Dans la continuité de son essor au moment de la 1ère Guerre mondiale, le football féminin a atteint des sommets de popularité en Angleterre. C’est paradoxalement ce qui a causé sa perte. Le hommes de la Fédération ne supportaient plus cette concurrence.
Le Boxing Day 1920 marque très certainement l’apogée de la première vague du football féminin. Un Boxing Day disputé, pour la petite histoire, un 27 décembre et non le 26. Ce jour-là, dans un Goodison Park à guichets fermés, le Dick, Kerr Ladies FC a battu St Helens 4 buts à 0. La presse mentionne pas moins de 53 000 entrées payantes. Cette affluence restera d’ailleurs longtemps le record pour un match féminin jusqu’à un certain match opposant l’Atlético de Madrid et le FC Barcelone au Wanda Metropolitano en 2019. Soit, à peu de choses près, un siècle plus tard!
Le football féminin n’a pas perdu son évidente popularité d’un coup de baguette magique. Suscitant la jalousie des bonshommes bedonnants de la Football Association (FA), le football féminin a été attaqué frontalement. Pour la Fédération, “Le football est tout à fait inadapté aux femmes“. Ce qui justifie la décision radicale de l’interdire en décembre 1921. Dans une chronique pour The Spectator, Simon Kuper rappelle que la FA a même été jusqu’à interdire aux clubs masculins de laisser les femmes utiliser leurs terrains. “Les joueuses étaient condamnées à jouer des parties improvisées dans les parcs“. L’interdiction durera cinquante longues années, jusqu’en 1971.
Le football comme outil d’émancipation des femmes
En dépit du contexte de guerre mondiale, le succès du football féminin – entre 1918 et 1921 – a été aussi court que spectaculaire. Les premiers matchs féminins remontent pourtant à la fin du 19e siècle. Des premiers pas qui ne se passent pas sans heurts, à l’image de cette partie opposant les sélections féminines anglaise et écossaise à Glasgow le 16 mai 1881 qui n’ira pas à son terme. Plusieurs centaines d’hommes avaient envahi le terrain pour s’en prendre physiquement aux joueuses contraintes de s’enfuir. Des débuts douloureux qui reflètent la place occupée par les femmes dans la société victorienne – comme sur l’ensemble du globe – mais qui vont aussi faire du football féminin un combat émancipateur.
A la fin du 19e siècle, jouer au football pour les femmes anglaises est un acte politique qui croise la route des combats féministes, notamment celui des Suffragettes pour le droit de vote. Parmi les pionnières du football féminin britannique, on retrouve aussi des militantes féministes issues de la middle class et parfois de l’aristocratie. A l’origine de la création du British Ladies’ FC fin 1894, Mary Hutson – beaucoup mieux connue sous le pseudonyme de Nettie Honeyball – et la romancière Florence Dixie en font partie. Le British Ladies’ FC est le tout premier club féminin de l’Histoire, créé pour « prouver au monde que les femmes ne sont pas les créatures “ornementales” et “inutiles” que les hommes imaginent.»
Dans son Histoire populaire du football, Mickaël Correia retrace la trajectoire de ce club qui jouera plus de 150 matchs entre 1895 et 1897, drainant des milliers de spectateurs, avant de disparaître des radars pendant six années en raison notamment de problèmes financiers. Le British Ladies’ FC aura quand même eu le temps de se distinguer en remportant des matchs face à des équipes masculines. Ce qui n’a sûrement pas arrangé « l’anxiété masculine d’une remise en cause de la hiérarchie sexuelle » que la popularité grandissante des footballeuses mettait à mal. Le simple fait qu’il ait fallu une grande guerre pour que les femmes puissent y accéder suffit à illustrer combien le football était une chasse gardée masculine.
L’emblématique Dick, Kerr Ladies FC
Avec le déclenchement de la guerre, des centaines de milliers de femmes ont été appelées sur des postes initialement occupés par les hommes partis au front. La guerre n’avait pas aboli les divisions de classe. Quand les femmes issues d’un milieu social moins besogneux avaient rejoint – souvent volontairement – les unités de police et surtout les hôpitaux, celles issues de la working class étaient bonnes pour les chaînes de montage des nombreuses usines d’armement. Ce qui leur vaudra le surnom de “Munitionnettes”. Sur le rectangle vert aussi, profitant de la suspension des compétitions masculines, les femmes vont remplacer les hommes.
Le moral n’était pas forcément au beau fixe sur les chaînes de montage. De nombreuses femmes travaillant dans les usines d’armement ont perdu un père, un frère ou un mari dans la boucherie des tranchées. Comme le souligne Suzanne Wrack dans son livre A Woman’s Game, le football va aussi servir à maintenir la motivation… et donc la productivité. Dès 1915, le patronat permet et encourage la pratique du football pour les ouvrières. Dans certaines usines, les femmes jouent contre les quelques hommes restés au pays. Et bien souvent, les filles se montrent supérieures. Plus de 150 équipes vont pousser dans ces usines d’armement, parmi elles le Dick, Kerr Ladies FC.
L’équipe créée en 1917 au sein de la Dick, Kerr and Co à Preston, une usine de locomotives reconvertie pour les besoins de la guerre, joue le tout premier match de son histoire lors du Christmas Day de 1917 pour récolter des fonds pour l’Hôpital militaire de la ville. Le club parvient alors à attirer 10 000 personnes qui assistent à la victoire de ses joueuses face à celles de la fonderie d’Arundel Courthard 4-0. Le site Spartacus Educational qui consacre un article aux équipes de Munitionnettes, cite la capitaine Alice Kell, l’avant-centre Florrie Redford et l’arrière Lily Jones comme stars de l’équipe.
Les Munitionnettes, une menace sur le football masculin
Ces équipes de Munitionnettes participent à l’effort de guerre en jouant régulièrement des matchs de bienfaisance au profit des hôpitaux et des mutilés de guerre et des orphelins. Mécaniquement, avec la 1ère Guerre mondiale le football féminin va connaître un véritable virage ouvriériste et les équipes de Munitionnettes devenir ce qui se fait de mieux en terme de spectacle. En témoigne la Munitionnettes’ Cup, organisée en 1917/18 par le Newcastle Daily Chronicle. La compétition va réunir 14 équipes et la finale entre les Blyth Spartans Munitions Girls et les Blockhow Vaughan Ladies attirera encore près de 22 000 spectateurs à l’Ayresome Park de Middlesborough.
La fin de la guerre sonnera le glas des équipes de Munitionnettes. La plupart des femmes ont perdu leur emploi dans les usines de munitions. Mais la popularité des Dick, Kerr Ladies ne faiblit pas. En 1921, elles jouent encore 67 matchs, dont plusieurs en soutien aux grèves des mineurs débutées au printemps. Le tout devant une moyenne de 13 000 spectateurs. Beaucoup trop pour la Fédération qui, n’appréciant pas cette concurrence inattendue qui ringardise presque les compétitions masculines, ne va tarder à interdire purement et simplement le football féminin.
Dans son livre Belles of the Ball, David J. Williamson revient sur l’épisode de cette contre-offensive. “Sans surprise, il a été extrêmement difficile pour de nombreux hommes d’accepter l’idée que des dames jouent à ce qui avait toujours été considéré comme une chasse gardée masculine, leur sport. Ceux qui étaient partis au front pendant la Grande Guerre n’avaient aucune idée de la façon dont le pays était en train de changer en leur absence, de la façon dont le rôle des femmes dans la société commençait à évoluer de façon spectaculaire, saisissant l’opportunité qui leur avait été offerte.”
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