“Lizzie’s in a box”, les fans de Shamrock Rovers célèbrent la mort de la Reine d’Angleterre

Si nous vivons, nous vivons pour marcher sur la tête des rois“, fait dire Shakespeare à un de ses personnages dans sa pièce Henri IV, écrite à la toute fin du 16e siècle. C’est ce qu’ont, d’une certaine manière, fait plusieurs supporters après l’annonce du décès d’Elizabeth II.

Alors que les hommages abondent, que les médias mainstream nous inondent de portraits hagiographiques de la monarque, les matchs de football au Royaume-Uni sont tous reportés en signe de deuil. La soirée de coupe d’Europe qui s’est jouée en milieu de semaine, quelques heures après l’annonce de la mort de la Reine d’Angleterre, n’a pas échappé non plus à cette actualité. Et parfois, avec ce doux goût pour l’irrévérence que les tribunes populaires savent réactiver dans les grandes occasions.

Une unanimité perturbée

Tandis qu’à West Ham le public entonnait un convaincant “God save the Queen”, un autre son de cloche avait résonné dans les travées du Tynecastle Stadium d’Edimbourg où Heart of Midlothian recevait Başakşehir. Des “Fuck the Queen” sont venus interrompre la minute de silence, au début de la deuxième mi-temps. Indépendantistes écossais ou partisans de la réunification de l’Irlande libre, militants ouvriers ou anti-impérialistes: non, tout le monde ne pleure pas la Reine. Mais la réaction qui a sans aucun doute le plus choqué les rédactions de la Perfide Albion est venue du petit Tallaght Stadium de Dublin, antre du Shamrock Rovers FC.

Quelques heures après l’annonce du décès d’Elizabeth II, le champion de la League of Ireland débutait, ce jeudi 8 septembre, sa phase de groupe de Conference League avec la réception de l’équipe suédoise de Djurgårdens (0-0). Une vidéo devenue virale (elle aurait déjà été visionnée plus de 9 millions de fois selon le média Irish Central) montre une partie des supporters irlandais chanter “Lizzie’s in a box”, soit “Lizzie dans un cercueil”, sur l’air de “Give it up”, un tube des années 80 du groupe américain KC and the Sunshine Band. L’occasion était quelque part trop belle pour ne pas être saisie.

Une petite entaille salutaire dans la désagréable unanimité ambiante qui enrobe la mort “paisible” de la Reine d’Angleterre, à l’âge de 96 ans. A leur manière, ces fans de Shamrock Rovers rappellent aussi ce qu’est, derrière l’image d’icône pop dépolitisée construite autour d’Elizabeth II, la monarchie britannique et les crimes colonialistes dont elle s’est rendue complice au long de ces 70 ans de règne, notamment vis à vis de la résistance irlandaise. Et quand bien même en 2011, la souveraine a été la première tête couronnée britannique à fouler le sol irlandais depuis l’indépendance de 1922.

Des supporters irlandais au fait de leur Histoire

L’indignation provoquée par les chants entendus au Tallaght Stadium a atteint jusqu’à la direction du Shamrock Rovers qui les a condamnés, les jugeant “contraires aux valeurs défendues” par le club. Les supporters n’ont visiblement pas les mêmes valeurs que celles promues par les dirigeants bourgeois de leur club et de la fédération irlandaise de football (FAI). Même si le groupe SRFC Ultras se présente comme “apolitique”, son rejet de toute forme de discrimination raciste, sexiste ou homophobe, a plutôt tendance à le situer à gauche. Se reconnaissent-ils plus dans celles du socialiste révolutionnaire irlandais, James Conolly, un des meneurs de l’Insurrection de Pâques en 1916? On peut l’imaginer sans leur coller d’étiquette.

“Heureuse est la ville où les citoyens désobéissent”. Banderole des ultras du Shamrock Rovers en avril dernier, lors d’un déplacement à Shelbourne.

Dans un texte écrit en 1910, à l’occasion de la venue de George V – grand-père d’Elizabeth II – à Dublin, et republié sur le site Révolution Permanente, Conolly expliquait l’intérêt des ouvrier à détester la royauté: “Que les capitalistes et les propriétaires terriens s’attroupent pour le célébrer: il est des leurs; et ils voient en lui l’incarnation de la caste et de la classe; ils le glorifient et chantent les louanges de son importance pour tenter de familiariser l’opinion publique à leur conception de l’inégalité politique, en sachant très bien qu’un peuple à l’esprit empoisonné par l’adoration de la monarchie ne pourra jamais atteindre cet esprit d’autonomie et de démocratie nécessaire à l’émancipation sociale.”

Attachés à leur identité irlandaise, les supporters du Shamrock Rovers sont au fait de leur Histoire et de celle de leur pays. Leurs chants moqueurs ne sont que l’expression de cela. Si eux ne le formulent pas directement, dur de ne pas penser aux cicatrices de la cause républicaine: du Bloody Sunday de Croke Park à celui de Derry, de la Bataille du Bogside à la mort de Bobby Sands et de ses compagnons emprisonnés, des suites de leurs grèves de la faim qui n’auront jamais fait plier l’horrible Maggie Thatcher. Tout ça valait bien un petit “Lizzie’s in a box”.

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