Meurtre d’Alkis Kampanos, supporter d’Aris. Pour quoi?

Aris recevait AEK ce mercredi 2 février. Un hommage a été rendu à Alkis par son club de cœur (©ekathimerini.com)

Alkis Kampanos a été poignardé à mort à Thessalonique. Ce jeune de 19 ans était un fan absolu d’Aris, un des trois principaux clubs de la ville. Ceux qui lui sont tombés dessus appartiennent, selon toute vraisemblance, aux supporters radicaux du PAOK. Aucune rivalité ne justifie ça.

Ce mardi 1er février aux alentours d’une heure du matin, alors qu’il marche avec deux amis dans le quartier Harilaou, où se situe le stade d’Aris, le jeune Alkis Kampanos est mort d’un coup de faucille fatal sur le haut de la cuisse. Très vite l’enquête s’oriente vers une rivalité de tribunes, et les supporters du PAOK sont dans le viseur. Son meurtrier, accompagné d’une dizaine de nervis, lui aurait demandé le club qu’il supporte avant de lui porter les premiers coups. Alkis était étudiant de la fac d’économie et science politique de Thessalonique et voit sa vie brisée nette par un attaque stupide, gratuite et lâche.

Gangs de supporters

Il y a bien sûr des éléments pour appréhender la situation complexe du supportérisme radical en Grèce et les frontières parfois poreuses entre certains groupes et la criminalité organisée. D’où ces piteuses méthodes d’hommes de main d’un football local gangréné par la corruption et les dérives mafieuses, incarnées par des dirigeants comme le puissant armateur Marinakis à la tête de l’Olympiakos, ou d’autres personnages comme le propriétaire du PAOK, Ivan Savvidis. L’oligarque russo-grec s’était fait mondialement connaître pour avoir voulu, flingue à la ceinture, faire interrompre le match au sommet de la saison 2017/18 face à l’AEK, après une décision arbitrale défavorable à son équipe. Il existe parfois une connivence malsaine entre ces directions et les fans. Ceux du PAOK  sont reconnaissants envers Savvidis pour avoir “sauvé” le club de la faillite en 2015 et lui avoir “apporté” ses meilleurs résultats depuis plusieurs années.

(©Clapton CFC Greek Supporters/Twitter)

Les supporters radicaux en Grèce échappent à une définition précise et homogène. Certains groupes se revendiquent ultras sans pour autant coller à tous les marqueurs de la sous-culture, d’autres comportent des franges “hooligans”, assez semblables à ce qui existe dans les Balkans. Facilité par la proximité géographique, il existe d’ailleurs plusieurs amitiés ou jumelages majeurs entre des groupes grecs et des groupes serbes ou croates. Aux liens entre la Gate 7 (Olympiakos) et les Delije (Etoile Rouge de Belgrade) répondent ceux entre la Gate 4 (PAOK) et les Grobari (Partizan Belgrade) ou encore de la Gate 13 (Panathinaikos) avec les Bad Blue Boys (Dinamo Zagreb). Des groupes dont certains membres n’ont aucun complexe à avancer armés lors des affrontements, parfois plus proches de l’idée qu’on se fait d’un gang.

Armes blanches chez les supporters, des précédents

Le meurtre d’Alkis n’est malheureusement pas le premier du genre. Les couteaux sont fréquemment sortis lors des rixes, même celles plus ou moins organisées, entre supporters. En 2007, un supporter du Panathinaikos, Mihalis Filopoulos, avait été mortellement poignardé par des supporters d’Olympiakos lors d’affrontements en marge d’un match de volley féminin opposant les deux clubs rivaux. En 2011 à Heraklion en Crête, en marge du derby entre OFI et Irodotou, Yannis Roussakis, un supporter du Panathinaikos originaire de l’île, meurt poignardé lors d’affrontements à l’extérieur du stade.

Des blessés sont aussi à déplorer à cause de cette “coutume” du recours aux lames. Lors de la finale de l’édition 2017 de la Coupe de Grèce, opposant le PAOK et l’AEK au stade Panthessaliko de Volos, de violents affrontements éclatent avant, puis en tribunes. Plusieurs blessés sérieux sont à dénombrer, dont un à l’arme blanche. Ou encore lors de Olympiakos-Burnley en Europa League en août 2018, un fan du club anglais connaît le même sort à l’extérieur du stade Karaiskakis.

Dans le football, les rivalités sont banales. Elles participent même bien souvent à la passion. Historiquement, même si pour des questions évidentes de suprématie locale la rivalité avec Aris est réelle, c’est surtout avec les clubs de la capitale que les fans du PAOK aiment en découdre. Les affrontements avec les supporters d’AEK lors des finales de Coupe de Grèce attestent de cette animosité.

Rivalité classique ou clivage politique?

Ces dernières années, l’interdiction complète des déplacements de fans dans le pays a aussi eu pour effet de relocaliser les tensions et de donner à la lutte pour la suprématie locale un enjeu plus féroce, d’autant plus depuis le retour de l’Aris FC dans l’élite en 2018, après quatre ans d’absence. À la même période, le clivage politique entre les groupes d’Aris et du PAOK s’est aussi renforcée à la faveur de la “crise macédonienne”. Si les Super 3 d’Aris sont assez clairs sur leur positionnement antifasciste, la Gate 4 du PAOK est beaucoup plus hétérogène, pour ne pas dire ambiguë.

Les hommages se sont multipliés à l’endroit où Alkis a été tué (©fimes.gr)

Depuis 2018, Thessalonique est en effet devenu le bastion de crispations nationalistes et identitaires face au voisin, la Macédoine du Nord, pour une sombre histoire d’homonymie. C’est d’ailleurs d’une imposante manifestation nationaliste, derrière une banderole proclamant “La Grèce n’est pas à vendre, elle est la propriété du Christ”, que des hooligans du PAOK étaient sortis pour aller incendier le squat anarchiste Libertatia. Et à la même période, il n’était pas rare de voir dans les tribunes de Toumba, le stade du PAOK, des banderoles proclamant “Il n’y a qu’une seule Macédoine et elle est ici”.

A cette heure, rien n’indique que l’origine du meurtre d’Alkis ait d’autres motivations que la rivalité entre les clubs. Le communiqué du Gruppo Autonomo de la Gate 10 d’Iraklis – qui partagent l’antifascisme de la Super 3 d’Aris – donne des explications sur cette bande rattachée aux tribunes du PAOK rompue aux expéditions punitives. “Ces dernières années, une “armée organisée” a été mise en place à Thessalonique, avec pour devise “Une ville – Une équipe”. Le meurtre d’hier a de nouveau été commis par les mêmes assassins “connus et inconnus” du PAOK. Ils n’ont en aucun cas à voir avec les fans, mais uniquement avec les criminels et les meurtriers brutaux. ”

Les hommages affluent

Pour honorer la mémoire de son fils, le père d’Alkis a émis le souhait de voir se jouer un match caritatif entre les deux clubs qui ont, de leur côté, de suite fait part de leur émotion face à ce drame. “Notre société, notre ville et notre pays ne peut pas tolérer les morts de jeunes sous le prétexte qu’ils supportent un club. Nous pleurons toutes les pertes” a par exemple communiqué le PAOK sur ses réseaux officiels.

Mais le niveaux de tension entre les deux clubs, déjà élevé avant la mort d’Alkis, semble à son paroxysme. Le 28 novembre dernier, en championnat, le derby remporté par Aris à Toumba (0-1) avait déjà été émaillé de nombreux incidents de la part des fans du PAOK, provoquant l’interruption du match. Le PAOK se verra par la suite sanctionné d’une amende par les instances. Autre pierre à ajouter aux contentieux, les fans d’Aris réclament justice depuis plus d’un an pour Tosko Bozadjiski, un supporter du Botev Plovdiv – ami de ceux de l’Aris – tué en janvier 2020 écrasé par une voiture après avoir été pris en chasse après le derby par un groupe de fans du PAOK. Dans ce contexte, rien n’indique que le vœu du père d’Alkis soit réalisable, du moins dans l’immédiat.

En attendant, depuis l’annonce du drame, les messages de solidarité et d’hommage se multiplient de la part du monde des tribunes. Mais aussi de la part de clubs comme Iraklis – le troisième club de Thessalonique – qui a mis son logo en jaune et noir. La mort d’Alkis a aussi ému les joueurs comme le milieu égyptien Amr Warda d’Anorthosis (Chypre) ou encore Dimitris Politis d’Anagenisi Karditsa (Super League 2). Tandis que ceux d’Aris lui ont logiquement dédié leur victoire arrachée dans le temps additionnel face à l’AEK.

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