Membre du Nouveau Parti Anticapitaliste, conseiller municipal sous l’étiquette “Bordeaux En Luttes”, Philippe Poutou nous a livré son regard militant sur la situation actuelle des Girondins et la dangerosité des affairistes comme Gérard Lopez. Un échange avec l’espoir d’un football libéré du capitalisme et du chauvinisme en ligne de mire.
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Bonjour Philippe, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Les Girondins de Bordeaux, le club de la ville où tu es conseiller municipal et conseiller métropolitain, sont rétrogradés administrativement en National 2, sur décision de la commission fédérale de contrôle des clubs de la DNCG (la Direction nationale du contrôle de gestion) confirmée par le CNOSF (Comité national olympique et sportif français). Quelle est ta première réaction ?
C’est mitigé. D’un côté, il y a de la nostalgie en souvenir des grands moments que le club des Girondins avait permis de vivre, surtout quand on est fan de football. Et de l’autre, on relativise, on se dit que cela n’est pas si grave, qu’il s’agit de sport et que dans l’actualité il y a bien plus grave ou préoccupant, comme les situations sociales, de logement ou d’accès difficile aux soins, à l’alimentation, pour une grande partie de la population. Le seul vrai problème, c’est le sort des salarié-es du club, avec un nouveau plan de licenciements qui se profile.
Bordeaux a été relégué sportivement en Ligue 2 il y a deux ans. Ces deux dernières saisons, le club disposait du budget le plus élevé de Ligue 2, et dépensait beaucoup, notamment dans les salaires des nouveaux joueurs, dans les indemnités de transfert ou la rémunération des recruteurs, des agents et de différents intermédiaires, avec l’objectif affirmé de construire une équipe pour remonter en Ligue 1. Les deux saisons ont pourtant été sportivement décevantes. Les Girondins ont terminé 12ème de la dernière saison de Ligue 2, et le club va être relégué administrativement en raison de ses dettes. Comment expliques-tu ces différents échecs ?
On a quand-même l’impression d’une issue écrite à l’avance, un processus par étapes qui a fini par aller au bout. Cela fait au moins 3 ans que la crise est ouverte dans le club, avec la reprise par Gérard Lopez, après des années de difficultés financières et sportives. Donc c’est comme si on s’y était préparé. Chaque fin de saison, à la fois délicate sportivement et financièrement – mais cela doit aller ensemble -, il y avait un genre de sursis: « Ouf, ça passe ce coup-ci, mais la prochaine fois ?» Et cette année, on semble y être… c’est la fin d’une histoire. Durant cette période, on a assisté aux conséquences désastreuses des logiques financières dominantes dans le sport professionnel. Les mauvais résultats sportifs ne se terminent pas systématiquement par un bilan aussi catastrophique. Mais il faut croire que quand des “investisseurs” viennent pour faire des affaires, que ces affaires dépendent de résultats et succès sportifs qui ne viennent pas, alors on imagine bien que les marges de manœuvre se réduisent, que l’aventure devient moins intéressante, que les investissements diminuent. On ne sait pas ce qui relève d’une mauvaise gestion de Lopez – et des autres avant – ou d’un système dans son ensemble qui est problématique, ou alors si c’est les deux à la fois, ce qui est probable. Le foot, le sport, c’est comme l’activité économique en général. Dans cette société capitaliste, il s’agit de faire de l’argent à partir de tout ce qui est possible. Le sport est devenu un objet de spéculation depuis longtemps, un secteur pour les affairistes. Quand ça marche tant mieux, dans le cas contraire, les financiers s’en vont. Ce doit être ce qui se passe à Bordeaux. C’est trop galère, vu que les rentrées financières ne sont pas là comme attendu – droits télé, merchandising… – et que les frais sont vraiment trop importants – location d’un stade, paiement des hauts salaires des joueurs… – alors les affairistes se cassent, laissant tout le monde sur le carreau.
Quel est ton regard sur les décisions de la DNCG et sur son fonctionnement ? Je te pose la question car je crois que sa fonction de gendarme financier du football peut sembler ambivalente. D’un côté elle peut mettre exceptionnellement en porte-à-faux certains hommes d’affaires, mais de l’autre côté, il est évident qu’elle ne dispose d’aucune indépendance puisque c’est une commission de la LFP, et qu’elle ne prône aucune forme de justice sociale ou d’équité sportive. Elle ne défend aucune sorte de fair play financier et n’est pas opposée au fait que des clubs fonctionnent à perte et soient renfloués par un oligarque ou une dictature. Sa seule fonction est de s’assurer qu’un club pourra payer ses factures, et de prendre des mesures si cela ne semble pas assuré.
Je n’y connais pas grand chose. Il y a tellement d’argent, de manipulations, de mouvements dans le foot qu’il a bien fallu renforcer des règles pour contrôler, pour limiter les abus ou les dérives, des moyens pour éviter que la structure ne s’effondre. Alors il y a des commissions qui contrôlent avec des critères bien précis. Cela permet sans doute d’assainir un peu la situation, de freiner quelques velléités, d’éviter que ce soit du n’importe quoi, sans doute. Mais on le voit ici avec les Girondins, cela n’empêche pas des gestions calamiteuses et des faillites. Le problème de fond c’est le système, c’est le sport qui devient une activité économique normale d’où l’on peut extraire des richesses directement ou indirectement, avec la publicité, la télévision… Les commissions de contrôle aussi strictes ou aussi indépendantes le seraient-elles (indépendantes de qui, de quoi, d’ailleurs ?), dans tous les cas elles ne pourraient pas supprimer les conséquences inéluctables des logiques financières. Si l’objectif est bien de faire des affaires, si cette règle est acceptée, s’il est permis d’acheter et de revendre un club, d’acheter et de revendre un joueur ou une joueuse, si une entreprise peut devenir propriétaire d’un club qui est une entreprise comme une autre, qui peut même être cotée en bourse, alors derrière on accepte que cette entreprise puisse être fermée ou liquidée, c’est la loi du capitalisme. C’était vrai pour l’usine Ford dans laquelle je travaillais, pourquoi cela ne serait pas le cas pour les Girondins ? À ce propos, c’est presque marrant de voir les élus politiques de tout bord, droite et gauche, se lamenter sur le sort du club. Car ils acceptent la marchandisation du sport, la domination des entreprises dans le sport, ils acceptent que les lois du marché s’appliquent dans le foot, mais ils protestent quand ça se termine mal, quand les soi-disant investisseurs s’en vont…
En 2022, après la relégation sportive en Ligue 2, les Girondins de Bordeaux avaient déjà connu le risque d’une rétrogradation administrative en National 1. Une manifestation de soutien au club à l’initiative des Ultramarines avait regroupé 3 000 personnes. On y avait notamment vu Pierre Hurmic, le maire écologiste de Bordeaux, Thomas Cazenave, le député macroniste, mais aussi des anciens joueurs comme Gernot Rohr et Paul Baysse. À l’époque, les discours ne ciblaient pas Gérard Lopez, propriétaire du club depuis 2021. Pourtant, il était déjà connu pour avoir racheté des clubs en difficulté à une somme modique, sans grand succès, et sans toujours investir l’argent promis. Il était déjà à l’époque cité dans les Panama Papers et les Football Leaks, et mis en examen au Luxembourg pour faux et usage de faux. Aujourd’hui, l’ambiance est différente. Gérard Lopez est accusé par les supporters d’avoir mené le club à la catastrophe, et les deux groupes de supporters ultras demandent dorénavant son départ. Comment analyses-tu cette évolution dans l’attitude des supporters?
On peut dire que le patron Lopez a mal géré le club, on peut s’en prendre aux propriétaires précédents, car c’est une longue histoire, mais on peut aussi s’en prendre aux pouvoirs publics, aux collectivités locales et leurs élu-es. Car de ce côté la gestion est aussi très mauvaise. La Métropole comme la ville de Bordeaux ne sont pas responsables du système foot qui est en place, certes, mais comme dit plus haut, nationalement comme localement, les pouvoirs publics acceptent bien le système tel qu’il est. Donc, à leur échelle, les élus-es locaux ont leur part de responsabilité dans la situation actuelle. D’autant que la Métropole comme la ville de Bordeaux ont défendu l’arrivée de Lopez en 2021, présenté comme le sauveur du club, reconnaissant que c’était la seule perspective, le seul candidat à la reprise et donc qu’il fallait accepter… malgré effectivement une réputation et des actes récents peu recommandables. En 2021, le débat à la Métropole, c’était d’aider à la reprise du club en permettant au nouveau propriétaire Lopez de payer les loyers du stade MatMut plus tard. Un genre de rééchelonnement de la dette, allégeant ainsi le budget et permettant que les autorités financières du foot valident la reprise. Il fallait sauver le club en priorité, et pour cela les collectivités étaient prêtes à des gestes/efforts financiers à risque car cela risquait d’accroître la dette d’un club sans savoir si un jour il pourrait la rembourser. C’est la création d’une dette pour la collectivité. À ce moment-là, un seul sur les 103 élu-es avait voté contre la délibération permettant à Lopez de ne pas payer le loyer du stade. C’était nous, “Bordeaux En Luttes”. Le débat avait été houleux, un seul contre 102 pour dénoncer les logiques affairistes dans le sport, les doutes sur la probité de Lopez (rappelant les histoires à Lille et Porto…), l’importance d’utiliser autrement l’argent public, notamment pour répondre aux besoins sociaux. Enfin nous défendions une autre conception de la gestion des clubs sportifs, une gestion plus populaire, collective, démocratique, qui mette en avant les valeurs sociales et sociétales. On disait qu’il fallait profiter de la crise, car à l’époque le club risquait le dépôt de bilan, pour reconstruire sur des bases saines, en redémarrant d’en bas, du niveau amateur. On s’est fait attaquer, comme quoi on n’aime pas notre club, notre région… Le fait est que ces élus sont responsables du temps perdu, du gâchis aggravé, notamment des loyers non payés à la collectivité. Aujourd’hui personne ne rappelle ce débat, ce moment de choix mal fait, du coup pas assumé du tout. Alors le maire de Bordeaux peut bien parler de refonder un nouveau club sur d’autres bases plus saines, il aurait dû le défendre il y a 3 ans et voter comme “Bordeaux En Luttes” au moment des décisions qui auraient pu changer la donne et la suite de l’histoire.
Avant même la confirmation de la rétrogradation en National 2, le club a renoncé à son statut professionnel, fermé son centre de formation, la majorité des joueurs sont partis, la section féminine (reléguée sportivement en 2e division) va être vendue à un fonds d’investissement anglais, et un nouveau plan de licenciements est à venir. Puisque tu es conseiller municipal et conseiller métropolitain, selon toi, quelles politiques devraient mener la municipalité et la métropole vis-à-vis du club ?
C’est là que la ville comme la Métropole devrait assumer leurs mauvais choix des années précédentes. La catastrophe immédiate, ce n’est pas la rétrogradation du club en National 2. Ce sont les licenciements des salarié-es du club qui devraient arriver dès la rentrée. Les pouvoirs publics comme les collectivités devraient mettre en place des réponses sociales, des mesures de protection. La solution pourrait être de municipaliser le club et ainsi de sauver et maintenir les emplois. Derrière il y a aussi la question du centre de formation à préserver, des jeunes qui y sont sous contrat. Cela peut relever d’une politique de la ville et de la métropole. Cela signifie réfléchir à une politique du sport municipal. C’est une réflexion sur les services publics de proximité qu’il est urgent de reconstruire, sur le principe de développer des régies municipales. Cela concerne les transports en commun, le logement, la santé mais aussi le sport et la culture. C’est un débat que nous avons régulièrement avec les majorités ville-métropole, sur l’importance d’un service public municipal, mais bizarrement la “gauche” bordelaise n’y est pas si sensible que cela. Donc sauver le club, ce n’est pas se plaindre maintenant de Lopez ou de la fatalité, ce n’est pas balancer des idées en l’air comme « une nouvelle gouvernance du sport » sans donner les moyens de la concrétiser. Les collectivités locales ont la possibilité d’agir de manière volontariste pour aller dans le sens d’une politique publique du sport, amateur et professionnel. Dans la situation actuelle cela passe par une municipalisation du club, en s’appuyant sur les salariés du club, sur ses supporters, sur les habitant-es qui se sentent concerné-es. Il serait important de faire cette première expérience pour la généraliser ensuite. C’est une idée qui vaut le coup d’y réfléchir. En tout cas, cela a commencé puisque des groupes de supporters et autres fans de foot ont relancé la perspective d’un club en gestion collective avec un actionnariat populaire, possiblement sous la forme d’une SCIC, ces coopératives qui permettent de sortir d’une gestion privée et entrepreneuriale. Au lieu de défendre des intérêts capitalistiques, il s’agirait, en mettant le club sous autorité démocratique et collective, de tenir compte des volontés des salarié-es du club, de ses supporters, des habitant-es. Il y a pas mal d’expériences ces dernières années, en Angleterre (Liverpool, Wimbledon, Exeter, Manchester), en Allemagne (Sankt Pauli), en Espagne ou Italie. On trouve ces expériences dans le livre de Mickael Correïa Une Histoire populaire du football, ou dans des articles des revues So Foot ou Socialter ou même dans le magazine sportif L’Équipe.
Du fait de la relégation et de la perte du statut professionnel, la convention qui lie le club à la métropole pour l’usage du stade est automatiquement rompue, et le club s’est présenté devant la DNCG sans mentionner de dépenses relatives au stade, ce qui semble avoir discrédité son dossier. Il semblerait pourtant que des négociations soient en cours entre le club et la métropole. Même relégués en N2, les Girondins souhaitent continuer à jouer au Matmut-atlantique, un grand stade qui correspond aux normes sécuritaires que le club souhaite appliquer pour gérer les conflits entre les deux groupes d’ultras bordelais (les historiques Ultramarines 1987 et la North Gate, groupe créé en 2022/23, qui jugeait les UB87 trop indulgents vis-à-vis de la direction du club). Qu’en penses-tu ?
Alors là j’en sais rien. Ça parait difficile d’envisager qu’un club qui évolue en quatrième division puisse jouer dans un aussi grand stade. Techniquement, rien ne l’empêcherait, mais ça doit faire bizarre. Il y a d’autres stades à Bordeaux, et quelle serait la meilleure solution, je ne sais pas. La question est surtout d’ordre financier. Le grand stade est une catastrophe pour l’argent public. C’est toute l’histoire des PPP (partenariats public-privé), ces investissements publics qui rapportent essentiellement au privé, laissant en général des dettes pour les collectivités locales. C’est le cas ici à Bordeaux mais aussi dans d’autres villes, comme Le Mans et Nice il me semble. C’est un consortium privé qui gère le stade. C’est la collectivité, ici la Métropole, qui paie un loyer au consortium. Et c’est le club des Girondins qui paie son loyer (utilisation du stade) à la Métropole. Depuis des années, ce loyer n’est quasiment plus payé à la Métropole, aggravant des problèmes financiers liés dès le départ à sa construction. Aujourd’hui, même si le club survivant utilisait le stade, comment il paierait son loyer ? Donc quelle est la suite ? Cela promet des grands débats, localement mais aussi nationalement. Ce qui est dingue, en dehors de la crise actuelle, c’est le gaspillage d’argent public dans ces chantiers inutiles. À quoi bon un aussi grand stade qui était uniquement prévu pour l’Euro de 2016 sans projet derrière. Les Girondins avaient le stade Lescure (nommé Chaban) qui allait très bien. Pas besoin de ces folies des grandeurs. Mais bon c’est fait, maintenant il faut gérer le gâchis, pas bien malheureusement. Quand on pense que tout cet argent investi aurait pu et dû servir à renforcer le logement social ou améliorer des structures de santé, ou puisqu’on est dans le domaine sportif, il aurait fallu développer des structures dans les quartiers comme des piscines ou des stades qui manquent aujourd’hui, qui seraient très utiles pour les habitant-es, pour le sport amateur, pour les loisirs aussi, pour les jeunes et les moins jeunes.
Enfin, j’aimerais que tu nous parles un peu plus personnellement, en tant que Bordelais qui s’intéresse au football, de ton rapport aux Girondins et de tes meilleurs souvenirs en rapport avec le club…
Pour faire vite, car c’est le moins intéressant, je pense. On a pris position contre le soutien à Lopez et au club des Girondins dans les conditions qu’on connaît, on dénonce avec le NPA, avec Bordeaux En Luttes, ce sport marchandisé, financiarisé, parce que nous sommes écœurés par cet argent de dingue dans le foot professionnel. Cela n’empêche que je suis fan de foot, j’ai fréquenté les tribunes de Lescure pendant 40 ans, de 1975 – mon premier match – à 2015 – dernière année avant le grand stade. Puis j’ai boycotté le Matmut, donc je n’ai plus été voir les Girondins depuis. Mes meilleurs souvenirs c’est l’équipe de Giresse-Lacombe-Trésor-Tigana-Rohr-Muller dans les années 1980, le titre de 84 et les matchs européens qui ont suivi, Bilbao notamment, puis l’équipe avec Laslande-Wiltord-Feindouno et le titre en 99. Comme beaucoup de gens, j’adorais l’ambiance du stade, c’était chouette d’y aller avec mon père et mon frère – qui lui supportait le RC Lens. Le stade Lescure avec sa piste cyclable, l’époque où on pouvait circuler à la mi-temps et changer de côté pour suivre toujours l’attaque bordelaise, on croisait ainsi les supporters des autres équipes, notamment les lensois-es hyper chaleureux, où pour s’asseoir, l’on s’accrochait en haut de la piste dans les virages, cela s’appelait les pesages. Bon, ça suffit.
Dernière question: tu as déjà dit en interview que tu ne te sentais pas très proche des groupes ultras, à qui tu semblais reprocher leur chauvinisme. Pourrais-tu nous expliquer ce qui te dérange ?
Ce qui m’a toujours dérangé, même gamin, c’est le chauvinisme, les aspects agressifs voire insultants des supporters envers les équipes adverses et leurs supporters. Même si à Bordeaux, il n’y a jamais eu de groupes violents, voire racistes ou même d’extrême-droite, contrairement à d’autres clubs, d’autres stades. Bordeaux de ce point de vue, c’était tranquille. Mais quand-même, il y a eu des chants, des attitudes, des sifflets – même si ça fait partie de l’ambiance – qui étaient dérangeants et problématiques. J’ai toujours été au virage nord à Lescure, en face de l’ancien panneau lumineux affichant le score, il y a longtemps, à l’opposé des groupes de supporters. Ainsi on profitait des chants et de l’ambiance offerts par les supporters du virage sud sans entendre tout ce qui pouvait être chauvin. Plus récemment, je ne partage pas complètement les prises de position des groupes de supporters face au club et à sa direction. En fait, quand les résultats de l’équipe sont bons, tout va bien et c’est seulement quand les résultats sont mauvais, quand l’équipe s’enlise en fond de classement, quand elle se fait éliminer précocement des coupes, c’est là que les supporter râlent, protestent, dénoncent les dirigeants. Cela enlève de la crédibilité à la critique. En vrai, les supporters ne sont pas plus respectés ou écoutés quand l’équipe a de bons résultats, le club n’est pas plus démocratique, l’intérêt général n’est pas plus défendu quand les affaires vont bien. Le problème est donc que c’est seulement quand l’équipe perd que les critiques sur la gestion et le fonctionnement s’expriment. Alors que ça devrait être en permanence, car le système du foot ne peut que produire le genre de crise que nous subissons aujourd’hui à Bordeaux. Par exemple, en 2021, même si les groupes de supporters comprenaient notre position contre Lopez, ils étaient embêtés par le fait de s’opposer à la reprise par ce même Lopez, car c’était le sauvetage du club. Une vision à court terme malheureusement, à mon avis. Maintenant, avec La défense d’un projet social, d’un club dirigé autrement, avec un actionnariat populaire, sous la forme d’une SCIC, là je pense qu’on peut le revendiquer ensemble, même s’il sera nécessaire de mener la critique du modèle du sport professionnel à fond, de remettre en cause complètement les logiques financières et ainsi de défendre la perspective d’un sport libéré des idéologies marchandes et compétitives. Pas simple je sais bien.
Merci beaucoup. Une dernière chose à ajouter ?
Il y a une grosse réflexion à mener ensemble, entre fans de foot, supporters, habitant-es, élu-es des collectivités, sur comment défendre le sport professionnel sans laisser de côté le sport amateur et les loisirs populaires, sur les politiques publiques et leur financement, sur quoi et comment prioriser, sur la meilleurs façon de gérer démocratiquement en enlevant les moyens de nuire aux affairistes. Il est difficile d’envisager un sport professionnel à la fois libéré des contraintes capitalistes et en même temps d’un haut niveau sportif. Est-ce que d’ailleurs on peut apprécier le football sans qu’il soit forcément compétitif, sans que l’équipe soit obligatoirement dans l’élite, en première division et au niveau européen ou mondial ? Est-ce qu’on peut avoir du spectacle, du plaisir en dehors des compétitions telles qu’elles existent actuellement ? Un foot de haut niveau, plaisant, enthousiasmant sans que les joueurs et joueuses touchent des revenus de dingue, surtout les hommes, sans qu’il y ait une invasion de publicité dans les stades et sur les maillots, sans qu’il y ait du racisme, de l’homophobie, du chauvinisme, des violences diverses dans et autour des stades ? Entre questionnement et espoir.
Propos recueillis par Vivian Petit, auteur de Retours sur une saison à Gaza (Scribest, 2017) et de Ciel et marine (Médiapop, 2023).
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