Le cercle des compétitions disparues: La Coupe Intercontinentale

Avant le Mondial des Clubs de la FIFA, certains dirigeants ont voulu qu’un trophée puisse désigner le meilleur club du monde. La CONMEBOL et l’UEFA ont alors mis sur pied la Coupe Intercontinentale opposant la meilleure équipe d’Europe à la meilleure équipe d’Amérique du Sud. Un trophée emblématique de la bipolarité du “foot d’avant”.

Le 12 décembre 2004, la Coupe Intercontinentale jouait sa dernière partition. Un Porto-Once Caldas intrigant qui s’est soldé par un 0-0. Le champion portugais n’a battu son adversaire colombien qu’au bout de la séance de tirs au but (8-7), avant de fermer le rideau sur cette compétition dont la première édition avait été jouée 44 ans plus tôt. Quarante-quatre, c’est aussi le nombre d’équipes qui ont eu le privilège de participer à au moins une fois une finale de Coupe Intercontinentale. Avec cette victoire, le FC Porto intégrait aussi le cercle fermé de celles l’ayant remporté plus d’une fois. Un trophée select au palmarès dominé par le Milan AC, Peñarol, le Real Madrid, Boca Junior et le Club Nacional.

L’idée d’organiser une compétition opposant la meilleure équipe européenne à la meilleure équipe sud-américaine est née en 1958, soumise par Henry Delaunay, président de l’UEFA au congrès de la CONMEBOL, alors que l’Amérique du Sud ne dispose pas encore de compétition continentale permettant de désigner sa meilleure équipe, à l’image de la Coupe d’Europe des Clubs Champions (C1). Ce sera corrigé avec la création de la Copa Libertadores en 1960, permettant à la Coupe Intercontinentale de lui emboiter le pas. Le trophée va s’imposer pendant plusieurs décennies comme le rendez-vous désignant la meilleure équipe du monde, incarner l’opposition de deux cultures footballistiques aux identités singulières, mais aux niveaux sensiblement égaux.

Un “choc des Titans” longtemps snobé par la FIFA

Si, au début des années 2000, la globalisation capitaliste du football a nettement accéléré la domination européenne, le bilan de la Coupe Intercontinentale est équilibré: 22 victoires pour l’Amérique du Sud contre 21 pour l’Europe. On distingue deux grandes périodes de dominations: entre 1977 et 1984 pour les clubs sud-américains (7 victoires consécutives) et entre 1995 et 1999 pour les clubs européens (5 victoires). Le tableau d’honneur de la compétition est clairement celui d’un football révolu mais qui a vu le gratin de plusieurs époques se présenter à sa porte. Première équipes à l’emporter deux fois d’affilée, Santos et son attaque de feu Pelé – Coutinho – Pepe, est un des multiples exemples de ce prestige. Un peu plus tôt, c’était déjà le grand Real Madrid de Puskás, Gento et Di Stefano qui allait graver en premier son nom sur le trophée. Une manière de lancer la Coupe Intercontinentale sur de bons rails.

Conquise face au Real Madrid, la Coupe Intercontinentale 1966 – deuxième de ses trois victoires dans la compétition – reste un titre mémorable pour l’équipe uruguayenne du CA Peñarol.

Finalistes malheureux, Peñarol et son buteur équatorien Alberto Spencer se rattraperont dès l’édition suivante au dépends du Benfica d’Eusébio qui inaugure la liste des perdants somptueux où cohabitent Liverpool en 1981 et 1984, l’Atlético Nacional de Pacho Maturana en 1989 ou encore le Barça de Johann Cruyff en 1992. Pourtant, la FIFA, qui souhaitait son extension aux autres continents, a longtemps refusé d’y voir autre chose qu’une rencontre amicale entre européens et sud-américains. Le refus de l’UEFA et de la CONMEBOL d’intégrer les clubs champions d’Asie et d’Amérique du Nord à la fin des années 60, est la principale explication. Ce n’est d’ailleurs qu’en 2017 qu’elle reconnaîtra la victoire dans les éditions passées comme un titre officiel sacrant le “meilleur club du monde”.

Le football comme champ de bataille

Avant la délocalisation au Japon, la traversée de l’Atlantique était l’occasion pour les équipes européennes de se frotter à l’ambiance bouillante des stades sud-américains. Et certains n’en sont pas sortis indemnes. La situation a même commencé à mettre en péril la compétition qui est entré dans une véritable zone de turbulence dès la fin des années 60. Certains champions européens ont montré de plus en plus de réticence à participer en raison de l’extrême rudesse des équipes argentines. Le Celtic va être la première équipe à en faire véritablement les frais. Cette impressionnante machine offensive, qui a terrassé l’Inter d’Helenio Herrera et son catenaccio en finale de la C1, va tomber sur un drôle d’os avec le Racing Club. L’équipe d’Avellaneda dans la banlieue de Buenos Aires va marquer l’édition 1967 de son empreinte. Au sens propre comme au sens figuré.

Après une confrontation aller-retour accrochée et soldée par une victoire chacune, un match d’appui est nécessaire. Malgré les réticences du board du Celtic prêt à abandonner le match, tout le monde se retrouve à Montevideo, sur terrain “neutre”. Plus de 30 000 supporters argentins ont fait le déplacement dans la capitale uruguayenne. Le match sera un festival de cartons rouges, avec quatre joueurs expulsés côté Celtic et deux côté Racing. Les vidéos du match montrent que les joueurs du Celtic ont clairement perdu leur sang-froid au fil des provocations argentines. Une frappe magnifique de Chango Cárdenas suffira à envoyer cette équipe surnommée “El Equipo de José” en référence à son entraîneur Juan José Pizzuti, sur le toit du monde. Le match restera dans les mémoires comme “La Bataille de Montevideo”.

L’Europe découvre l’Estudiantes de La Plata

Jock Stein a déclaré après le match que même pour tout l’argent du monde, il n’amènerait plus jamais d’équipe jouer en Amérique du Sud. Les équipes argentines sont particulièrement critiquées. Sur fond de crise diplomatique des Malouines, le contentieux entre l’Argentine et l’Angleterre est profond. Mais il a pris encore plus de poids depuis Mondial 1966 en Angleterre et les propos scandaleux du sélectionneur anglais Alf Ramsey assimilant les Argentins à «des animaux». La Coupe Intercontinentale 1968 entre Manchester United et Estudiantes va immanquablement raviver ces tensions. George Best sera même expulsé en fin de match, pris dans une bousculade avec José Medina et Nestor Tognari. L’Europe allait devoir s’habituer à cette équipe argentine qui va enchaîner trois finales entre 1968 et 1970, seule équipe à avoir réalisé cette série.

Nestor Combin, soigné par le médecin du Milan AC.

L’architecte de cet Estudiantes est Osvaldo Zubeldía que Rinus Michels a désigné comme “inventeur du football total”. La postérité a plutôt collé le qualificatif d’“antifútbol” à la peau de son équipe qui reste associée à l’édition la plus violente de la Coupe Intercontinentale, en 1969 face au Milan AC. Les photos de Nestor Combin au visage ensanglanté et tuméfié suffisent à donner un aperçu des coups distribués ce jour-là. Martyrisé par Alberto Poletti et Ramón Suárez, l’attaquant franco-argentin du Milan AC est sorti sur une civière avant d’être arrêté par la police argentine! La presse locale sera choquée de ce qu’elle a vu et la Fédération argentine finira par prendre de sévères sanctions contre les joueurs impliqués. Pour sa troisième et dernière participation à la Coupe Intercontinentale, Estudiantes sera battu par le Feyenoord Rotterdam.

L’ère des forfaits aux airs de boycott

Les joueurs hollandais ont su être assez habiles à l’aller pour esquiver les coups et les pièces jetées des tribunes – une monnaie dévaluée à ce point peut devenir un projectile à moindre frais – pour arracher un match nul 2-2 qui les plaçant en position avantageuse pour le retour à De Kuip, où il l’emporteront 1-0. Un petit exploit quand on sait qu’aucune équipe européenne n’est parvenue à s’imposer sur le sol sud-américain et que seules six en ont ramené un match nul. Le héros du match retour se nomme Joop Van Daele, un remplaçant myope dont les lunettes vont entrer dans la légende. Buteur 4 minutes après être entré en jeu, Van Daele se fait chiper sa paire sur le nez par Oscar Malbernat qui s’amuse à la passer à ses copains comme on fait dans une cour de récréation, et ce jusqu’à ce que Carlos Pachamé la brise en deux.

Pas de quoi arranger la réputation des équipes argentines, ni la bonne image de la Coupe Intercontinentale aux yeux des équipes européennes. Dès l’édition suivante, la grande Ajax Amsterdam sera la première à la boycotter, créant un précédent qui aura des secousses tout au long des seventies. Elle sera remplacée au pied levé par le Panathinaïkos – finaliste de la Coupe d’Europe des Clubs Champions 1971 – opposé au club uruguayen du Nacional. L’Ajax, coaché par Stefan Kovács et emmené par Neeskens, Suurbier et Cruyff remportera quand même l’édition suivante face à Independiente grâce à une victoire écrasante au match retour au Stade Olympique d’Amsterdam avec des buts de Johann Neeskens et d’un doublé jeune Johnny Rep, entré pour la dernière demi-heure.

Le déménagement à Tokyo

Mais tout n’a pas été rose pour autant, notamment lors du match aller à Buenos Aires. Ciblé par des menaces de mort avant le match, Johan Cruyff quittera prématurément ses partenaires à la demi-heure de jeu, non sans avoir ouvert le score dès la 5e minute, victime d’un tacle appuyé de Dante Mircoli. Il a fallu toute la force de conviction de Stefan Kovács pour que les joueurs de l’Ajax acceptent de revenir jouer la deuxième mi-temps. L’Histoire retiendra que c’est l’unique fois où Cruyff, absent lors du Mondial 78, est venu jouer en Argentine. Leader incontesté du football européen du début des années 70, vainqueur de la C1 pour la troisième fois d’affilée, l’Ajax refusera à nouveau de participer à la Coupe Intercontinentale en 73. Finaliste, la Juventus finira par accepter de la remplacer après avoir un refus initial. Cette édition se jouera exceptionnellement à Rome sur un match unique remporté par Independiente (1-0).

Le 2 mars 1980, l’équipe paraguayenne d’Olimpia bat Malmö (2-1), après l’avoir déjà emporté à l’aller en Suède le 18 novembre 1979. Elle remporte la dernière Coupe Intercontinentale sous le format de match aller-retour.

Entre temps deux finales avaient été annulées: en 1975, en raison du refus du Bayern pour des motifs de calendrier, et en 1978 avec le refus de Liverpool, privant le monde d’une affiche alléchante face à Boca Junior, qui avait en retour refusé d’affronter le finaliste de la C1, le FC Bruges. La dernière version de la Coupe Intercontinentale sous ce format a vu la victoire de l’Olimpia sur Malmö qui avait pallié au forfait de Nottingham Forest. Moins de 5000 personnes ont assisté au match aller en Suède. La compétition n’a jamais été aussi près du précipice. L’arrivée de Toyota comme sponsor principal va lui donner un nouveau souffle. La finale est dorénavant jouée sur un match unique au Stade Olympique National de Tokyo qui fait régulièrement le plein pour ce qui sera longtemps l’évènement footballistique de l’année au Japon, où le sport-roi est encore en voie de développement. A partir de 2002, les dernières éditions se déroulent au Stade International de Yokohama.

Vers le Mondial des Clubs

Avant de mettre ses billes, la firme japonaise s’est assurée auprès de l’UEFA de l’obligation contractuelle pour les clubs européens d’y participer, manière de se préserver des forfaits plus ou moins diplomatiques. Une garantie pour cette compétition capable d’offrir un Étoile Rouge de Belgrade – Colo-Colo comme dernière manifestation d’un football qui n’avait pas encore entamé sa mue libérale. Des équipes mythiques, souvent associées à des coachs qui ne le sont pas moins, y ont brillé comme le São Paulo FC de Telê Santana tombeur successif du Barça de Cruyff en 1992, puis du Milan AC de Capello en 1993. Ils sont quatre techniciens à l’avoir remporté deux fois: Lula avec Santos, Helenio Herrera avec l’Inter, Arrigo Sacchi avec le Milan AC et Telê Santana avec le São Paulo FC. Un seul a inscrit son nom trois fois au palmarès: Carlos Bianchi avec le Velez Sarsfield en 1994, et Boca Junior en 2000 et 2003.

L’arrêt Bosman a bousculé les équilibres du football mondial à la faveur des grosses écuries européennes. L’opposition de styles perd de son charme et le format de match unique ne satisfait pas l’appétit financier des instances. Dès 2000, la FIFA peaufine son projet de Mondial des Clubs, intégrant les équipes des autres continents. Cette compétition remplacera officiellement la Coupe Intercontinentale en 2005. A l’image de la Coupe des Coupes, la Coupe Intercontinentale rendra son dernier souffle sur l’autel du football moderne. L’avidité de la FIFA alliée au clientélisme électoral de Blatter peuvent être pointés du doigt, mais n’était-il pas temps que les clubs champions d’Asie, d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique du Nord aient leur place dans ces joutes?

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