L’hypothèse des cadences infernales

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Le malaise cardiaque de Christian Eriksen a remis un coup de projecteurs sur la “mort subite du sportif”. Si l’international danois s’en est heureusement sorti grâce à la réactivité et à la maîtrise des soigneurs, il reste trop de questions sans réponse sur les causes de ces drames imprévisibles. Et si le rythme et les exigences athlétiques auxquels le football soumet les corps avaient aussi leur part de responsabilité?

Même si l’Euro 2021 a repris son cours, difficile d’effacer de nos mémoires ce qui s’est passé lors de Danemark – Finlande. Le public du Parken Stadium de Copenhague et les téléspectateurs ont bien cru durant de très longues minutes qu’ils assistaient au pire. Le corps inanimé de Christian Eriksen, l’agitation du staff médical, les visages meurtris de ses coéquipiers comme de ses adversaires, sont des images qui restent gravées. Comme, 18 ans plus tôt, celle de Marc-Vivien Foé inerte sur la pelouse de Gerland lors de la Coupe des Confédérations 2003. En direct, une partie du monde prenait conscience de la réalité de la “mort subite du footballeur”.

En France, ce phénomène concernerait environ un millier de sportifs par an, amateurs comme professionnels, dont une centaine de moins de 35 ans. Dans près de 90% des cas, la cause est une pathologie cardiaque, qui peut avoir des origines héréditaires et génétiques. Pour les sportifs de haut niveau, et les jeunes sportifs touchés, il s’agit souvent d’une pathologie jamais décelée – parfois même malgré des examens poussés – qui a pu rester “silencieuse” plusieurs années avant de frapper.

A l’échelle du nombre de sportifs, le pourcentage de cas de morts subites reste faible. Mais depuis les années 2000, il s’agit d’une réalité qu’on ne peut relativiser. Le suivi médical millimétré des sportifs de haut niveau ne les met donc pas à l’abri de cette mort subite, qui survient sur le terrain mais aussi parfois en plein sommeil. Aujourd’hui, le principal soucis des chercheurs, qui ont lancé un appel aux dons en 2019 pour aider la recherche, reste la difficulté à en déterminer les causes exactes et potentiellement à les prévenir.

A bas les cadences infernales!

Contrairement au monde amateurs où les tests sont nettement moins poussés, où l’encadrement médical est quasi inexistant, et où les défibrillateurs font cruellement défaut, le monde professionnel est mieux armé pour faire face à ce problème. En France, la Ligue a mis à disposition de chaque club pro des défibrillateurs pour pouvoir réagir dans l’urgence face à un malaise cardiaque. C’est en effet une question de secondes précieuses pour parvenir à réanimer et à limiter au maximum le risque de séquelles irréversibles.

La recherche d’éventuels liens avec la pratique intensive du sport de haut semble pour l’instant mise de côté. C’est que cette piste de réflexion va à l’encontre des préceptes de rentabilité et de compétitivité portée par l’industrie du sport-spectacle où la tendance est à alourdir les calendriers pour la petite satisfaction des diffuseurs.

Dans un rapport publié durant l’été 2019, le syndicat international des joueurs, la FIFPro, a voulu alerter sur les cadences infernales auxquelles sont soumis les joueurs et sur les dangers que ça comporte pour leur santé. En cause notamment, le temps de récupération entre deux matchs, trop court, tout comme la durée de la coupure estivale. La période justement où les clubs ont pris l’habitude d’imposer aux joueurs une grosse préparation foncière. Si l’impact du passage à 5 remplacements autorisés par match au lieu de 3 auparavant reste encore à mesurer, ces saisons à rallonge mais aussi l’intensification des efforts liée à l’évolution athlétique du sport capitaliste mettent les corps des joueurs à rude épreuve.

Avec 70 matchs au compteur, 100 000 km de vol : la situation de Sadio Mané (Liverpool) a attiré l’attention de la FIFpro en 2019 !

Pour permettre aux joueurs de se régénérer physiquement, mais aussi mentalement, la FIFPro recommande de respecter une période de coupure de quatre semaines lors de la trêve estivale, mais aussi une plage de cinq jours minimum entre chaque rencontre. Des préconisations évidemment à contre-courant en ces temps de profusion de matchs, notamment pour les clubs engagés sur plusieurs tableaux. Le cas de l’attaquant sud-coréen de Tottenham, Son Heung-min qui a disputé 78 rencontres durant la saison 2018-19 illustre parfaitement  ces cadences infernales. Récemment dans Ouest-France, Raphaël Varane abondait dans ce sens: « Sur le court terme, on peut faire le dos rond, mais à long terme, c’est juste impossible. Quand on voit les différents projets de réforme des compétitions, avec toujours plus de matches, on se dit que c’est compliqué […] Si on veut intéresser les gens, redynamiser le football, il faut du spectacle, ce qui leur a manqué parfois durant le Covid. Et pour ça, il faut penser à la santé physique et mentale des joueurs. »

La vie des footballeurs vaut plus que les profits des diffuseurs

A l’heure actuelle, il n’existe aucun rapport direct entre la mort subite du footballeur et les cadences intensives auxquelles il peut être soumis. La pratique du sport de haut niveau ne peut pas provoquer un arrêt cardiaque sans l’existence d’une pathologie sous-jacente. Il peut jouer par contre un rôle indirect. En cas de pathologies préexistantes indécelables, la répétition d’efforts intenses peut-être un facteur aggravant et accélérer le déclenchement d’un malaise cardiaque.

Parmi les axes préventifs à creuser, la réduction des cadences ne doit pas être sous-estimée. Cette question va d’ailleurs au-delà de l’impact sur les seules pathologies cardiaques. C’est de toutes manière une nécessité pour la santé des footballeurs. Leur vie vaut bien plus que les millions de profits générés par les droits télé.

Édito n°29

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