Le Kop d’Anfield Road : vie et mort d’une tribune populaire

Pourquoi, principalement en Angleterre, a-t-on coutume de nommer les tribunes situées derrière les buts le “Kop” ? Il faut pour cela remonter jusqu’à la seconde Guerre des Boers (1899-1902), et à la bataille de Spion Kop, les 23 et 24 janvier 1900. Les gisements d’or du Transvaal découverts en 1886 suscitaient la convoitise de l’Empire britannique. Spion Kop, littéralement “La Colline aux Espions” en afrikaner, était un objectif stratégique des soldats britanniques pour libérer la ville de Ladysmith assiégée par près de 3000 Boers. Bien qu’au final, les Britanniques gagnèrent la guerre, la bataille de Spion Kop fut une lourde défaite. De là vient ce nom donné à plusieurs tribunes populaires d’outre-Manche, dont la plus emblématique est sans conteste le Kop d’Anfield Road à Liverpool. Une histoire d’un siècle croisée avec celle de la working class du Merseyside et de son écrasement par Thatcher, qui fut aussi le point de départ de la restructuration libérale du football.

A l’ombre d’une colline

« […] il fut un temps où tous les matchs – peu importe le classement de l’équipe – donnaient lieu à une énorme fête populaire. Aujourd’hui, c’est lié aux performances. C’est devenu très cher d’aller à Anfield. Si tu as payé ta place 55 livres et que les joueurs sont mauvais, tu n’as pas envie de les soutenir. » Gareth Roberts (The Anfield Wrap)

Le Kop, avant sa destruction en 1994.

Après la guerre. La première référence métaphorique de la colline de Spion Kop, daterait de 1904 et ne concerne pas Liverpool, mais Arsenal. Le club londonien évoluait à l’époque sur l’ancien Manor Ground, situé à Plumstead, quartier du sud-est de la capitale. Un journaliste compara alors les supporters debout dans la tribune aux soldats postés à Spion Kop en 1900. A la même période, dans d’autres stades anglais, les supporters surnommèrent leur tribune ainsi. Ce fut aussi le cas à Anfield, stade du Liverpool F.C., pour la tribune située derrière les buts, côté Walton Breck road, là où les places étaient les moins chères. Il faut dire que la seconde Guerre des Boers qui venait à peine de s’achever était encore dans toutes les têtes. Que le Transvaal et l’Oranje Vrijstaat soient passés à l’issue du conflit sous la domination de l’Empire, faisait une belle jambe aux milliers de familles britanniques qui perdirent un des des leurs dans cette guerre entre des colons et des impérialistes pour de l’or dont ils ne virent jamais la couleur. Pour tous ces gens-là cette guerre évoque surtout un profond traumatisme, et en particulier cette Bataille de Spion Kop qui fut des plus sanglantes. Parmi les 383 soldats britanniques morts lors de cette bataille, il y avait de nombreux Scousers, comme on appelle les gens originaires de Liverpool et des bords de la Mersey, à l’accent si reconnaissable.

Hommage aux Scousers. Jusqu’à la construction d’une tribune en dur en 1906, du côté de Walton Breck road les supporters des Reds de Liverpool prenaient place sur une butte de terre et de débris. La comparaison avec la Colline aux Espions d’Afrique du Sud en était d’autant plus forte. Le Liverpool A.F.C., fondé en 1892 par le brasseur et homme d’affaire John Houlding, est alors un jeune club d’une quinzaine d’années. Le terrain d’Anfield, propriété d’Houlding, était auparavant occupé par Everton, qui devint par la suite le grand rival des Reds, les deux clubs étant distants de moins d’un kilomètre. Quand Everton déménagea en 1892 à Goodison Park à cause d’un différent sur le prix de la mise à disposition d’Anfield par Houlding, ce dernier créa un club pour occuper le stade laissé vacant. La première rencontre de l’histoire du club de Liverpool à Anfield se joua devant 200 personnes, et les joueurs utilisèrent comme vestiaire le Sandon Pub, situé de l’autre côté de la rue. Fort des succès précoces du club, les dirigeants poursuivirent la construction des tribunes. Celle en dur construite en lieu et place du Kop acheva de clôturer le terrain. En 1906, les quatre côtés du rectangle vert d’Anfield road ont donc une tribune. Le journaliste Ernest Edward popularisa dans le Liverpool Echo le surnom de “Spion Kop” pour cette tribune populaire. Ce surnom résonnait aussi comme un vibrant hommage à ceux “restés” là-bas. La tribune va vite devenir un marqueur de l’identité ouvrière locale, et illustrer la force du lien entre le club et ses supporters, les Kopites. Ainsi est né le Kop d’Anfield, longtemps la “terrace” – tribune où on regarde le match debout – la plus bruyante et animée d’Angleterre, et même au-delà. Les mouvements de poussée à l’intérieur du Kop, rempli à rabord, étaient semblables à des vagues impressionnantes. Des mouvements de foule permis par le fait d’être debout, qui faisaient partie de l’animation de la terrace. Ainsi le Kop donnait de la voix mais poussait aussi physiquement les joueurs.

«Il ne faut pas perdre de vue que le football, d’origine bourgeoise, est assez vite apparu aux yeux d’un patronat paternaliste pensant acheter la paix sociale, comme un parfait instrument de disciplinarisation des ouvriers. Toutefois, les terraces des stades anglais devinrent de hauts lieux de sociabilité ouvrière autant que des défouloirs collectifs imprégnés de cette identité de classe à laquelle certains clubs sont associés comme Manchester United, Coventry, Milwall, West Ham et bien sûr Liverpool. La working class importa dans et aux abords des stades son défi de l’autorité rôdé dans la longue histoire des grèves et des émeutes ouvrières.»

Aujourd’hui une statue de bronze, tardivement érigée pour lui rendre hommage, trône à l’extérieur du stade, au pied du Kop. Immortalisant sa façon si caractéristique de le saluer, les deux poings écartés, une écharpe rouge autour du cou. Sur le socle une inscription simple : « He made people happy ». Il a rendu les gens heureux.

Bill Shankly à l’assaut du Kop . En 1959, le Kop se découvrit une idole. Le coach Bill Shankly a été recruté en cours de saison pour redorer le blason du club qui végète en Deuxième division. D’emblée, il manifeste sa solidarité vis-à-vis du peuple des tribunes aux conditions de vie plus rudes, ce soutien indispensable des Reds en dépit du piètre spectacle proposé. « La pression, c’est travailler à la mine. La pression, c’est être au chômage. La pression, c’est d’essayer d’éviter la relégation pour 50 shillings par semaine. Cela n’a rien à voir avec la Coupe d’Europe, le championnat ou la finale de la Cup. Ça, c’est la récompense.» L’auteur David Peace dans son monumental Red or Dead consacré à Shankly, exprime combien l’entraîneur à l’accent socialiste prononcé incarne le mieux, aujourd’hui encore, ce lien fusionnel entre le terrain et le Kop. On y retrouve l’image lointaine de la bataille de Spion Kop dans cette allégorie de la montagne à gravir, non seulement pour la victoire, mais aussi pour donner du bonheur aux supporters. « Le sommet de la montagne est en vue, dit Bill Shankly. Le point culminant, les gars. Et aujourd’hui, vous allez l’atteindre, ce sommet. Vous allez grimper tout en haut de la montagne, les gars. Mais vous n’y monterez pas tous seuls, non. Vous serez là-haut avec les dizaines de milliers de gens qui sont ici aujourd’hui. À l’intérieur du stade. Et les dizaines de milliers qui sont à l’extérieur. À l’extérieur d’Anfield aujourd’hui. Vous serez là-haut avec eux, les gars. Et vous serez tous là-haut comme un seul homme. Alors, allez sur le terrain maintenant, les gars. Allez sur le terrain maintenant pour atteindre ce sommet. Allez sur le terrain maintenant pour monter tout là-haut, les gars. Et donnez à tous ces gens ce qu’ils méritent, donnez-leur ce qu’ils attendent. Allez-y et rendez-les heureux, les gars… » Ce sommet, ce sont les cœurs du Kop d’Anfield à conquérir. Les cœurs de ces gens qui triment toute la semaine sur les docks de la Mersey. Si le sport est la continuation de la guerre par d’autres moyens comme certains aiment à le prétendre, Bill Shankly, dont l’aphorisme le plus célèbre prétend que le football serait bien plus important qu’une question de vie ou de mort1, prit ouvertement le parti d’un camp, celui du prolétariat.

« Standing terrace », violence et identité ouvrière locale

« A Liverpool, on préfère voir arriver un brésilien qu’un londonien. » Gareth Roberts (The Anfield Wrap)

« We are not english, we are scouse ». En 1928, le Spion Kop fut recouvert d’un toit soutenu par une série de pylônes suffisamment éloignés les uns des autres pour ne pas gêner la vue. Cette année-là, le Spion Kop de Liverpool fut officiellement baptisé ainsi par le club. Hormis l’installation de l’éclairage en 1957, Anfield n’allait plus changer d’aspect jusqu’en 1962. Ces 35 années, le Kop, comme on l’appelle par effet de raccourci, est la terrace couverte la plus grande et la plus peuplée du pays. Avec une capacité d’accueil de plus de 20 000 fans, ses possibilités sonores étaient immenses2. Bien sûr, il ne faut pas perdre de vue que le football, d’origine bourgeoise, est assez vite apparu aux yeux d’un patronat paternaliste pensant acheter la paix sociale, comme un parfait instrument de disciplinarisation des ouvriers. Mais les terraces des stades anglais devinrent de hauts lieux de sociabilité ouvrière autant que des défouloirs collectifs. Une identité de classe à laquelle certains clubs sont associés comme Manchester United, Coventry, Milwall, West Ham et bien sûr Liverpool. La working class importa dans et aux abords des stades son défi de l’autorité rôdé dans la longue histoire des grèves et des émeutes ouvrières. La ville de Liverpool est marquée au fer rouge par cette combattivité sociale à laquelle les immigrés irlandais, près d’un quart de la population liverpoudlienne au début du siècle, confrontés à une extrême pauvreté, prirent part. Une histoire sociale qui trouve un écho en tribune. « Il y a clairement une histoire de fierté » explique l’ancien attaquant du club John Aldridge3 pour expliquer cela. « La fierté et l’attachement d’une ville de la classe populaire à ses racines. Pendant longtemps, Liverpool a été la ville oubliée du Nord de l’Angleterre. Les docks étaient à l’abandon depuis 1972, Margaret Thatcher voulait nous rayer de la carte, on nous disait de partir, d’aller vivre plus dans le Sud, ou à l’intérieur des terres… Quand tout allait mal, quand tout le pays nous regardait avec pitié ou dédain, les gens d’ici n’avaient plus que le club de foot pour défendre leur honneur. » L’identité ouvrière croise aussi l’identité plus locale, celle de sa région ou souvent de son quartier à travers les couleurs de son club. Pour les supporters, défendre son honneur passe par le raccourci de l’esprit de clocher. Les Scousers de Liverpool, comme les Manx de Manchester ou encore les Geordies de Newcastle ne demandaient qu’à se faire les Cockneys des divers clubs londoniens. Tous ces prolétaires venant de différents coins du Royaume-Uni se confrontèrent ainsi chaque week-end, dans une sorte de revival urbain des loisirs médiévaux ultra-violents.

«Même si le spectacle sportif remplit une fonction minimale de diversion, il ne parvient pas pour autant à domestiquer ce prolétariat qui s’agite autant dans les stades que dans les usines. Car malgré les théories surestimant le pouvoir hypnotique et somnifère du sport spectaculaire, le nombre de révoltes sociales, de grèves de dockers, de cheminots ou de mineurs au long du 20me siècle, suffit à montrer que le football n’a, fort heureusement, jamais réussi à endormir ni calmer la colère ouvrière.»

Spirit of 69. Les mentions de violences en contexte de matchs remontent bien avant l’émergence du « phénomène » hooligan dans sa version contemporaine du début des années 70. Alors que se profile le virage marchand du football, vers ce que les mouvements de supporters nomment le “football moderne“, la violence des firms (les Urchins et les R.R.S. Runcorn Riot Squad à Liverpool) devient un élément incontournable du paysage. Mais elle a tendance à occulter le fourmillement d’activités des kops. Les 70’s voient se multiplier les chants, proliférer les fanzines et apparaître la sous-culture casual4, introduite en Angleterre par les jeunes hooligans des deux clubs de Liverpool. Phil Thornton, journaliste auteur d’un livre sur les casuals, se souvient de l’ambiance du Kop : « Mon père était un gros fan de Liverpool et a commencé à m’emmener à Anfield quand j’avais 6 ans, vers 1971. A cette époque, Liverpool était une ville très pauvre, ça l’est toujours d’ailleurs, mais Anfield était un endroit assez impressionnant pour un gamin. Le kop était à son apogée et les voir arriver en chantant ‘You’ll never walk alone’ depuis Anfield Road est une chose toujours ancrée dans ma mémoire. Je me rappelle de l’odeur autant que du son, le vinaigre des friteries, le crottin de cheval de la police montée, les oignons des vendeurs de hot-dog, la bière des pubs et surtout, la pisse des 20 000 bonhommes entassés dans le kop. Même si j’étais petit et qu’à chaque fois que Liverpool marquait tu pouvais te retrouver à 15 mètres de ton siège, je ne me suis jamais senti en danger et n’ai jamais vu de blessé grave non plus. » Outre “You’ll never walk alone”, chanté à Anfield depuis la saison 63/64 et connu tout autour du globe, d’autres chants font la renommée du Kop. “Poor Scouser Tommy qui raconte l’histoire d’un jeune scouser abattu par les nazis lors de la Seconde Guerre Mondiale et qui dans son dernier souffle exprima sa fierté d’être de Liverpool. Mais aussi la reprise de la protest song “We shall not be moved”, liée au mouvement pour les Droits civiques, qui fit frissonner Anfield en quart de finale retour de la Coupe d’Europe des Clubs Champions face à Saint-Etienne, en 1977. A la longue liste des chants emblématiques du Kop, ajoutons The fields of Anfield Road et A liverbird upon my chest qui rendent hommage aux enfants chéris du Kop que sont Bill Shankly, Kenny Dalglish ou encore Ian Rush et dont les versions récentes n’oublient pas de rendre hommage aux 96 victimes de la catastrophe d’Hillsborough.

Le Heysel et Hillsborough, Thatcher et le Rapport Taylor

« Je pourrais dire ‘repose en paix’ Maggie mais ce ne serait pas honnête. Si le paradis existe, cette vieille sorcière n’y aura pas sa place. » Joey Barton

“When Maggie Thatcher dies”. Certaines critiques du football assènent qu’il est un opium qui endort les masses et les éloigne de leur destin révolutionnaire. Même si le spectacle sportif remplit une fonction minimale de diversion, il ne parvient pas pour autant à domestiquer ce prolétariat qui s’agite autant dans les stades que dans les usines. Malgré les théories surestimant le pouvoir hypnotique et somnifère du sport spectaculaire, le nombre de révoltes sociales, de grèves de dockers, de cheminots ou de mineurs au long du 20e siècle, suffit à montrer que le football n’a, fort heureusement, jamais réussi à endormir ni calmer la colère ouvrière. L’arrivée au pouvoir de Thatcher en 1979 initia un douloureux tournant pour le prolétariat anglais. Celle qui se fit surnommer la “Dame de fer” promit de le mettre au pas. Pareil pour l’IRA ou les hooligans. Elle y gagna une haine sans limite de la classe ouvrière. « Du temps de Thatcher, Londres c’était la chambre conjugale et Liverpool c’était les toilettes, sans produits de nettoyage » avait raconté une retraitée du Merseyside. La violence du thatcherisme n’a jamais empêché les résistances, au contraire, et Liverpool a toujours pris sa part: des émeutes de Toxteth en 1981, quartier ouvrier où vivent beaucoup d’immigrés caribéens, à la longue grève des dockers de 1996, en passant par les grèves de la British Leyland contre la restructuration du secteur automobile. De la part du club, ces mouvements n’ont jamais rencontré qu’une solidarité sporadique. Illustration d’un monde du football en pleine mutation. Certains joueurs, enfants des quartiers prolos de la ville, attachés à leurs origines, se sont démarqués par leur engagement aux côtés des exploités, malgré les pressions diverses. Comme Howard Gayle, premier joueur noir à porter le maillot des Reds, à l’occasion des émeutes de Toxteth ou encore de Robbie Fowler et Steve McManaman lors de la grève des dockers. On pourrait étaler sur des pages entières ce que les années Thatcher ont été pour le prolétariat britannique. La violente répression des grèves ou la suppression de millions d’emplois, suffisent pour comprendre qu’on a longtemps grandi à Liverpool en haïssant Thatcher. Une haine qui a logiquement résonné jusqu’au cœur du Kop où on a chanté pendant de trop longues années : « We gonna have a party when Maggie Thatcher dies ! »

«Publié en 1990, le rapport Taylor préconisait la rénovation de l’intégralité des stades de 1ère et 2ème division et la suppression des terraces populaires. Le rapport ne suggérait qu’une augmentation « raisonnable » du prix des places. Mais celui-ci grimpa inexorablement. Alors qu’en 1990 une place dans le Kop d’Anfield coûtait 4£ et l’abonnement 60£, aujourd’hui elle approche les 60£ et les abonnements 750£. Les propriétaires des clubs en profitèrent pour gentrifier les tribunes et courtiser un nouveau type de public, moins turbulent, plus familial, moins prolétaire, plus middle-class.»

Le Kop d’Anfield, version “all-seater”et sa capacité réduite à 12390 places.

That’s all folks. Thatcher ne prit pas d’emblée la question du hooliganisme à bras le corps. Les jours de matchs, il y avait régulièrement des arrestations et cette violence rituelle était gérée à coup de police montée. Mais, bien qu’elle avait déclaré vouloir « crucifier tous les skinhead », ce n’est à partir de la tragédie du Heysel, à laquelle le monde entier assiste en direct en 1985, que les premières mesures anti-hooligans vont être prises, sur fond de grève illimitée des mineurs du Yorkshire et de Guerres des Malouines. Une partie des groupes hooligans dans cette période de profonde crise économique évolue alors, comme une partie du mouvement skinhead, vers le racisme et l’extrême-droite. Après le Heysel où 39 supporters de la Juventus moururent écrasés, les hooligans de Liverpool furent pointés du doigt. Les clubs anglais furent exclus pour 5 ans des Coupes d’Europe par l’UEFA. Le condamnation unanime des supporters de Liverpool sert d’alibi à la mise en place d’une législation ultra-répressive visant à encadrer le supportérisme. Thatcher s’attela alors à appliquer au football anglais ses préceptes d’ordre et de sécurité. Entre 1985 et 1989, date d’Hillsborough, une série de lois sera promulguée : le Sporting Events (1985), le plus large Public Order Act (1986) puis le Football Spectator Bill (1989). Ces lois instaurèrent le fichage des supporters, l’intensification des contrôles d’identités, l’interdiction de consommer de l’alcool, l’infiltration des groupes de hooligans, la mise en place de la vidéo-surveillance et le durcissement des sanctions pénales. Elles eurent un impact réel sur la pacification des stades. En 1987, avant même la rénovation d’Anfield, un local fut mis à disposition de la police directement dans la tribune de Kemlyn road. Mais Hillsborough fut le coup de grâce et le feu vert pour en finir définitivement avec les restes d’un football populaire et ouvrir la voie à la libéralisation du football anglais vers celui qu’on connaît aujourd’hui, dopé par des droits de retransmission dépassant le milliard d’euro annuel. Au lendemain de la catastrophe d’Hillsborough, où la responsabilité policière n’est pas encore reconnue, les hooligans sont encore publiquement dénoncés comme les coupables. Thatcher commanda un rapport au magistrat Peter Taylor. Publié en 1990, le rapport Taylor préconise la rénovation pour la saison 94/95 de l’intégralité des stades de 1ère et 2ème division en enceintes all-seaters, intégralement assises, et donc la suppression des terraces populaires. Le rapport Taylor ne suggérait qu’une augmentation « raisonnable » du prix des places. Mais celui-ci grimpa inexorablement. Alors qu’en 1990 une place dans le Kop d’Anfield coûtait 4£ et l’abonnement 60£, aujourd’hui elle approche les 60£ et les abonnements 750£. Les propriétaires de clubs profitèrent des réformes structurelles pour gentrifier les tribunes et courtiser un nouveau type de public, moins turbulent, plus familial, moins prolétaire, plus middle-class. A Liverpool, un grand nombre de Kopites ne pouvait plus, à l’orée des années 2000, se payer l’abonnement ni même la place. D’autres se saignent encore aujourd’hui et économisent pour continuer à aller au stade. Même si le Kop d’Anfield reste une tribune emblématique, elle n’en a pas moins été aseptisée par la mise aux normes all-seaters en 1994, réduisant sa capacité à 12 390 sièges. Aujourd’hui des mouvements de supporters continuent de lutter contre l’augmentation du prix du billet et pour faire perdurer l’esprit du Kop. Mais en 25 ans, la working class a globalement été poussée hors des stades, vers les pubs, quand elle n’a pas souscrit un abonnement sur une des chaînes câblées qui a acheté au prix fort le droit de retransmettre les matchs de Premier League.

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Version remaniée de l’article initial sur l’ancien blog Les Cahiers d’Oncle Fredo

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Notes:

1Dans une interview télévisée donnée quelques mois avant sa mort en 1981, Bill Shankly revient sur sa célèbre citation. « Tout ce que j’ai, je le dois au football. Vous obtenez seulement de ce jeu ce que vous y investissez. Je m’y suis donc jeté corps et âme, à tel point que ma famille en a souffert. » A la question du journaliste lui demandant s’il avait le moindre regret durant sa carrière, il répondit : « Je le regrette beaucoup. Quelqu’un m’a un jour dit: « Pour vous, le football est une question de vie et de mort. ». J’ai répondu: "Écoutez, c’est bien plus important que cela." Et ma famille en a souffert, elle a été négligée. »

2Même s’il atteint rarement cette affluence, le stade peut alors accueillir plus de 60 000 spectateurs. L’affluence moyenne oscille entre 23 et 32 000 spectateurs avant-guerre, et entre 38 et 47 000 spectateurs après-guerre. Même lors de la période la plus compliquée de l’histoire du club quand il retourne en Deuxième division après 50 ans dans l’élite. Lors des huit saisons passées dans l’antichambre, entre 1955 et 1961, c’est en moyenne 36 000 personnes qui venaient supporter les Reds.

3Fils d’immigré irlandais, John Aldridge a grandi dans le quartier ouvrier de Garston sur les bords de la Mersey. Après avoir joué dans les petites divisions tout en bossant à la chaîne à l’usine automobile British Leyland, il passa pro à 23 ans pour un salaire de 79£ par semaines. Il réalise son rêve de signer à Liverpool à 29 ans. Il resta deux saisons au club, marquant 63 buts en 104 matchs, suffisant pour "secouer" le Kop.

4La sous-culture casual est un mouvement apparu dans la jeunesse hooligan anglaise, d’abord exclusivement à Liverpool. Alors que les hooligans anglais sont plutôt associés à la culture et au look skinhead, ce qui les rend de plus en plus facilement identifiable par la police, en 1979 les jeunes hools de Liverpool chamboulent les codes vestimentaires, à base de coupes de cheveux plus longues et coiffées et de fringues de marque, parfois empruntées au golf ou au tennis, plus passe-partout.

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