Howard Gayle, Liverpool et les émeutes de Toxteth

En 1980, Howard Gayle devient le premier joueur noir de l’histoire du Liverpool FC. Natif de Toxteth, quartier prolétaire de Liverpool, il n’a jamais tourné le dos à ses origines. Au point de se solidariser des célèbres émeutes qui éclatèrent à Toxteth quelques semaines après la troisième Coupe d’Europe des Clubs Champions remportée en 1981 par les Reds.

Aujourd’hui encore, quand on entend « Toxteth », on pense en premier aux émeutes de l’été 1981. Un souvenir si bien collé au quartier que les autorités municipales ont pris l’habitude de le renommer « Liverpool 8 ». Un nom aseptisé comme pour effacer cette glorieuse révolte qui mit en accusation l’état policier et le thatcherisme pendant plus d’une semaine. Une des révoltes sociales les plus violentes de l’ère Thatcher : plus de 500 personnes arrêtées, 100 policiers blessés et 150 bâtiments incendiés, dont l’hôtel particulier du Racquet Club où la bourgeoisie locale avait ses habitudes.

« Original Toxteth Terror »

Howard Gayle est né à Toxteth, mais il a grandi à Norris Green, un autre quartier ouvrier de la ville. C’est un pur scouser, comme on nomme ceux qui viennent du Merseyside. Jeune, il fréquente déjà les travées d’Anfield. Si ses yeux brillent pour l’équipe de Bill Shankly, il est fasciné par le monde des tribunes. Il bouge au stade en bande et prend l’habitude de resquiller pour se faufiler au cœur du mythique Kop. Il goûte à la ferveur et à la violence lors des matchs des Reds. « J’étais un hooligan » confia-t-il dans le livre de Simon Hughes, Red Machine. Les déplacements et les bastons avec les hools londoniens égayent son adolescence, sur fond de cette sous-culture casual naissante parmi la jeunesse hooligan de Liverpool et Everton.

Il a un pied dans la petite délinquance quand la perspective de devenir footballeur se présente à lui. Un de ses éducateurs lui dégote un essai à Liverpool qu’il effectue à Melwood, le centre d’entraînement des Reds depuis les années 50. Il signe en 1977 et intègre la réserve sous la houlette de Roy Evans. Mais il ne joue ses premières minutes en pro qu’en 1980, lors d’un déplacement à Maine Road contre Manchester City. Howard Gayle devient à cette occasion le premier joueur noir de l’histoire du Liverpool FC. Une fierté. Mais il doit faire face au racisme de certains de ses collègues. Principalement Tommy Smith, le capitaine qu’il adulait gamin. Pour Howard, il est hors de question de se laisser faire, quitte à mettre en péril sa carrière chez les Reds. Un jour, il attend Smith sur le parking, une batte de base-ball à la main, pour lui régler son compte. Après cet épisode, on ne lui chercha plus jamais de noises. Et le coach Bob Paisley put mesurer à cette occasion le tempérament de son joueur. Au point de le convoquer pour la 1/2 finale retour de Coupe des Clubs Champions face au Bayern Munich, en Allemagne. Son heure de gloire.

« 61 minutes in Munich »

Howard Gayle a donné le tournis à Wolfgang Dremmler. Le défenseur commettra même une faute grossière dans la surface. Un pénalty complètement oublié par l’arbitre.

Après 9 minutes de jeu, Howard Gayle remplace au pied levé Kenny Dalglish, blessé. Pour ce baptême du feu européen, outre les coups, il doit affronter le racisme des tribunes. Galvanisé par cette ambiance hostile, il ne va pas décevoir. Il fait des misères au défenseur international Wolfgang Dremmler. Pourtant, de peur qu’il craque, Paisley le sort par précaution à la 70e minute, écourtant ainsi le plus important des cinq bouts de matchs, seulement, joués avec l’équipe première de Liverpool par Howard Gayle. Il faut dire qu’avec Kenny Dalglish, David Fairclough ou Ian Rush comme concurrents directs à son poste, il était barré. Mais son amour pour le club prit toujours le pas sur sa frustration. « Dans d’autres clubs, il m’est arrivé de me dire “J’ai la flemme d’y aller aujourd’hui.” Mais jamais à Liverpool. Chaque jour était un plaisir. » Idem pour la finale remportée face au Real Madrid, au Parc des Princes, où il resta sur le banc. « J’étais déçu de ne pas rentrer, mais je suis supporter de Liverpool, alors cette déception se transforma vite en allégresse car l’équipe était plus importante que n’importe quelle réussite personnelle. Je faisais le tour du terrain avec la Coupe et un bonnet à pompon en chantant “You’ll never walk alone” dans un pays étranger où les tribunes étaient à 90% remplies par des supporters de Liverpool. »

Un bonheur partagé avec le peuple de Liverpool. Un peu de baume au cœur dans ce contexte d’écrasement de la classe ouvrière par le thatcherisme qui verra plusieurs centaines d’ouvriers des usines Ford, des docks de la Mersey ou de la biscuiterie Jacobs être mis au chômage. En 1981, 40 % de la population de Toxteth était au chômage. Une « Marche pour l’Emploi » partit même le 1er Mai de Liverpool en direction de Londres. Certains chômeurs, supporters des Reds, poussèrent jusqu’à la Manche et gagnèrent Paris le 27 mai pour assister à la finale. En ces temps de pénurie de travail, même pour les emplois occasionnels sur les docks, les habitants avaient développé des liens de solidarité, formant une communauté très soudée. Enfant de la ville, Howard Gayle en partage les joies comme les colères.

Contre Thatcher et son monde

Au moment où les émeutes se déclenchent, Howard Gayle est dans l’avion en direction du Portugal. Il part en vacances avec son coéquipier Sammy Lee. Le lendemain matin au réveil, Sammy accourt avec la presse et lui montre les photos des bâtiments en feu. Tout est parti de la violente interpellation de Lee Cooper, un jeune du quartier. Comme la jeunesse noire des quartiers ouvriers est particulièrement ciblée par la pression policière permanente, la presse parle rapidement d’émeutes « raciales ». Mais un grand nombre de jeunes prolétaires, quelque soit la couleur de leur peau, y ont pris part. « Les gens étaient juste à bout ; c’était une poudrière sur le point d’exploser. On les appelle les “Émeutes de Toxteth”, mais les gens sont venus de toute la ville – de Bootle, Speke, Kirkby, de partout. Il y avait des gens qui prenaient le bus pour venir participer au soulèvement social, car un grand nombre n’en pouvait plus de l’État policier et du thatcherisme. » raconta Howard Gayle qui, s’il n’avait pas été en vacances, ne serait sans doute pas resté spectateur. «Ça a touché tout le monde dans ma famille. C’était une expression si massive de ce que pensait le peuple du pays et de sa gouvernance. Venant des quartiers et vu mes antécédents, je crois bien que j’aurais fini par me battre aussi. »

Le 10 août 2016, Howard Gayle poste ce message sur son compte facebook pour expliquer pourquoi il a refusé d’être décoré de l’Ordre de l’Empire Britannique.

De retour à l’entraînement à la fin de l’été, ses coéquipiers parlaient encore de ce qui s’était passé à Toxteth. « Les supporters de Liverpool manifestaient bruyamment leur soutien aux émeutiers aussi, car c’étaient des membres de la working class et qu’ils comprenaient ce que les gens traversaient. A l’intérieur du club, la perception des Noirs avait changé. Les types qui avant me regardaient de haut commencèrent à comprendre qui j’étais, d’où je venais et les combats que je devais mener au quotidien. Ils prenaient conscience que je n’allais tolérer aucune connerie à ce sujet au sein du club. »

Devenu éducateur des jeunes du Stanley House FC, club de Toxteth, Howard Gayle s’appuie toujours sur les mêmes valeurs. Les mêmes qui l’ont vu refuser la décoration de l’Ordre de l’Empire Britannique en 2016. « Mes ancêtres se seraient retournés dans leur tombe vu comment ils ont été mis en esclavage par l’Empire colonial » avait-il alors expliqué. Quelques années plus tôt, il avait déjà exprimé un avis tranché quant à la classe politique. « Je me méfie vraiment de tous les politiciens. Ils sont tous plus mauvais les uns que les autres. Ils te promettent le monde et dès qu’ils parviennent au pouvoir, ils ne te donnent rien. Des gens me disent, “Si tu ne votes pas, tu ne peux pas changer les choses”. Mais eux, ils votent et ils ne changent rien. Les types entrent en politique avec les meilleures intentions, mais une fois au pouvoir, celui-ci les corrompt et ils oublient le peuple au service duquel ils sont censés être. »

2 Comments

  1. L’histoire avec Tommy Smith sur le parking est fantasmée. En réalité, Gayle rapporte dans son autobiographie qu’ils se sont accrochés à l’entraînement, suite à une lourde frappe contrée par Smith, qui aurait ensuite marmonné des insultes racistes à cause de la douleur. Howard Gayle, qui avait déjà subi plusieurs attaques verbales d’un Smith vieillissant et amer (Emlyn Hughes et Smith ne se parlaient pas, par exemple, plus personne ne le supportait dans le vestiaire), est donc venu le menacer de le fracasser avec une batte de base-ball s’il n’arrêtait pas. Smith a tourné les talons et n’a plus jamais insulté Howard Gayle.

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