce happening sympathique prendrait aujourd’hui une tournure médiatique beaucoup moins clémente et déchaînerait les foudres judiciaires.

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Article retouché depuis sa version initiale sur Les Cahiers d’Oncle Fredo

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