Emporté en 2020 par le Covid-19 à l’âge de 70 ans, Luis Sepúlveda a laissé derrière lui une œuvre riche et marquée par l’engagement politique. Hommage à l’écrivain passionné de football, mais aussi éphémère attaquant du Unidos Venceremos FC.
De Luis Sepúlveda on retient des livres célèbres, comme Le vieux qui lisait des romans d’amour, dont le titre parle même à ceux qui ne l’ont pas lu. De Luis Sepúlveda, on retient aussi l’engagement d’une vie contre le fascisme et les dictatures. Jeune militant communiste, après le coup d’état fasciste de 1973, la dictature militaire de Pinochet l’a emprisonné pour trahison, subversion et appartenance à un groupe armé. Condamné à 28 ans de prison, sa peine sera commuée en années d’exil après une mobilisation au niveau international. Il gagne un temps la Suède, avant de rejoindre en 1979 la guérilla sandiniste qui fait chuter la dictature de Somoza au Nicaragua. Un engagement qui ne l’a jamais quitté et qu’il continuait d’exprimer dans son Carne de Blog, encore dernièrement en soutien à la révolte sociale qui a éclaté en octobre 2019 au Chili.
« Unidos Venceremos FC »
On connaît un peu moins sa passion pour le football. Il en témoigne dans un article pour le journal argentin Clarín en juin 2014, publié au moment de la 20e édition de la Coupe du Monde, au Brésil. Intitulé « Comment je suis devenu écrivain par défaut », il y raconte sa découverte de la poésie, adolescent, alors qu’il rêvait de devenir footballeur professionnel et de porter les couleurs du Deportes Magallanes, club qui n’a plus connu la première division depuis 1987 auquel il est resté fidèle toute sa vie, en dépit des descentes.
Luis Sepúlveda grandit à Vivaceta, quartier ouvrier de la capitale, « célèbre coin de Santiago parsemé d’usines textiles, de bordels, de quilombos, de boîtes de nuit où on servait du vin fort, de deux stades, et fièrement prolétaire. » Il joue alors avec l’équipe jeune du Unidos Venceremos FC, un nom « prophétique » dira-t-il plus tard dans une interview: « Unis, nous vaincrons ». C’est un des quatre clubs de Vivaceta, ce quartier qui a aussi vu naître “Chamaco” Valdés, buteur de Colo-Colo dans les années 60 et attaquant de la sélection nationale. « Le quartier ne manquait pas de pedigree », s’enorgueillit l’écrivain.
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Alors qu’il n’a d’yeux que pour le beautiful game, c’est sa rencontre avec Gloria, la fille la plus belle qu’il n’avait jamais vue, qui va le pousser dans les bras de la poésie. Invité à l’anniversaire de la jeune fille, Luis pense frapper un grand coup en lui offrant une photo dédicacée de l’équipe du Chili. Celle-là même qui venait de terminer troisième d’une Coupe du Monde 1962, jouée au pays. Des autographes d’idoles nationales, récoltés un à un à la sueur de son front. « Des heures, des jours, des semaines, des mois, j’avais bataillé pour obtenir toutes ces signatures parmi lesquelles il y avait celle du gardien de but Michael Escutti, du meilleur buteur Jorge Toro, de Leonel Sanchez, de Tito Foulleaux et d’Eladio Rojas qui a marqué à Lev Yashin un but du milieu de terrain, applaudi par le portier russe, “L’Araignée Noire”. »
« Le football a perdu un grand attaquant »
Mais cette photo d’une valeur inestimable aux yeux du jeune Luis n’eut pas l’effet souhaité sur Gloria. « Je n’aime pas le foot » lui a-t-elle gentiment opposé. Des mots qui eurent l’effet d’une gifle. « Dans cette phrase, j’ai découvert le venin des amours impossibles, la cruelle signification du “hors-jeu”. » Mais que peut-on bien aimer si on n’aime pas le foot ? C’est une vraie question existentielle. Surtout quand on a 13 ans et qu’on ne s’imagine pas faire autre chose de sa vie. « J’aime la poésie » lui dira-t-elle en guise de mot de la fin.
Il découvre alors les poèmes de Pablo Neruda, d’Antonio Machado, de Federico Garcia Lorca et d’autres. Il devient un fervent lecteur et se met à écrire avec, plus tard, le succès qu’on lui connaît. Il range ses crampons et, de façon très prématurée, met un terme à sa carrière, si on peut utiliser cette expression pour un joueur si jeune.
Pour autant, il ne se détourne pas du football qu’il aime suivre à la radio grâce au duo de commentateurs Sergio Silva et Darío Verdugo. « De potentiel crack, je suis devenu un auditeur de football radio-diffusé. » écrit-il. Mais il n’est pas question de regrets. « La vie est une somme de doutes et de certitudes. J’ai un grand doute et une grande certitude. Le doute, c’est de savoir si la littérature aura gagné quelque chose de mon engagement dans l’écriture. Et la certitude, c’est de savoir qu’à cause de la littérature, le football a perdu un grand attaquant. »
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