Qu’est-ce que le fair play financier ?

Pour présenter simplement et comprendre le Fair Play Financier (FPF), commençons par balayer ce qu’il n’est pas, à savoir un dispositif égalitaire, social voire un rempart au foot-business, comme ça a pu être malhonnêtement sous-entendu. Tout au plus le FPF vise à atténuer certains « excès ». Et encore, les transferts de Neymar et Mbappé au PSG, ou de Dembelé au Barça, ont montré ses limites sur ce point.

Avec le FPF, l’UEFA s’est dotée d’un outil qui lui permet d’intervenir à plusieurs niveaux: limiter les impacts de la crise, tenter de maintenir un équilibre sportif dans ses compétitions et – même s’il faudrait prendre le temps de développer ce point – atténuer l’influence grandissante des oligarques russes et des monarchies pétrolières du Golfe. Les premières années de mise en pratique du FPF ont permis d’éviter de s’illusionner sur ce gadget. Mais alors à quoi sert le FPF ? Tentative de décryptage.

Le FPF reste une réponse libérale en temps de crise

Depuis l’adoption à l’unanimité du FPF par son comité exécutif en 2009, l’UEFA n’a jamais pensé le FPF autrement que comme un cadre de régulation visant à “moraliser” le football capitaliste, tout en prétendant sécuriser les finances des clubs. Mais, le soucis principal de l’UEFA reste de garantir l’attrait, et donc la valeur, de ses compétitions (Ligue des Champions et Europa League). Entré en vigueur en 2010, sous la présidence de Platini, le FPF était un chapitre de la réforme de la Licence Club de l’UEFA1 dans un contexte où la crise économique mondiale de 2008 impactait l’industrie du football, en témoigne un certain nombre de faillites de clubs2 et de nombreux cas de salaires impayés (notamment en Grèce et en Espagne).

Lors des années de mise en route du FPF (2010-2013), il s’agissait seulement de surveiller que les clubs qualifiés pour les deux coupes d’Europe n’aient aucun impayé de transfert ou de salaire. Il faut savoir que la tendance à l’endettement des clubs européens, avec un recours important au crédit bancaire pour accroître son pouvoir de dépense sur le marché des transferts, est alors jugée “endémique”. En 2009, à l’aube de l’adoption du FPF, l’endettement total des clubs de première division en Europe atteignait 8,4 milliards d’euros (dont 5,5 milliards d’emprunts bancaires)3. Cette question de la dette des clubs nécessiterait d’être abordée de façon beaucoup plus approfondie. Après cette première phase, qui a aussi permis aux clubs d’évaluer sa marge de manœuvre, l’objectif du FPF s’est borné à contrôler que les clubs ne dépensent pas plus d’argent qu’ils n’en gagnent. Sachant que les dépenses pour la formation, les infrastructures ou le développement du football féminin ne sont pas comptabilisées.

Des règles souples, favorables à l’élite européenne

Le FPF ne concerne que les clubs qualifiés pour les deux coupes d’Europe, donc une certaine élite du football continental. L’objectif initial était qu’à terme ces clubs ne fonctionnent plus que sur les revenus qu’ils génèrent. Auparavant, la surveillance des finances des clubs était déléguée aux fédérations nationales4, avec les disparités que cela pouvait engendrer. Aujourd’hui, l’UEFA dispose de l’Instance de Contrôle Financier des Clubs (ICFC), chargée depuis 2012 de veiller à l’application des règles du FPF. Des règles somme toutes assez souples qui tolèrent un déficit annuel de 5 millions. Les actionnaires sont aussi autorisés à combler, sur leurs fonds propres, jusqu’à 30 millions par an (45 millions jusqu’en 2015). Une facilité financière qui avantage surtout les clubs qui en ont les moyens. Si jamais un club sort de ce cadre, il s’expose alors à une échelle de sanctions allant de l’amende à l’exclusion des compétitions européennes, en passant par une réduction du nombre de joueurs inscrits. Pour ce faire, l’ICFC est compétente pour «imposer des mesures disciplinaires en cas de non-respect des règles». Règles qui depuis 2015 ont encore été assouplies, notamment en rallongeant l’autorisation de déficit des clubs n’ayant pas été sanctionnés lors des trois précédents exercices. Mais ce cadre souple n’empêchent pas les clubs de défier ou de chercher à contourner le FPF, à l’image du PSG qui a réalisé coup sur coup les deux transferts les plus chers de l’histoire avec Neymar (222 millions) et Kyllian Mbappé (180 millions).

Une aide pour l’UEFA dans son bras de fer avec les clubs les plus riches ?

La question de l’efficacité du FPF se pose. L’UEFA sait que son dispositif est contournable. Les montages effectués pour contourner les règles du FPF, comme dans le cadre des récents transferts de Neymar et Mbappé, peuvent être perçus comme une provocation par l’UEFA, mais ils font partie de la norme du football-marchand. Se pose alors la question du rapport de force interne à cette bourgeoisie du football, où les manœuvres des clubs se confrontent aux menaces de sanctions de l’UEFA. Et ce n’est pas comme si le monde du football n’était pas un vivier de délinquance financière où l’habitude des malversations, des montages financiers douteux, de la corruption etc. est rodée depuis de longues années.

La crédibilité du FPF de l’UEFA devrait en théorie se mesurer par une attitude ferme face aux clubs les plus puissants. Mais dans les faits, l’UEFA se distingue par sa clémence, que ce soit face aux montages financiers ou face à la dette structurelle des clubs. Une clémence logique tant l’UEFA ne peut se priver des “locomotives” de ses compétitions. Cela aurait un impact sur les retombées financières de la compétition, au niveau des sponsors et surtout des chaînes de télé. Il y a bien eu des sanctions prononcées contre certains des clubs les plus riches (PSG, Monaco, City…), mais il s’agit de sanctions financières auxquelles ces clubs peuvent parer. Certains autres qui ont un peu moins le vent en poupe comme l’Inter, Besiktas ou le Sporting Lisbonne se sont vus limiter le nombre de joueurs inscrits en Coupe d’Europe (22 au lieu de 25). Enfin, seuls Malaga ou l’Étoile Rouge ont été confrontés à l’exclusion. Soit des clubs de troisième ou quatrième chapeau.

Une équité à deux vitesses

Ecart du chiffre d’affaire de la L1 française (plus petit du Big 5) avec celui des championnats hollandais, belge, danois, autrichien et polonais (2014/15).

Avec le FPF, l’UEFA compte avant tout préserver l’équité économique et sportive au sein de cette élite de quelques dizaines de clubs, les plus exposés médiatiquement. S’il est besoin de le rappeler, les compétitions de l’UEFA reposent déjà sur une équité à deux vitesses, pour ne pas dire plus. Les équipes européennes des championnats du Big 5 (Angleterre, Allemagne, Espagne, Italie et France) à qui elle assure automatiquement, au nom de l’indice UEFA, plusieurs places pour les très lucratives phases de groupes, sont clairement avantagées5 alors que les clubs des championnats mineurs doivent enchaîner les tours préliminaires. Le but du FPF n’a jamais été de rééquilibrer ça. En Ligue des Champions, sur les 32 équipes qualifiées pour les phases de poules, il y a finalement très peu de renouvellement d’une saison sur l’autre. Pas une ligue fermée, mais presque. Il est de plus établi aujourd’hui que, sur le long terme, les résultats sportifs sont corrélés aux dépenses salariales. Par le FPF, il s’agit aussi pour l’UEFA de sécuriser au maximum les finances de ces équipes en réduisant le risque “d’accident industriel” et donc de rassurer les éventuels investisseurs. Sur son propre site, l’UEFA ne s’en cache pas et présente le FPF comme une mesure visant à «améliorer les performances économiques et financières des clubs et à renforcer leur transparence et leur crédibilité».

Une éthique libérale: ne pas fausser la libre concurrence

Graffiti anti-UEFA – Saint-Etienne, La Cartonnerie. ©Mémoire en Béton

Le football européen ne paye pas seulement les effets de la crise de 2008. Il paye aussi la restructuration libérale initiée au début des années 90, avec la création de la Première Ligue anglaise en 92, l’arrêt Bosman en 95 et la réforme de la Ligue des Champions en 96, comme moments fondateurs. Le football devint alors un produit d’appel au service de stratégies commerciales de divers secteurs : audiovisuel, industriel… D’un football où industriels et mécènes mettaient de l’argent comme dans un passe-temps, le football devint un secteur où investir. Quelques dizaines de clubs ont même tenté l’expérience de la cotation en bourse. Après Bosman, les transferts internationaux n’ont cessé de se multiplier dans un contexte inflationniste pour atteindre les niveaux qu’on connaît aujourd’hui. Les revenus générés par les droits télé sont en partie responsables de cette flambée des prix. L’arrivée de fonds d’investissement, dont certains pilotés par les monarchies pétrolières comme le Qatar ou les Émirats Arabes Unis, à la tête des clubs, est une autre explication. Ce dopage financier est porteur de déséquilibres qui se répercutent au niveau sportif.

A l’heure où les droits télé de la Ligue des Champions ont augmenté, l’UEFA craint que l’attractivité de ses compétitions n’en soit impactée. La glorieuse incertitude du résultat doit être préservée. Pour cela, le FPF ne prétend pas s’attaquer à la dynamique d’accumulation dans laquelle se sont engagés les club les plus riches capables de posséder l’équivalent de deux équipes de top-niveau européen – quitte à ne recruter certains joueurs uniquement pour affaiblir un adversaire direct. Seulement en maîtriser ce qui est considéré comme des “excès” et qui ne respecteraient pas l’un des préceptes libéraux inscrits dans le marbre des Traités européens: la concurrence “libre et non faussée”.

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Notes:

1La Licence Club est attribuée par l'UEFA aux clubs qui sont qualifiés pour ses compétitions. Pour cela les clubs doivent remplir un certains nombres de critères au niveau financier, mais aussi de leurs infrastructures etc.

2Portsmouth, Oviedo, Glasgow Rangers, Le Mans, Parme

3Parmi les clubs les plus endettés d'Europe, dont certains avec un taux d'endettement supérieur à 100 % du budget: Atletico Madrid, Valence ou l'Inter...

4En France, c'est la DNCG qui donne son avis sur la capacité financière du club à boucler la saison à venir. En terme de santé financière, le football allemand fait office de modèle. Une forme de protectionnisme est appliqué aux clubs qui ne peuvent être détenu à plus de 49 % par un investisseur. C'est l'association du club qui en possède 51 % Bien sûr, il y a des parades.
5Par ailleurs, les clubs éliminés lors du dernier tour préliminaire de LDC se voit reversé en phase de groupes de l'Europa League. De la même manière, le 3e de chaque poule de LDC se voit reversé directement en 16e de finale de l'Europa League. Il faut voir ces passe-droits comme des mesures visant à limiter les dégâts causés par une élimination imprévue et donc non budgétisée. Favorable aux clubs du Big 5.

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Repris depuis sa version initiale sur Les Cahiers d’Oncle Fredo

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