Les mutinées de la Selección

Une photo de famille lors de l'Euro 2022. Mais le mal-être couvait déjà (©CASA REAL / 20Minutos)

A moins d’un an de la Coupe du Monde 2023, la sélection féminine espagnole connaît la première grande crise de son histoire. En conflit avec l’entraîneur Jorge Vilda, quinze joueuses majeures ont décliné la sélection. Alors qu’elles exigent du changement, la Fédération leur oppose une virulente fin de non-recevoir.

A El Sadar, stade où évolue traditionnellement Osasuna, la sélection féminine espagnole vient de réaliser le plus gros exploit de son histoire. Le 11 octobre restera gravé comme le jour où elle est enfin parvenue, avec un groupe remanié, à faire tomber une sélection majeure, et non des moindres, les États-Unis de Megan Rapinoe, Becky Sauerbrunn, Rose Lavelle et compagnie. La référence mondiale. Ce n’est qu’un match amical mais il va octroyer à la Fédération (RFEF) et au sélectionneur Jorge Vilda, copieusement hué avant le précédent match contre la Suède au Nuevo Arcángel de Cordoue, une petite bouffée d’oxygène. Ce succès historique peut-il faire oublier la tempête qui agite la Selección? Après tout l’équipe s’est imposée en dépit de l’absence des quinze “rebelles” qui ont fait savoir fin septembre, via un courriel envoyé à Luis Rubiales, le président de la RFEF, leur refus de rejoindre leur sélection tant que Jorge Vilda serait à sa tête.

Putellas, Paredes et Hermoso ajoutent leur voix

Quinze joueuses, et pas n’importe lesquelles. Plusieurs cadres comme Leila Ouahabi, Mapi León, Sandra Paños ou encore Aitana Bonmatí, font partie de la liste. La Fédération avait réagi par un communiqué cinglant affirmant que les contestataires “ne reviendront en sélection que si elles assument leur erreur et demandent pardon“.  Même si jouer cette partition est logique dans sa position, Rubiales s’est évertué à relativiser le coup de tonnerre. “Tant qu’il y aura des filles qui voudront porter le maillot de l’équipe nationale, il y aura une équipe nationale“, a-t-il déclaré tout en continuant de louer le travail de Vilda. En attendant, la Selección a revu son ossature, s’appuyant dorénavant sur un grand nombre de filles du Real Madrid qui ont su saisir leur chance face aux États-Unis.

Les quinze internationales qui ont fait savoir qu’elles se retiraient de la sélection, dont deux gardiennes Sandra Paños et Lola Gallardo.

Dans la dernière ligne droite avant le début de la prochaine Coupe du Monde qui aura lieu en Australie et Nouvelle-Zélande, la Selección ne se prépare pas de la façon idéale. Rubiales et Vilda peuvent feindre l’inverse, ce sont plus de la moitié des internationales qui ont décidé de se tenir à l’écart de la sélection. Si ce n’est pas une mutinerie, ça y ressemble fortement. C’est un véritable camouflet pour le président de la RFEF déjà visé par une enquête pour corruption dans le cadre de la délocalisation de la Supercoupe d’Espagne en Arabie Saoudite, il a été accusé d’avoir organisé des orgies aux frais de la RFEF courant 2020. La RFEF n’est pourtant pas au bout de ses surprises car les quinze joueuses en question ont d’ors et déjà reçu le soutien d’Alexia Putellas, l’actuelle Ballon d’Or, blessée au début du dernier Euro en Angleterre, Irene Paredes et Marta Torrejón du Barça, ou encore de Jenni Hermoso, qui évolue depuis cette saison au Mexique.

Mala Vilda

La raison est simple: le ressort est cassé avec Jorge Vilda sous les ordres de qui elles ne veulent plus évoluer, invoquant un climat en sélection qui affecte leur état émotionnel. La volonté d’une partie du vestiaire de voir Jorge Vilda être débarqué remonte à l’élimination en 1/4 de finale lors du dernier Euro. Elles estiment le coach “sous-qualifié” et absolument pas en mesure d’assumer sa fonction avec succès. Ses méthodes d’entraînement sont au cœur des critiques. Beaucoup de joueuses jugent ses séances monotones et de trop faible intensité. Un avis qui serait même partagé, selon Marca, par une partie du staff.

Les 66% de victoires du Vilda à la tête de l’équipe ne suffisent donc pas à lui accorder un crédit suffisant en vue de la prochaine Coupe du Monde. Des statistiques remarquables sur le papier, mais qui sont en trompe-l’œil et ne reflètent pas les défaillances de la Selección une fois qu’elle est dans le feu d’une compétition majeure. Vilda a dirigé l’équipe lors de deux Euros (2017 et 2022) et une Coupe du Monde (2019). Son ratio de victoires y chute à 33%, mais l’équipe s’est surtout, à chaque fois, montrée incapable de passer un tour à élimination directe sous ses ordres.

Un manque de carrure du sélectionneur qui est aussi illustré par son approche des matchs et un piètre coaching alors qu’il a, de l’avis général, la meilleure génération de footballeuses espagnoles à sa disposition. Ce terne bilan est alourdi par les blessures contractées ou aggravées au cours de rassemblements avec la l’équipe nationale. La plus marquante étant celle de l’ultra populaire Alexia Putellas. Les joueuses ont le sentiment que les délais de guérison ne sont pas respectés en équipe nationale où plusieurs d’entre elles ont été utilisées sans être 100% rétablies, risquant des rechutes à l’image de Mariona Caldentey, une autre joueuse du Barça.

Soutien de Megan Rapinoe

Pointant du doigt le “ton infantilisant” utilisé par la RFEF dans la conclusion de son communiqué, les joueuses rebelles se sont défendues dans un courrier commun. “Huit mois avant une Coupe du monde, qui peut penser qu’un groupe de joueuses de haut niveau, ce que nous considérons être, que cette décision puisse s’apparenter, comme cela a été publiquement sous-entendu, à un caprice ou un chantage?” Elles assurent que cela fait partie de leur devoir “d’exprimer de manière constructive et honnête ce que nous considérons comme pouvant améliorer les performances du groupe“.

Dans l’état actuel, le conflit semble avoir atteint un point de non-retour. Les résultats futurs de la Selección donneront tord, ou peut-être raison, au controversé président Rubiales. En attendant, les mutinées ont reçu le vibrant soutien de l’iconique Megan Rapinoe. “C’est une situation triste, mais comme nous l’avons vu dans notre pays et ailleurs, les joueuses doivent continuer à se battre pour ce qui semble être le minimum en termes de traitement, de ressources et de respect général. De mon côté et de celui de tout le monde ici, nous les soutenons à 100 %“.

Édito n°48

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