En 2017 disparaissait Santiago Maldonado, un militant anarchiste argentin qui luttait aux côté des Mapuches de Cushamen. Son corps ne sera retrouvé que 78 jours plus tard. Face à ce cas rappelant la pratique des disparition forcées, le monde du football avait ajouté sa voix à la mobilisation pour retrouver “Santiago vivant”.
Comme au Chili, en Argentine le peuple mapuche lutte depuis des années pour la défense de ses terres, notamment contre leur accaparement par la multinationale italienne Benetton. Le 1er août 2017, un militant manque à l’appel après le violent raid policier sur un campement de résistance mapuche – le “Pu Lof en Resistencia” – situé à Cushamen dans la province du Chubut. Santiago Maldonado est introuvable et la police est d’emblée soupçonnée d’être responsable.
La disparition de Santiago provoque une émotion qui s’étend dans tout le pays. Amnesty International, la Ligue Argentine des Droits de l’Homme, l’Association des Mère de la Plaza de Mayo, et plusieurs collectifs militants montent aussi au créneau. De vastes manifestations rassemblant des milliers de personnes sont organisées. Et le football argentin, fort de sa popularité, va servir à médiatiser encore plus l’affaire. Une mobilisation qui n’est pas sans rappeler, dans des proportions différentes, celle qui avait eu lieu en réaction à la disparition des 43 étudiants d’Ayotzinapa au Mexique, après une embuscade policière tendue à Iguala.
Les stades vont servir de caisses de résonance
La première journée du championnat 2017/18, le weekend du 25 août, va causer quelques sueurs froides aux autorités. Les premiers à dégainer ont été les supporters de Banfield à l’occasion de la réception de CA Belgrano au Stade Florencio-Sola le 25 août 2017, en accrochant dans les tribunes une simple banderole avec le slogan “Aparición con vida de Santiago Maldonado”. Deux jours plus tard, au Nuevo Gasómetro de San Lorenzo, avant un match face au Racing, des militants des Droits de l’Homme faisaient le tour du terrain avec une banderole exigeant également la réapparition de Santiago Maldonado, “en vie”.
Même ambiance avant le coup d’envoi de CA Temperley-River Plate, à la différence près que ce sont les joueurs locaux qui posent avec une banderole du SiPreBa – le syndicat de la presse de Buenos Aires – avec le portrait de Santiago et ce même slogan en forme de cri. L’équipe de Temperley comptait alors dans ses rangs des joueurs aux convictions de gauche bien affirmées comme Leonardo Di Lorenzo et Ignacio Bogino, qui avaient œuvré en interne pour sensibiliser leurs partenaires.
A la même période, en Coupe d’Argentine, les joueurs du Belgrano y sont aussi allés de leur message sur une banderole aux couleurs de leur club: “Alberdi te cherche aussi, Santiago”, référence au quartier de Córdoba où est situé le stade du Belgrano. Mais l’une des images les plus frappantes qui avait circulé sur les réseaux est probablement celle des joueurs du CSD Central Ballester – équipe de Primera D, la 5e division argentine – dont les onze joueurs, derrière une banderole demandant “¿Dónde está Santiago?” (“Où est Santiago?”), portaient chacun devant leur visage un portrait de l’activiste disparu.
Maradona, Sampaoli veulent savoir où est Santiago
Le football est un propagateur qui a la possibilité de faire passer les sujets qu’il touche dans une autre dimension. Le retentissement créé par toutes ces prises de position est relayé par la presse nationale et met la pression sur le pouvoir argentin qui se serait bien passé de cette médiatisation. De nombreuses personnalités du football s’emparent du sujet, à l’image de Nahuel Guzmán. Le gardien de but des Tigres au Mexique, et troisième gardien de la sélection argentine au Mondial 2018, avait fait sensation à son arrivée à un regroupement de l’Albiceleste avec un t-shirt demandant “¿Dónde está Santiago?”.
La disparition du militant est devenue un scandale d’état. Les fausses pistes et les dissimulations pour couvrir la police ne font qu’ajouter de l’huile sur le feu dans un pays marqué dans sa chair par la répression et les disparitions forcées. Sur les réseaux sociaux, Diego Maradona s’en était pris directement au président de l’époque, Mauricio Macri. “Un jour de plus et Santiago Maldonado est toujours porté disparu. Tous les Argentins t’attendent, de même que tous les disparus !!!!” Répondant à une question de journaliste, Jorge Sampaoli, alors sélectionneur de l’Albiceleste, lui avait emboîté le pas. “En tant qu’Argentin, pour ceux d’entre nous qui ont vécu cette époque (la dictature), il est un peu dérangeant que cette question n’ait pas été résolue.”
Face au silence, il y aura toujours une tribune
“Ce n’est bien sûr pas le football, mais la légitimité de la revendication, la gravité de l’événement et la responsabilité évidente de l’État qui ont placé la disparition de Santiago au centre du débat public, au point de faire les pages des journaux étrangers. Mais le football – le sport en général, mais surtout le football – est un outil extraordinaire de communication de masse, un propagateur. Ce que le football touche, il le fait passer dans une autre dimension.” Ces mots d’Alejandro Wall pour le média La Izquierda Diario résument parfaitement ce qui s’est passé en 2017 en Argentine durant ces 78 jours.
Par effet miroir, quand autant de gens prennent la parole, ceux qui se taisent se voient plus. L’article de La Izquierda Diario avait pointé du doigt le silence Lionel Messi, tout en soulignant le message posté sur Instagram par la compagne du joueur, Antonela Roccuzzo, relayant l’appel à la dernière marche pour Santiago : “Je me demande aussi où est Santiago Maldonado“. La star du football argentin a probablement été plus soucieuse de son image que réellement insensible au sort de Santiago. Mais c’est un peu plus qu’une occasion manquée. Si exiger l’apparition en vie de Santiago Maldonado est un acte politique comme l’écrit Alejandro Wall, taire sa disparition, dans le football comme ailleurs, l’est tout autant. Mais, note finale d’espoir, cette histoire nous enseigne que “face au silence il y aura toujours une tribune, une banderole accrochée sur une grille.”
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